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Pratiques théâtrales dans l’éducation en France au XXe siècle : Aliénation ou émancipation ?

« Faire du théâtre » à l’école serait toujours bon. Le théâtre serait un médecin de l’école et soignerait certains élèves par un rapport au savoir différent (p. 57 et 96).
Christiane Page entreprend une analyse complète du théâtre à l’école et commence par le relier historiquement à l’éducation nouvelle. Elle établit un lien entre la laïcité qui est au fondement du caractère obligatoire de l’enseignement et l’éducation nouvelle qui vise à respecter la liberté de penser de l’enfant dans une attitude de soutien et d’accompagnement (p34). Roger Cousinet prône une expérimentation rigoureuse pour l’éducation nouvelle sur deux axes : la liberté et le travail de groupe (p. 45). Il distingue activités de connaissance et activités de création. Même si cette distinction est dépassée et Cousinet un peu oublié, ses conceptions nourrissent encore les pratiques artistiques à l’école. De nos jours, il y a trois axes : l’initiation aux pratiques, la rencontre avec les œuvres reconnues et des méthodes à maitriser (p. 49). Se pose la question de la spécialisation des intervenants à côté de l’enseignant. Sont-ils des artistes ? Des enseignants spécialisés ? Le partenariat est l’objet de l’ANRAT (Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale), spécificité française, qui est aussi une école du spectateur.
En 1946 l’EPJD (Éducation Par le Jeu Dramatique) créé par Jean Vilar, Jean-Louis Barrault, Roger Blin entre autres, se propose de « mener les élèves à la maitrise de soi pour leur création personnelle » (p. 267). Peu à peu se construisent la notion de jeu dramatique et la figure du dramaticien (p. 91 et 258) (par Miguel Demuynck). L’enfant apporte sa vie, les idées appartiennent à tout le monde et font l’objet d’une prise en charge collective. On a le droit de ne pas jouer… Dramaticien et enfants joueurs sont comme les bricoleurs de Lévi-Strauss : ils n’ont pas tous les outils et bâtissent quand même…
Dans les années 30, Léon Chancerel (1886/1965), qui est souvent considéré comme un père fondateur du théâtre/éducation, cherche les conditions d’un théâtre professionnel digne des jeunes spectateurs… Sa personnalité problématique, « fascistoïde » (p. 171), est longuement décrite : retour aux valeurs sures du passé, l’individu se doit au groupe (« un seul corps, un seul cerveau en plusieurs personnes »), mené par un (bon) chef, c’est « l’orchestique ». Les jeux dramatiques sont donnés aux enfants : « il faut agir sur leur imagination ». (p. 174).
Deux conceptions du théâtre à l’école s’exercent : une didactique disciplinaire, autoritaire, proche des manières ordinaires de l’école ; et une entrée dans le processus de création, lié au groupe et aux singularités des enfants. Cependant, ces deux directions ne sont pas perçues et pas décrites comme telles. Faire du théâtre semble être toujours une seule et même chose. Christine Page en prend deux exemples actuels : le livre-guide Petits spectacles à jouer en maternelle, Éditions Retz, propose une conduite serrée des activités théâtrales (les enfants n’ont pas d’initiatives à prendre) sous couvert « d’initier les enfants à leurs propres créations personnelles » et, à l’opposé, Béatrice Manneville propose des trames et bâtit des spectacles, avec les enfants, à partir d’improvisations, d’écritures… et engage avec eux le processus créatif.
Christine Page éclaire ces deux tendances, éthiques et esthétiques, par un apport historique. Le théâtre n’est pas en soi un contenu, toujours bon pour l’enfant et bon pour l’école. Il peut être une discipline scolaire (presque) comme les autres ou une entrée dans la création.

Aurélien Péréol