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Les études d’essence psychologique sur le changement ne manquent pas. François Baluteau présente, ici, dans le champ des sciences sociales, une étude au souci épistémologique revendiqué. La sociologie se montrant attentive à l’actualité, l’histoire sociale visant une explication d’un temps disparu, il propose de concilier ces deux approches pour comprendre le changement dont il rappelle qu’il est constat mais aussi espérance.
Le changement scolaire, comme réalité du présent, est décrit dans une première partie avec les concepts de « logique » et « configuration ». Ainsi l’auteur montre-t-il que : « La réalité d’aujourd’hui n’est pas simplement le résultat d’une suite d’événements, mais un entrelacement, toujours original, de formes déjà disponibles. » Cette idée de forme est proche de l’idée de monde de Boltanski et Thévenot et se rapproche de la notion de forme scolaire de Guy Vincent. « Une figure réunit, en somme, des êtres de différentes sortes liés par des principes formant une logique d’action et donnant sens à leur existence et à leur relation. Ils tissent ainsi un réseau hétéroclite mais cohérent. »
Dans une deuxième partie est proposée une lecture causale du changement. Différentes causalités sont suggérées, renvoyant aux épreuves de force, au jeu des acteurs - décideurs, agents, usagers. Ces causalités sur différents registres mènent à l’idée de réseau pour en signifier les interpénétrations et posent la question de la tension entre deux couples d’oppositions : permanence/discontinuité, changement global/mouvement séparé.
Une troisième partie met à l’épreuve le « Discours de la méthode » précédent à travers trois thèmes distincts : l’orientation scolaire, la culture du secondaire, l’EPS comme discipline scolaire.
Le souci de sociologue de François Baluteau est double. D’une part, il s’agit de dépasser une vision qualitative des objets de recherche qui ne prendrait pas en compte l’histoire qui les a précédés et en réduirait ainsi la compréhension. D’autre part, il lui semble nécessaire de penser en terme de réseaux, tant l’intrication de logiques différentes est à l’œuvre dans la constitution des formes d’organisation.
Un ouvrage utile pour penser la complexité et nécessaire pour sortir des enfermements disciplinaires dans le domaine des sciences sociales. Une lecture donc obligée.
Michel Develay
La première question qui se pose est : pourquoi « Analyse des situations éducatives », et pas « Analyse des pratiques professionnelles », selon la formule qui est maintenant reconnue par tous ? Question plus pertinente encore quand on connaît Yveline Fumat, Claude Vincens et Richard Étienne, membres éminents du « groupe de Montpellier », pionnier en France de cette nouvelle approche.
Philippe Perrenoud dans l’introduction établit le distinguo en écrivant « L’analyse des situations n’est pas encore une analyse des pratiques, mais elle y conduit. » Je crains d’être irrévérencieux, mais je ne suis pas d’accord : l’analyse des situations éducatives telle qu’elle est décrite dans ce livre est beaucoup plus qu’un simple préalable susceptible de donner des matériaux bruts à un traitement plus poussé et subtil qui les raffinerait. Pour avoir entendu Michel Tozzi, autre membre du fameux groupe, le préciser nettement, je pense que ces deux analyses correspondent à deux approches différentes et irréductibles l’une à l’autre, deux paradigmes. La première, extérieure et rationnelle, vise à l’instauration d’objets de connaissance universels ; la deuxième, compréhensive et menée de l’intérieur, édifie des sujets dans leur singularité. La formulation choisie pour le titre permet donc de lever l’ambiguïté que l’on ressent fortement quand on essaie de promouvoir l’analyse des pratiques selon le deuxième paradigme face à des gens qui n’ont que le premier en tête. Nous avons dans l’équipe de formateurs à l’analyse de pratiques de l’IUFM d’Amiens ressenti le même besoin et suivi la même démarche en modifiant l’intitulé de nos stages pour arriver à : « Analyse de situations vécues ».
Pour illustrer cette démarche, les auteurs ont choisi de mener l’étude approfondie du GEASE. Un autre titre de ce livre aurait d’ailleurs pu être : « Petit manuel pratique et théorique du GEASE ».
