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Erwan Le Brenn, relate ici une modeste expérience de tutorat en classe de seconde qui prouve qu’il n’y a pas besoin de se lancer dans des dispositifs sophistiqués pour mettre en place un travail collectif efficace et éducatif. Il suffit d’utiliser judicieusement la souplesse que les heures de module et d’aide individualisée ont introduite dans l’emploi du temps pour installer un rapport au savoir responsable... et démocratique...
le 5 mai 2004Professeur des écoles au lycée français de Port-au-Prince, j’ai pu vivre de près la récente période de troubles sociopolitiques qui vient d’agiter cet état des Caraïbes, grand comme la Belgique et peuplé de huit millions d’habitants. Le lycée Alexandre Dumas, dans lequel j’enseigne, fait partie des quatre cents établissements homologués par l’agence pour l’enseignement français à l’étranger, établissement public placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères. Il scolarise six cent soixante élèves de la maternelle au baccalauréat. Cet établissement n’est cependant nullement représentatif, loin s’en faut, de la réalité éducative locale. Avec quelques autres écoles étrangères et haïtiennes reconnues comme étant de haut niveau, il accueille les enfants d’étrangers en situation d’expatriation et contribue à la formation primaire et secondaire des élites locales. Sur la soixantaine d’enseignants, dix-huit sont en position de détachement de l’Éducation nationale française, les autres bénéficient d’un contrat dit « local » et sont pour la plupart Haïtiens.
Effectuer ses tâches d’enseignement dans le contexte agité qui a prévalu ces derniers mois a nécessité quelques procédures d’adaptation.
La tension politique s’est ainsi traduite dès la rentrée de septembre par des inquiétudes et angoisses chez les élèves de ma classe de CE2. Très vite, le « Quoi d’neuf » hebdomadaire n’a pu suffire à apaiser les tensions. Les expériences collectives et individuelles, plus ou moins dramatiques (rapt d’un proche, cambriolage d’une maison, pillage d’un magasin, passage d’une manifestation à proximité de l’établissement...) ont eu besoin d’être commentées dans un souci d’apaisement. Rassurer sans prendre parti relève d’un exercice périlleux mais indispensable dans un tel contexte (les parents d’élèves ne sont pas tous du même bord politique). D’où la nécessité de trouver des biais pour faire de l’éducation civique, en se dégageant d’un contexte brûlant. Un travail a été ainsi initié autour du film d’animation de Paul Grimault Le roi et l’oiseau, les élèves étant invités, via l’expérience du roi, à réfléchir et verbaliser leur conception du bon souverain. Il a fallu ensuite gérer la déception des élèves suite aux annulations successives et de la fête de Noël et du défilé de carnaval, le lycée ayant dû à deux reprises anticiper sa fermeture pour des raisons de sécurité. Pas facile dans ces conditions de préserver l’extraterritorialité de l’École...
Lors de ces fermetures, il a été nécessaire de limiter à la fois les problèmes pouvant naître d’une coupure trop longue avec le milieu scolaire, mais aussi ne pas prendre trop de retard par rapport aux progressions définies en septembre. Une liste de diffusion par Internet rassemblant l’ensemble des parents d’élèves a été initiée à ce moment de l’année. Elle m’a ainsi permis de faire passer quotidiennement du travail aux élèves chaque fois que l’établissement a dû fermer ses portes. Cet outil a été monté empiriquement et reste un palliatif. Des exercices de structuration de la langue et d’entraînement en mathématiques constituaient l’essentiel du travail distribué, et restaient coupés des projets de classe en cours, qui pour certains ont dû être abandonnés.
Le lycée est désormais sécurisé par des membres de la Force multinationale intérimaire en Haïti (FMIH), et toute la communauté scolaire souhaite pouvoir terminer l’année dans un climat plus serein. Il nous appartient désormais, équipe éducative, de monter des dispositifs de prévention de crise plus rationnels, moins empiriques, pour faire face à une éventuelle nouvelle crise, que bien entendu personne n’appelle de ses vœux. Un atelier d’information sur la gestion du stress post-traumatique chez les élèves, animé par deux psychologues cliniciennes, a d’ores et déjà été programmé.
