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Suffit-il de savoir pour savoir enseigner ?

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Dessin de Charb paru dans le n° 478, « L’éducation au développement durable : comment faire ? ».

Il paraît que pour bien enseigner, il suffirait de maitriser son sujet, d’avoir des savoirs universitaires disciplinaires à transmettre. Le reste serait inné, sans doute ? Drôle de métier, qui ne connaitrait pas de « gestes » professionnels, qui ne nécessiterait pas de formation continue… Et si l’enseignement était plutôt un métier qui s’apprend ?
« Que l’on permette à votre servante de croire qu’un professeur qui domine plus qu’un autre son sujet, s’il acquiert cet art si spécifique qu’est l’art d’enseigner, sera toujours le meilleur des pédagogues, et que l’agrégation est ce cadeau que fait la nation à ses enfants, de leur offrir, pauvres ou riches, ce qu’elle a de meilleur. »
Natacha Polony « À quoi servent les agrégés ? » le 25 mai 2010 sur son blog

Le débat est vieux comme l’enseignement. Le « maître » enseigne à ses disciples qui écoutent sa parole et apprennent ainsi. Cette image héritée de l’Antiquité continue à imprégner les esprits. La création de l’agrégation il y a 250 ans correspond à cette logique : l’« excellence académique » est alors la seule manière de définir l’enseignant. Le Capes est quant à lui créé en 1950 mais ne comporte pas non plus d’épreuves sur la capacité à enseigner.

« Pourtant, pour qu’un enseignant s’intègre de façon efficace dans le contexte de son nouveau métier, au sein du système éducatif dans son ensemble ou à l’échelle de son établissement, il est important qu’il ait une idée claire et précise de ce que l’État attend de lui, des valeurs du système dont il est désormais membre, des compétences essentielles qu’il est supposé mettre en œuvre, des valeurs qu’il doit transmettre et que tout ceci constitue pour lui une sorte de « contrat » ou de « charte » avec son employeur et avec la Nation. »

Rapport du Comité national de suivi de la réforme de la formation des enseignants et personnels d’éducation, présidé par Daniel Filâtre », « Vers un nouveau modèle de formation tout le long de la vie » http://www.education.gouv.fr/cid110079/reforme-formation-des-enseignants-vers-nouveau-modele-formation-tout-long-vie-novembre-2016.html, novembre 2016.

Les choses sont un peu différentes pour l’enseignement primaire. Même si on y apprend surtout les disciplines qui vont construire la polyvalence des instituteurs et institutrices, la formation dans les écoles normales prévoit aussi une dimension pédagogique. Le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson (première édition en 1882) sera dans toutes les bibliothèques de ces écoles normales.

La distinction demeure jusqu’aux IUFM (créés en 1990). Toutefois, les concours de recrutement des enseignants du second degré continuent à être essentiellement disciplinaires et académiques et ne comportent pas vraiment d’épreuves professionnelles (sauf dans quelques rares matières comme l’EPS). Mais la formation, y compris dans le second degré, va désormais comporter une dimension professionnelle. « Enseigner est un métier qui s’apprend » devient sinon une évidence, du moins une conviction partagée.

Des IUFM aux ESPÉ

Mais cela ne va pas de soi pour tout le monde. Un ministre de l’Éducation (Luc Ferry) proclamait, il y a quelques années à l’Assemblée, qu’il suffisait de maîtriser des connaissances pour savoir enseigner. Et en 2010, c’est un de ses successeurs Xavier Darcos, qui pour des raisons budgétaires, supprime l’essentiel de la formation initiale des enseignants. Ceux-ci se retrouvent à temps plein dans des classes avec seulement quelques heures de formation au cours de l’année. C’est la formation sur le tas avec un tuteur, qualifiée de « compagnonnage » qui devient la règle dominante.

La loi de refondation va supprimer les IUFM et les remplacer par les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPÉ) et rétablir la formation en alternance (moitié du temps en classe, l’autre moitié en formation). Les concours vont être rénovés et comporter dans le second degré des épreuves dites « professionnelles ».

On pourrait se dire que la question est réglée et ne fait plus débat. Pourtant, aujourd’hui encore on parle bien trop souvent de l’enseignement comme d’un art ou d’une « vocation ». Tout ce vocabulaire repose sur l’idée implicite qu’il n’est pas nécessairement utile d’apprendre à enseigner. De la bonne volonté, du « bon sens » et de solides connaissances suffiraient pour faire de vous un enseignant.

Un « expert », un savant, n’est pas forcément a priori un bon enseignant. Certes, il est important de bien connaitre sa discipline d’enseignement, ne serait-ce que pour se sentir à l’aise et que cela se voie dans la classe. Les problèmes de discipline sont bien souvent des problèmes de discipline ! Ensuite, il est important d’être passionné pour faire partager la « saveur des savoirs ». Mais il y a évidemment un gros travail de transposition didactique : savoir organiser une séquence de cours, choisir l’ordre des concepts et des méthodes, repérer les résistances et difficultés aux apprentissages, tout cela s’apprend et n’est pas inné.