Pour ceux qui l’ignorent encore, le GEASE (groupe d’entraînement à l’analyse des situations éducatives) est l’outil principal de formation à l’analyse de pratiques imaginé et mis en œuvre par le groupe de Montpellier. C’est un dispositif d’analyse en groupe de situations vécues et évoquées par les participants, organisé en un certain nombre d’étapes rigoureusement cadrées. L’ensemble quand on le vit pour la première fois peut paraître à la fois simple, voire simpliste et abusivement codifié, presque ritualisé. À l’expérience, on se rend compte de l’extrême richesse du dispositif, liée à sa très grande fonctionnalité. Le GEASE, c’est comme ces rares objets techniques particulièrement bien pensés et réalisés : tout va tellement de soi que l’on n’imagine pas la très grande sophistication des rouages qui les meuvent. Le décorticage mené ici du déroulement du GEASE (chapitre 1), puis l’exposé des « outils et enjeux de l’analyse » à partir d’exemples augmentés de juste ce qu’il faut d’aperçus théoriques (chapitre 2, complété par les 12 questions du chapitre 3), permettent de comprendre en quoi il s’agit un outil d’analyse et de formation particulièrement efficace. Ce faisant, il illustre clairement ce que peut apporter l’analyse des pratiques selon le deuxième paradigme.
La lecture de ce « manuel » me semble bien sûr indispensable tous ceux qui pratiquent des GEASE, particulièrement les animateurs, qui y trouveront des réponses à de nombreuses questions qu’ils peuvent se poser, mais aussi des participants qui voudraient en savoir plus sur ce qu’il s’y joue. Elle me semble tout aussi essentielle pour ceux qui voudraient mieux comprendre la démarche d’analyse compréhensive, que d’aucuns nomment clinique, à laquelle nos esprits cartésiens restent toujours en partie rebelles.
Patrick Réhault
La formation, Jacky Beillerot, l’avait montré il y a plus de vingt ans, constitue pour les sociétés, la
pierre d’achoppement des mutations sociales qu’elles planifient. La maxime patronale et la revendication syndicale d’une « formation tout au long de la vie » prolongent et amplifient la nécessité de se pencher sur la formation des adultes. Seule la formation, autoriserait l’évolution des pratiques, des marchés et de l’emploi. Sans formation pas de changements personnels concevables, pas de transformations sociétales envisageables.
L’ouvrage de Philippe Maubant s’empare de la question de la formation des adultes à partir d’un double constat.
D’une part, la formation des adultes semble relever tout à la fois d’une idéologie empruntant aux courants de l’Éducation nouvelle (Freinet, Peuple et culture, les Francas ou les CEMEA...) et à des courants néocomportementalistes (les référents des diverses ingénieries). Pourquoi ? Et comment concilier ces deux sources de référence ?
D’autre part, la formation des adultes emprunte énormément aux idées pédagogiques relatives à l’éducation des enfants. Comme si la formation des adultes était synonyme de pédagogie scolaire, rabattant la dimension des pratiques (objet central de la formation) sur la question de l’acquisition de contenus disciplinaires (objet nodal de l’enseignement).
On le voit, les apparents paradoxes que manie Philippe Maubant sont riches de problématiques diverses dont s’empare l’ouvrage à travers cinq chapitres. 1. Les pédagogies des adultes, quelles spécificités ? 2. Les réalités des pratiques pédagogiques des formateurs ? 3. Penser l’acte d’apprendre pour penser l’acte de former ? 4. Des pratiques pédagogiques au plan de formation, de l’analyse des pratiques à la formation des formateurs 5. Les pédagogies des adultes entre tradition et illusion.
La conclusion ? « Il n’y a pas de pédagogie spécifique de la formation des adultes. Il n’y a que des pédagogies disponibles pour les éducateurs, quels que soient le public et la situation éducative. » Le cou est tranché à l’idée d’ingénierie pédagogique.
Le regrettez-vous ?
Michel Develay
En racontant jour après jour ce qui ne va pas dans les IUFM, l’auteure met le doigt sur des éléments clés de la crise que connaît actuellement la formation d’enseignants et la formation d’adultes en général. C’est un fait, beaucoup de formateurs IUFM promeuvent ou condamnent des termes et des notions qu’ils ne prennent pas toujours la peine de définir : c’est le cas du « cours magistral », des « vieilles méthodes », de l’« apprendre à apprendre »... au point de donner à penser que la formation est avant tout une occasion d’affirmation identitaire et idéologique. De même, les nombreuses tentatives de singer les pédagogies actives et non-directives (notamment en usant et en abusant de questionnaires introductifs) face à un public qui a des attentes précises est maladroit et improductif. Enfin, ne consacrer que six heures de la formation annuelle de professeurs des écoles à l’enseignement de la lecture et de l’écriture relève de choix sans doute discutables, tout comme la priorité donnée systématiquement à la pédagogie par rapport à la didactique.