Le système scolaire haïtien a lui beaucoup plus souffert de cette période de tensions et la priorité à court terme sur laquelle travaille l’ensemble des acteurs du système éducatif consiste à aménager la fin de l’année scolaire, préparer et sécuriser les examens.
À plus long terme, il reste à souhaiter que la communauté internationale prolonge et renforce son intérêt pour Haïti, même lorsque les sacro-saints projecteurs médiatiques s’éteindront, qu’elle saura s’engager dans un mouvement durable et constant de coopération visant à permettre à l’ancienne « perle des Caraïbes » d’édifier un système éducatif de qualité, condition indispensable de son émergence.
Denis Bariot, professeur des écoles, lycée français de Port-au-Prince.
le 5 mai 2004Il a beaucoup été question au printemps dernier des menaces de marchandisation de l’école et de remise en cause du service public par l’offensive néolibérale. Comment démêler ce qui effectivement apparaît comme un danger et l’usage de slogans qui parfois empêchent de penser la complexité ? Comment faire que la lutte légitime contre ces périls ne se traduise pas par une défense de l’existant et un néoconservatisme parfois bien étonnant ? Nous avons voulu discuter de la question avec quelqu’un de particulièrement qualifié pour y répondre : l’animateur d’une remarquable revue [1] de « vulgarisation » (au bon sens du terme) des savoirs économiques et sociaux qui, en même temps, partage pas mal de valeurs avec nous.
le 5 mai 2004Lundi 15 mars 2004, un collège des Minguettes à Vénissieux. On informe élèves et professeurs qu’une minute de silence sera observée dans la cour de l’établissement, avant la montée en classe, en hommage national aux victimes de l’attentat du jeudi 11 mars à Madrid. À la sonnerie de 13 h 30, personne ne prend la parole pour expliquer quoi que ce soit aux élèves. Un professeur raconte : « ... On attend que le silence se fasse, la principale et l’adjoint y contribuent en circulant dans les rangs, et ramassent quelques carnets au passage... Ils obtiennent un silence relatif, plus lourd d’interrogations dubitatives que d’émotion solennelle... À la récréation, je découvre dans mon casier un papier m’informant que Salim, élève de 3e, sera exclu le mardi 16. Motif : « Ne respecte pas la minute de silence nationale. Éclate de rire. »
Ce jour-là, dans quelques collèges et lycées de France, d’autres éclats de rire, d’autres Salim ont refusé de faire silence et ont choqué les enseignants et le personnel. Ces rires et ces refus n’étaient-ils pas odieux, ne résonnaient-ils pas comme une approbation du terrorisme ? Ne fallait-il pas les sanctionner sur le champ ?
Et bien non. Le refus de respecter la minute d’hommage officiel aux victimes ne signifie pas pour autant que Salim passait du côté de l’horreur et approuvait le carnage. Pas d’amalgame. D’abord comprendre. Et pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, disons avec Ignacio Ramonet que : « Le terrorisme constitue une forme de lutte particulièrement ignoble quand il s’en prend à des civils non combattants. Aucune cause, aussi juste soit-elle, ne justifie le recours à cette méprisable méthode. » (Le Monde diplomatique, mars 2004).
Comme après le 11 septembre 2001, les minutes de silence pour le 11 mars 2004 ont été décidées au plus niveau de l’État. Salim, comme la plupart des Français et des Européens qui ont été invités au silence à midi ce jour-là, n’a pas forcément décodé tout ce qu’il y avait d’exploitation politique d’une émotion légitime. La sympathie de la droite française pour l’équipe d’Aznar qui jouait son avenir sur un mensonge d’État (et d’ETA...), les élections régionales qui allaient venir et pour lesquelles une rasade d’unité nationale compassionnelle ça ne se refusait pas, tout cela n’a sans doute pas déterminé Salim et ses camarades refusniks.
