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Une gymnastique de précision

La tâche complexe est intimement liée à l’acquisition de compétences, comme le rappelle le préambule du socle commun. Elle apprend aux élèves à gérer des situations qui mobilisent et combinent un ensemble de savoirs, de connaissances, de capacités. Sa maitrise ne se réduit pas à une somme de tâches simples à effectuer les unes après les autres. L’enseignant ne peut donc pas la simplifier sans en altérer la nature.

La tâche complexe place l’élève devant la nécessité de faire des choix dans l’élaboration d’une solution personnelle en tenant compte de ses propres ressources (et éventuellement de celles qu’on lui met à disposition). Souvent, il n’y a pas de solution unique, mais plusieurs solutions acceptables, satisfaisantes, plusieurs démarches de résolution possibles. Les divers paramètres et variables de la tâche complexe sont alors autant de possibilités pour l’enseignant pour aider singulièrement ses élèves. Il peut suivre un processus en deux temps permettant à ses élèves d’apprendre dans et par la complexité.

Observer et analyser

Un premier temps consiste à proposer et présenter la tâche complexe et ses caractéristiques. Les élèves tentent de la résoudre sans aide de la part de l’enseignant. Ce dernier les laisse se confronter seuls à la tâche en n’intervenant ni sur les connaissances, capacités et attitudes, ni sur les procédures à mobiliser, enseignées dans différentes leçons préalables. Ses interventions se limitent aux questions d’organisation (mise à disposition de matériel, régulation des relations à l’intérieur d’un groupe d’élèves). Il observe l’action de ses élèves, les procédures mises en œuvre, avant d’analyser leurs productions pour repérer ce qui peut leur fait obstacle. En définitive, l’enseignant essaie de savoir si ses élèves ont réussi, dans ce contexte d’apprentissage inédit, à mobiliser, convoquer et agréger les savoirs acquis antérieurement pour devenir réellement compétents, c’est-à-dire répondre de façon satisfaisante aux contraintes de la tâche complexe.

Un deuxième temps vise la proposition de guidages à partir du bilan des réussites et de ce qui reste encore à travailler ; avec par exemple l’apport ou la réactivation de connaissances pour résoudre la tâche complexe ou pour y répondre de façon encore plus satisfaisante. Les aides apportées peuvent aller jusqu’à la construction d’un dispositif de différenciation pédagogique avec la proposition d’une « situation cible », c’est-à-dire aménagée pour répondre momentanément aux besoins de certains élèves pour progresser. Autrement dit, travailler par tâches complexes oblige à travailler la question de la différenciation, puisque si certains élèves peuvent résoudre la tâche complexe seuls, d’autres auront besoin d’une aide, mais tous n’auront pas besoin du même étayage.

Faire le deuil

Enseigner par tâches complexes, c’est se préparer à ressentir certaines frustrations ou se sentir déstabilisé. D’une part, parce qu’il faut admettre que le travail par tâche complexe ne suppose pas la réussite immédiate des élèves, contrairement à ce qui pourrait se passer quand on leur propose un exercice d’application ou de restitution. D’autre part, parce que l’enseignant constate souvent que ses élèves n’utilisent pas les règles, formules ou connaissances pourtant apprises et intégrées il y a peu de temps. En situation complexe, ils peuvent être facilement en surcharge cognitive ou émotionnelle et cela peut altérer leur activité adaptative pour trouver des solutions satisfaisantes. Ainsi, certains d’entre eux ont recours spontanément à des procédures faciles, sures (par essai erreur) pour eux, parce que jugées sécurisantes. Ce n’est parfois que grâce aux guidages proposés par l’enseignant que les élèves parviennent à mobiliser des procédures ou stratégies de résolution de problème plus complexes.

Il est donc indispensable que l’enseignant prévoie plusieurs séances, qu’il se donne du temps et qu’il en donne à ses élèves. Cette gestion du temps est déterminante pour qu’ils puissent relever le défi des tâches complexes exigeantes, défi pensé non seulement à l’échelle de la leçon, mais aussi du cycle et du parcours de formation. L’enseignant doit également se donner le temps de trouver les clés pour interpréter le plus justement l’activité adaptative de ses élèves en situation complexe, pour évaluer ce qui leur fait momentanément obstacle, en prenant en compte les différents rythmes d’apprentissage. S’il arrive à bien construire ses situations didactiques et à cibler les aides en fonction des besoins singuliers de ses élèves, il verra que cela en vaut la peine. Sans cette rigueur, l’inquiétude de ne pas finir le programme risque de l’emporter. Une gymnastique qui n’est certainement pas évidente et qui invite l’enseignant à changer de posture professionnelle, à oser le pari de la complexité.