Mais au-delà de ces critiques non dénuées de pertinence, Rachel Boutonnet assassine l’IUFM en le regardant à travers une grille de lecture préalablement conçue et structurée. Estimant avoir acquis les repères nécessaires grâce à ses études de philosophie et à la lecture de De l’école (« ce fut pendant un an mon livre de chevet »), l’auteure, malgré une ingénuité feinte, a décidé de mener ce procès avant même d’en constater de visu la légitimité. Le ton de son journal, rédigé dès le premier jour de l’année dans le but clairement affirmé de dénoncer ce qui se passe dans les IUFM, est d’emblée hostile (« Je ne suis pas sûre d’aimer cette ambiance »). Aux origines du malaise, il y a d’ailleurs un malentendu sur ce en quoi doit consister la formation d’un professeur des écoles : alors que Rachel Boutonnet n’attendait visiblement rien d’autre qu’un enseignement lui apportant, dans toutes les matières, les connaissances permettant de traiter le programme de l’école élémentaire, elle n’admet pas qu’on réfléchisse sur les savoirs et les cours eux-mêmes et dénigre systématiquement toute attitude réflexive.
Dès lors, on ne sera pas surpris que rien ne trouve grâce à ses yeux. Au terme d’une réflexion délibérément subjective, très impressionniste et, cela va sans dire, sans références autres qu’une brève expérience personnelle, la distinction entre savoirs ponctuels, notionnels et conceptuels est décrétée inutile (p. 48), partir des représentations des élèves « ne sert qu’à perdre du temps », l’autoévaluation est démagogique dans son principe, la définition des objectifs des séquences revient à sacrifier à des « théories prétentieuses »... On passera sur les approximations (« l’apprenant doit être actif dans la construction de ses apprentissages ») pour constater que ce livre peut au moins nous apprendre que la mauvaise volonté conduit aux incompréhensions les plus graves. Il est d’ailleurs instructif que la deuxième partie de l’ouvrage, rédigée « à froid », un an plus tard, pour faire le point sur des préceptes pédagogiques entraperçus à l’IUFM, soit beaucoup plus nuancée : la critique de ces préceptes dénonce en général leur application exclusive et dogmatique, tout en en reconnaissant l’intérêt intrinsèque.
On signalera tout de même la position d’un problème de fond, p. 34 : « La finalité d’une séquence sur les dents est l’hygiène bucco-dentaire. Et moi qui pensais naïvement qu’il s’agissait de faire un peu de sciences naturelles ! » La question des finalités de l’École est posée, réactivant le débat instruction éducation. Mais le fait qu’il soit bien mieux posé ailleurs dispense de la lecture du livre de Rachel Boutonnet, sauf à vouloir mesurer à quel point les préjugés peuvent être dévastateurs.
Suzanne Bauer
le 5 mai 2004Dédier à Philippe Meirieu un abécédaire qui défend et illustre la pédagogie constitue le premier mérite d’un ouvrage qui en a bien d’autres. Il faut dire que LIFE est l’anagramme de l’équipe de recherche en sciences de l’éducation de Genève, le laboratoire innovation formation éducation coordonné par Monica Gather Thurler et dont Philippe Perrenoud n’est pas le membre le moins connu de nos lecteurs. Il y a quelque effronterie à publier aujourd’hui un tel ouvrage car, pas plus que le crime, la pédagogie ne paie pas de nos jours. J’aimerais inciter le plus grand nombre de collègues à délaisser les écrits doloristes sur l’éducation pour se précipiter sur cet ouvrage collectif qui dit des choses sérieuses sur l’École sans jamais se prendre au sérieux.
Pour avoir préfacé et réalisé un lexique de termes du métier, je tiens à relever l’originalité des choix faits : si figurent des mots attendus comme didactique ou transmission, d’autres non moins méritants comme l’évaluation sont chassés du paradis éducatif. Il est vrai que l’enfant-au-centre lui a volé la place et qu’il contribue à rendre la lecture plus plaisante comme l’inénarrable yaka ou encore X-Files ; mais là, le choix était moins pléthorique. Chaque membre de l’équipe a donc écrit trois pages sur un sujet qu’explicite le sous-titre 26 façons de renoncer au dernier mot. Le chapitre commence par une ou deux citations judicieusement sélectionnées puis se poursuit par une synthèse claire mais jamais péremptoire du concept abordé. Ainsi, « le constructivisme n’est pas d’abord une pratique, mais une attitude de recherche, une posture d’appréhension du monde, une problématique qui consiste à voir tout développement biologique, psychologique et social comme la résultante d’une construction, faite d’organisations et de réorganisations successives de la pensée, à des niveaux croissants de complexité. » (p. 28-29) Pour finir, trois ouvrages sont recommandés et leur adéquation au sujet développé permet au lecteur d’entrer progressivement dans le monde des sciences de l’éducation ou, si l’on veut faire plus simple, dans la planète école, cette planète si proche et si méconnue. Pour accompagner le lecteur, les dessins simples et féroces de Barrigue et de Mix et Remix ponctuent le propos en lui fournissant la dose nécessaire d’autodérision.