Ce fut plutôt, je crois, un sentiment d’injustice et le constat que les victimes des terroristes ne pèsent pas toutes le même poids. Il y a depuis toujours - et ça Salim doit le savoir - des milliers de morts qui ne sont pas considérables et à qui on ne fait pas l’hommage d’un silence. Surtout quand leurs assassins sont des terroristes d’État qui ont aujourd’hui comme une prédilection pour le massacre des populations musulmanes. En septembre 1982, quand les milices libanaises chrétiennes, encouragées par la passivité de l’armée israélienne, massacrèrent, dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila, 1 490 victimes identifiées à ce jour, il n’y eut pas de silence recueilli. Pas plus qu’il n’y en a aujourd’hui quand Poutine ordonne à l’armée russe - ivre de sang, de viols, de pillages et de vodka - de génocider les Tchétchènes (encore des musulmans...) ou quand, jour après jour, après chaque attentat kamikase palestinien, le gouvernement israélien d’Ariel Sharon réplique par un terrorisme d’État tout aussi meurtrier et tout aussi condamnable.
Ces minutes de silence sélectives sont impraticables. Elles ne sauraient donc être imposées parce qu’elles ne sont pas partageables par tous. Elles choquent la nécessaire neutralité politique de l’école laïque. Pourquoi pour ces morts-ci et pas pour ceux-là ? Faut-il prendre en compte le nombre de victimes ? « Mais alors, c’est quoi la limite ? », demandait une autre élève de 3e du collège de Salim... La proximité géographique, comme pour Madrid ? Mais New York et les Twin étaient plus lointaines que la Palestine...
La vérité, c’est qu’en la matière nous sommes complètement à l’Ouest.
En 1997, présentant le numéro des Cahiers pédagogiques que nous avions consacré au travail de groupe, nous écrivions :
« Le modèle transmissif, impositif et frontal, le cours magistral règne sur l’école, massivement. Dans la proportion, par rapport aux autres méthodes d’enseignement, de la masse du soleil dans le système solaire tout entier : à savoir 99,87 % ! Ceci afin de donner une idée métaphorique de cette proportion... »
Nous sommes en 2004. Sept ans plus tard donc. Et depuis, nous n’avons pas à cet égard constaté des évolutions très significatives dans le système éducatif. L’extraordinaire prégnance du modèle magistral perdure. On ne saurait même affirmer qu’il a été ébranlé par les réformes récentes intervenues au collège et au lycée et l’introduction de leurs divers dispositifs institutionnels. L’effet des TPE (travaux personnels encadrés), des PPCP (projet personnel à caractère professionnel), des IDD (itinéraires de découverte en collège), de l’aide individualisée, des débats de l’ECJS (éducation civique juridique et sociale), de l’heure de vie de classe, des classes à PAC (projet d’activité culturelle), etc., ne se fait pas encore sentir de façon évidente dans la pédagogie ordinaire des autres cours. Pour l’heure donc, le constat fait en 1984 par Philippe Meirieu reste toujours d’actualité :
« Pour l’instituteur ou le professeur qui veulent s’engager dans une entreprise de rénovation pédagogique, le premier objectif est de briser le fonctionnement impositif et abstrait du cours magistral, pour mettre leurs élèves en situation d’agir et d’opérer eux-mêmes leurs propres découvertes. » (Apprendre en groupe, tome I, Lyon, Chronique sociale, 1984.)
Nous allons, par le présent dossier, explorer à nouveau l’outil alternatif au cours magistral : la pédagogie de groupe.
L’expérience prouve que pour sortir du modèle transmissif standard, pour tenter de différencier la pédagogie et rendre les élèves acteurs de leurs apprentissages, il faut maîtriser la problématique du travail de groupe. Il faut oser modifier l’ordonnancement même de la salle de classe et construire un espace à géométrie variable. Non pas pour passer du tout-cours magistral au tout-groupe. On ne différencie pas l’enseignement en passant d’un modèle unique à un autre modèle unique, d’un intégrisme méthodologique à un autre. Mais bien pour organiser sa classe sur des bases qui permettent de varier souplement les trois grands types de situations d’apprentissage possibles pour l’élève : le travail individuel ou autonome, le travail collectif en classe entière, le travail en binôme ou en groupe.
Et il y a longtemps que les psychologues constructivistes avec Piaget et ses continuateurs, Freinet et ses disciples, les cognitivistes, les spécialistes de la dynamique des groupes ont montré que le travail interactif est un puissant moyen d’apprentissage ; que les « conflits sociocognitifs » dont il est le théâtre sont des moteurs efficaces pour apprendre vraiment. Et que ce mode d’activité, lorsqu’il est organisé à l’école, motive bien les élèves.