Faire apprendre

Il ne s’agit pas seulement de « transmettre » mais de « faire apprendre »… Ce simple changement de perspective conduit à repenser la manière de faire cours. Le modèle strictement transmissif où on considère le cerveau des élèves comme un vase à remplir trouve très vite ses limites. Et aujourd’hui on ne peut faire l’impasse dans une formation d’enseignant sur la connaissance des mécanismes d’apprentissage.

Et puis pour « faire apprendre », il faut déjà établir le contact. On ne peut pas ne pas tenir compte la dimension affective et relationnelle de l’enseignement. Savoir motiver les élèves et les embarquer dans les apprentissages suppose qu’on crée un climat propice et qu’on sache gérer une classe. L’expert ne doit pas non plus oublier qu’il est un « ex-pair ». L’empathie, la compréhension des erreurs pour y apporter une remédiation ne sont pas des postures faciles à trouver. D’autant plus quand on est un ancien « bon élève ». Tous ces éléments doivent aussi faire partie d’une formation digne de ce nom. Cela passe par une approche réflexive sur ses pratiques qui trouve mieux sa place au sein d’un collectif.

On pourrait se dire que tout cela s’apprend « sur le tas ». On a aussi évoqué le « compagnonnage » comme un mode de formation pertinent. Le mot n’est pas innocent et nous renvoie à l’histoire. L’apprenti observe le maître en train de faire pour reproduire ensuite les gestes et les techniques. Cette méthode a été très efficace… pour ne rien changer ! La transmission par cette seule méthode conduit au conservatisme et à l’immobilisme. Et elle fait fi aussi de la personnalité de chacun et de la nécessité de trouver son propre style d’enseignement. C’est plutôt par la confrontation de plusieurs regards, de plusieurs formateurs et de ses pairs qu’on parvient à construire sa compétence d’enseignant et à justifier ses choix pédagogiques.

Il y a aussi un principe d’isomorphisme : on enseigne souvent comme on a été formé. Si l’on veut que le métier change, il ne faut pas seulement enseigner la pédagogie, il faut la faire vivre avec des dispositifs de formation variés qui mettent les stagiaires en situation d’activité. C’est parce qu’ils l’auront vécu dans leur formation qu’ils seront mieux convaincus de leur transférabilité dans leur propre enseignement.

Savoir enseigner

« Savoir enseigner » est donc aussi un savoir. Ce n’est pas seulement le produit de l’expérience car celle-ci doit être formalisée et faire l’objet d’une démarche réflexive. « Il n’y a rien de plus pratique qu’une bonne théorie mais il n’y a rien de plus théorique qu’une bonne pratique », disait le psychologue Kurt Lewin. Penser sa pratique, non seulement cela s’apprend, mais cela se fait mieux dans la confrontation, la coopération et la mutualisation. Il y a aussi à comprendre le fonctionnement du cerveau, des mécanismes de l’apprentissage et de l’attention ainsi que des mécanismes sociaux qui peuvent agir sur les élèves. Et connaitre aussi le fonctionnement de cet être si particulier qu’on a quelquefois tendance à oublier quand on est adulte : l’enfant, l’adolescent…

Et puis il est bon de rappeler que le métier d’enseignant ne se réduit pas à la seule transmission des connaissances mais qu’il comporte aussi de nombreuses autres dimensions qui doivent faire l’objet d’un apprentissage : travailler avec les parents, en partenariat, conduire des projets, des réunions, permettre l’orientation des élèves…

Enfin, quand bien même on considérerait que seules les connaissances sont utiles pour enseigner, il faudrait de toutes façons les actualiser et les renouveler. Mais plus généralement, il faut bien admettre qu’on n’est pas formé une fois pour toutes. La formation initiale ne doit être considérée que comme une étape : tous les personnels devraient avoir droit à une formation continue substantielle. Confieriez-vous votre santé à un médecin qui se vanterait de ne s’être jamais formé depuis sa sortie de la faculté de médecine ?

Enseigner est un métier qui s’apprend, collectivement et tout le temps !

Philippe Watrelot
Enseignant de SES, formateur à l’ESPE de Paris

Ce qu’en dit Ernest Lavisse

« Au régiment, on apprend au simple soldat à commander, en le mettant devant un peloton de soldats : j’imagine qu’il commanderait mal un peloton de généraux. La leçon qui sera faite devant le jury d’agrégation pourrait donc être très bonne en elle-même, et détestable si on la transposait devant un auditoire de vrais élèves. Et si le candidat parlait devant le jury comme il le ferait devant des élèves de quatrième, l’épreuve aurait un caractère de puérilité qui étonnerait fort les juges. L’étudiant prépare donc à la Faculté ses leçons sans aucune préoccupation pédagogique et, quand il se trouve pour la première fois devant de véritables élèves, il n’a jamais réfléchi sur la façon de leur parler […]. Il faut donc organiser dans les Facultés l’apprentissage du professorat […] et charger celui des maîtres qui aura l’aptitude la plus marquée pour cet office de diriger cette préparation pédagogique. Il mettra les futurs professeurs en contact avec la vie réelle, soit en demandant au recteur d’envoyer à la Faculté de temps à autre une classe de lycée, soit en envoyant lui-même les étudiants au lycée […]. Les élèves de Faculté recevraient ainsi une éducation professionnelle qui n’a été donnée jusqu’ici à aucun professeur de l’enseignement secondaire. »

Questions d’enseignement national, 1885.


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