L’hommage rendu aux pédagogues n’empêche pas la lucidité des analyses qui vont toutes dans le sens d’une réforme de l’École construite par ses acteurs et non par une bureaucratie quelconque. Comment ne pas suivre cette proposition : « Peut-être la réforme la plus urgente devrait-elle porter sur la façon dont on prend les décisions et on traite les gens ? » (p. 39). Cette leçon de courage due à Philippe Perrenoud est confirmée par l’injonction d’Olivier Maulini qui nous insuffle le courage des commencements quand il part de ce constat trop rarement fait : « Il faut d’abord refuser la fatalité, et ensuite le niveau monte. » (p. 60). Monica Gather Thurler profite de l’article qualité pour croiser le fer avec les technocrates d’une éducation réduite à des savoirs techniques : « On peut parier que seuls parviendront à élever durablement la qualité de leur enseignement les systèmes qui en feront l’expression d’une préoccupation et d’une vision collectives, plutôt qu’une arme utilisée par la bureaucratie contre les acteurs. » (p. 70)
Outre son aspect plaisant, ludique même, cet ouvrage ne se contente pas de déjouer la simplification abusive et pernicieuse des plumitifs antipédagogues, de donner des éléments clairs et précis qui serviront de viatique à tout étudiant en sciences de l’éducation soucieux d’acquérir une culture générale sur l’enseignement scolaire. Il va plus loin et répond pleinement à l’engagement pris dans l’introduction (p. 10) : « Les chercheurs peuvent également choisir de descendre dans l’arène. » Les chercheurs en sciences de l’éducation ont un rôle à jouer dans les évolutions des systèmes éducatifs. Ce n’est sans doute pas celui, toujours décevant, de conseiller du prince. Ce serait plutôt celui plus humble d’acteur parmi d’autres acteurs, d’acteur jouant un rôle spécifique mais pas éminent pour autant. La solution est esquissée dans la dernière page de l’abécédaire (p. 96) : « L’école gagnerait à un pilotage négocié des grandes orientations de la réforme et des décisions majeures à prendre en cours d’implantation. » Autrement dit, l’impossibilité de mener un débat sur l’école illustre bien l’erreur tragique de méthode qui a consisté jusqu’à maintenant (voir le débat national de 2003-2004 en France) à demander, dans le meilleur des cas, aux uns et aux autres de s’exprimer, puis à confisquer leur parole au moment de la mise en action. Au lieu d’aller répétant qu’il est impossible de réformer l’école, LIFE nous rappelle que c’est la méthode démocratique qui transforme les acteurs en auteurs et permet d’envisager (enfin !) la démocratisation de l’École.
Pour terminer, le livre innove en confiant sa dernière partie à trois enseignants-chercheurs qui sont ses premiers lecteurs : Jean-Pierre Astolfi débusque les obstacles que le sens commun dresse sur le chemin d’une transformation de l’École, François Audigier nous livre trois lectures et une leçon magistrale (qu’il associe ironiquement au constructivisme) sur la manière dont les mots choisis ou oubliés de l’équipe genevoise contribuent à panser les maux de l’École. Enfin, Bernard Charlot n’y va pas par quatre chemins pour établir pourquoi « le débat avec les antipédagogues est impossible ». Leurs propos incohérents, leur conception de l’élève et de la société et leur mépris pour la transmission des savoirs ont bien du mal à dissimuler leur élitisme scolaire fondé sur un « principe d’inégalité entre les hommes » (p. 119). Tout au plus leur reconnaît-il le mérite d’avoir entretenu la vigilance à l’égard de pratiques socioculturelles qui ont fait dériver quelques équipes vers des jeux sans enjeu.
Un livre plaisant à lire, riche, vif et nerveux qui témoigne de ce que peut produire une équipe soucieuse de répondre à un double défi de lisibilité et d’utilité sociale. Il fallait écrire un ouvrage de cette trempe pour illustrer le beau mot de pédagogie et rayer de la carte le vocable honteux de pédagogisme si abusivement forgé sur des extrémismes religieux. Aux lecteurs des Cahiers pédagogiques de confirmer leur engagement dans une action dans laquelle ils se reconnaissent.
Richard Étienne
le 5 mai 2004Que faire lorsque le cours traditionnel “ne passe plus” et qu’il finit par décourager élèves et...enseignant ? Il faut tenter de pratiquer autrement et se lancer dans des situations d’apprentissage qui alternent travail de groupe et cours magistral, devenu alors un moment de réponses attendues et souhaitées par ceux qui auront d’abord cherché des solutions ensemble.
le 5 mai 2004Une réflexion qui se propose de mettre en cohérence les différentes situations d’enseignement et les modes de regroupement des élèves. Un plaidoyer en faveur d’une grande souplesse dans la variété des groupes choisis pour permettre aux élèves d’apprendre « en toute liberté ».
le 5 mai 2004
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