Nous avons voulu réexaminer sous un angle pratique quelques-unes des questions que doit se poser le maître qui veut, en classe, s’engager dans cette pédagogie. On ne trouvera donc ici que peu de considérations théoriques. Philippe Meirieu nous dira encore les raisons de l’attachement des enseignants au cours magistral. Sa thèse de 1985 (Apprendre en groupe, deux tomes) avait fait passer la problématique du groupe du côté de la praxis pédagogique alors qu’elle était jusqu’alors très orientée « psy ». Il apportait des réponses à la question centrale suivante que nous nous posons en continuité : Comment, concrètement, le groupe peut-il être, pour chaque élève, le lieu et l’outil d’apprentissages individuels ?
Nous avons pour cela sollicité encore des praticiens de la pédagogie de groupe. Odile Métayer et Pascale Boulais répondent de nouveau aux objections qui ne manquent pas d’être faites à cette méthode au moment de sa mise en œuvre. Elles tentent d’apaiser quelque peu les inquiétudes et les résistances des professeurs. Jacqueline Castany dira comment s’y prendre la première fois. Didier Onfray montre que cette pédagogie est un outil efficace pour faire réussir les élèves aux contrôles.
Vous pourrez lire aussi dans ce dossier ce que disent de leur pratique du travail de groupe des professeurs de disciplines variées et de niveaux d’enseignement divers. Comme Françoise Colsaët et Claude Lavallée en mathématiques, Jean-Marie Boilevin en sciences physiques, Jacqueline Castany en lettres, Maria-Alice Médioni en langues vivantes. Alain Jaillet nous montre comment une université virtuelle et une plateforme informatique interactive - ACOLAD (apprentissages collaboratifs à distance) - introduisent une forme originale de travail de groupe dans le supérieur. Dans le temple même du cours magistral...
Mais nous n’avons pas exigé que toutes les disciplines scolaires soient ici interrogées à tour de rôle. Si vous ne trouvez pas votre matière scolaire préférée, ce n’est pas un oubli : le travail de groupe peut s’organiser et se mettre en place pour toutes disciplines, de la maternelle à l’université, en passant par la formation des adultes et des maîtres. Et ce qui vaut pour une matière et un niveau d’enseignement donnés peut être, à moindre frais, adapté pour d’autres disciplines et ailleurs.
C’est donc réellement un outil pédagogique transversal dont nous vous proposons, en fin de dossier, un « guide » pratique qui donne d’utiles indications pour programmer ces activités, constituer les équipes, évaluer leur travail. Ce guide fait la synthèse de ce qui ne peut être ignoré pour mettre en œuvre la pédagogie de groupe.
Raoul Pantanella, professeur honoraire de lettres.
le 5 mai 2004De nouvelles pratiques à visée philosophique se développent actuellement dans le système scolaire français, en particulier à l’école primaire et au collège. Ayant touché d’abord des innovateurs, elles sont désormais favorisées par certains responsables institutionnels. Le problème de la formation, tant initiale que continue, se pose donc avec leur élargissement, car la philosophie n’est pas au programme officiel.
Le symposium tentera de faire un inventaire des démarches et outils d’analyse disponibles ou souhaitables de ces nouvelles situations éducatives et pratiques professionnelles, en travaillant leur spécificité didactique. Il s’agira notamment de prendre en compte : la forme discussionnelle dominante qu’elles ont prises (comment analyser, par l’observation, la vidéo, le script etc. ce type de débat, sa spécificité épistémologique, l’éthique revendiquée, les différents types de dispositif, les interactions cognitivo-langagières du groupe, le rôle du maître, les fonctions des élèves etc.) ;
la visée philosophique qu’elles poursuivent (repérage des expériences à faire et/ou des types d’exigences intellectuelles à mettre en oeuvre) ;
leur effet sur l’éducation à la démocratie .
CERFEE-IRSA (Montpellier 3) et LIRDEF (IUFM et Montpellier 2)
le 30 avril 200410, rue Chevreul, 75011 Paris
(métro Nation ou Rue des Boulets)
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