 

Activité musculation en terminale CAP bâtiment peinture menuiserie

 

La tâche suivante est proposée : « Votre patron répond souvent à des appels d’offres de chantiers exigeants physiquement, musculairement (ravalement sur de grandes façades, agencement de gros panneaux de bois). Conscient de cette pénibilité, il tient à préserver la santé de ses employés. Pour cela, il vous demande de prendre sous votre responsabilité la préparation et l’entretien physique de vos collègues de travail. À chaque début de journée de chantier, vous disposerez de quinze minutes pour mener cette expérience. Faites au mieux pour que tous vos collègues puissent se préparer. Soyez vigilants, car il y a certainement quelques exigences et contraintes de préparation à respecter et à mettre en relation avec celles de votre travail (postures de travail). Inspirez-vous de votre expérience issue de l’EPS dans l’activité musculation, des ateliers professionnels ou de vos stages en entreprise pour concevoir et réaliser l’une de ces séances. Votre patron et certains de vos collègues vous feront un retour sur ce que vous avez proposé. »

Après que les élèves ont réalisé cette tâche complexe, l’enseignant identifie ce qui a pu interférer ou parasiter la réussite de ce projet, pour déterminer leurs besoins et proposer en conséquence différents axes de transformations. Ici, son intervention consiste à guider le choix de ses élèves pour qu’ils s’engagent dans des parcours de progrès pertinents et différenciés. Il adopte pour cela une attitude questionnante, les interroge sur les raisons de leurs choix au regard des informations et des observations. Il lui faut être vigilant pour ne pas proposer une aide substitutive visant « à faire à la place de » mais plutôt une aide instrumentale consistant « à donner les moyens de ». À partir d’une identification des problèmes rencontrés par les élèves, l’aide et la différenciation de l’enseignant peuvent s’inscrire en réponse à différents problèmes. Ce peut être la mise en projet des élèves sur un registre temporel : si le temps de la séance proposé par l’élève dépasse largement les quinze minutes ou atteint difficilement les neuf minutes, cela peut être l’expression de la difficulté de l’élève à planifier ou à proposer différents ateliers, à gérer le passage du travail prévu au travail réalisé. Ou bien c’est la pertinence des exercices proposés qui est en question : il faut des exercices adaptés aux exigences professionnelles et aux profils des collègues, compte tenu de leurs ressentis et de leurs sensations. Dans le projet de certains élèves, il manque des ateliers qui prennent en compte des zones musculaires, pourtant sollicitées en milieu professionnel. Il peut s’agir aussi de la mauvaise exécution de certains exercices : les correctifs à apporter sont d’ordre moteur, ils concernent des paramètres d’entrainement ou de préparation à respecter (amplitude des mouvements, posture, respiration ou vitesse d’exécution). L’enseignant propose en conséquence des situations cibles en fonction des problèmes identifiés. Ces situations déterminent un projet de transformation pour chacun des élèves. Elles visent à les doter de procédures et de moyens, pour qu’ils soient en mesure de tous progresser en se confrontant ensuite une nouvelle fois à la complexité.

L. C.

 

Loïc Coudray
Professeur d’EPS en lycée professionnel


Pour aller plus loin

Julien Gagnebien, Éric Abiven, Jean-Marc Volant, « Penser et enseigner la complexité pour construire des compétences », Les dossiers de l’EPS de l’académie de Rennes n° 2, octobre 2010.

Pour illustrer encore autrement ce propos, nous renvoyons à une tâche complexe en éducation physique et sportive pour des élèves de terminale baccalauréat professionnel en boulangerie-pâtisserie, dans l’activité VTT.

Document texte : http://eps.tice.ac-orleans-tours.fr/eva/sites/eps/IMG/pdf/lcoudray_diaporama_tc_vtt_niv4.pdf

Document vidéo : http://www.dailymotion.com/video/x2w2d23?collectionXid=x3izqf