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Orientation scolaire : les procédures mises en examen. Quel débat dans une société démocratique ?

Bernard Desclaux vient de publier Orientation scolaire : les procédures mises en examen. Il poursuit une finalité ouvertement « démocratique ». On a souvent parlé de démocratisation lors de l’accès de toutes et tous à l’enseignement secondaire mais les sociologues ont préféré les termes de démographisation ou de massification. Quel est l’enjeu de l’orientation ? S’agit-il de préparer une affectation dans des formations pour que les entreprises bénéficient de talents et aptitudes révélés par des tests ? Ou de faire coïncider un projet d’élève avec ses résultats scolaires dans un système régi par la notation ? Voire de remplacer les filières par un système d’options, comme le fait la réforme du lycée ?

C’est le sujet d’un chapitre qui s’intéresse aux « Jalons d’une histoire de l’orientation en France ». On y voit s’installer une « colonne de distillation fractionnée » selon Antoine Prost (p. 22). L’unification du système scolaire se fait par aboutement de deux modèles issus de l’histoire ; une communale républicaine et un lycée napoléonien. En conséquence, les paliers d’orientation s’élèvent au fur et à mesure jusqu’à ne plus subsister qu’en fin de 3e mais l’instauration d’un socle commun de connaissances et de compétences en 2005 auquel on adjoint la culture en 2013 crée une absurdité : il faut à la fois faire du commun et sélectionner.

Qui a le dernier mot en matière de décision ? Parents et élève mineur gagnent au fil du temps en droit à la parole et même en capacité de préserver leur avenir en ne se voyant plus condamnés à la « vie active » et en bénéficiant d’un droit au redoublement. Mais la vraie question est évacuée : l’arbre de l’affectation cache la forêt de l’éducation à l’orientation (EAO). L’auteur examine « les causes de l’échec de l’EAO » (p. 51) : « nous devons faire le choix entre le maintien des actuelles procédures d’orientation et la démarche éducative, car elles marchent toutes les deux à contre-courant » (p. 54).

Pour déjouer cette machine infernale, le livre étudie ce qui empêche le collège d’être « unique » et aboutit à l’idée d’un « lycée unique » qui reposerait sur une disparition des procédures au profit d’un cheminement de chaque élève car il faut avant tout régler le compte de ce qui l’empêche : le paradoxe d’une évaluation qui impose d’enseigner à tous pour sélectionner les heureux élus. La production de notes et de moyennes se révèle très éloignée de la transmission à l’élève des modes et formes d’élaboration du jugement professoral. Il y a aussi le choix fait d’unification du corps enseignant : obtiens d’abord ta licence disciplinaire puis on te fera passer un concours qui se réfère aux « matières » à enseigner avant de te faire subir une année de « stage en responsabilité ». Où est la formation dans tout ça ? Notamment pour l’accompagnement à l’orientation et pour la fonction de professeur principal ! C’est la preuve de l’existence d’« un système fonctionnant à l’élitisme » (p. 72). L’examen des changements dans l’orientation en lycée d’enseignement général et technologique confirme un affichage de « belles intentions » (p. 77) dont on ne peut voir la mise en œuvre sur le terrain malgré force appels et consultations de sites : les procédures sont opaques et leur application bien difficile à comprendre.

La Cour des Comptes considère le système incapable d’atteindre les objectifs fixés et propose de situer le palier d’orientation en fin de 2e, ce qui va dans le sens d’un lycée unique. Or, les procédures actuelles se présentent « comme le résultat d’un processus décisionnel et non comme un processus de développement personnel continu » (p. 139) à l’inverse de la définition européenne qui parle d’un « processus continu d’appui aux personnes tout au long de leur vie pour qu’elles élaborent et mettent en œuvre leur projet personnel et professionnel en clarifiant leurs aspirations et leurs compétences par l’information et le conseil sur les réalités du travail, l’évolution des métiers et professions, du marché de l’emploi, des réalités économiques et de l’offre de formation » (p. 144-145).

Deux chapitres montrent l’urgence d’une révolution dans l’orientation : « l’évolution des procédures sous le ministère Blanquer » et « la continuité lycée-enseignement supérieur ». L’émission non classée de dix vœux et la progressivité du renoncement pour « libérer des places » dans Parcoursup ne plaident pas en faveur de sa réponse à la belle définition européenne. Le retour et le recours au redoublement à presque tous les niveaux font aussi craindre le pire. Derrière l’écran de fumée de l’accompagnement en 2e apparaît nettement une volonté de faire des économies en diminuant les horaires et de pratiquer un pouvoir d’influence sur les familles qui devront se situer par rapport aux propositions du conseil de classe. Il en va de même pour la continuité entre lycée et enseignement supérieur : la suppression d’APB ne fut qu’un geste profitant de l’indignation liée au tirage au sort imposé aux universités par l’histoire et Parcoursup ne fait que consacrer une « décharge de l’État et de sa responsabilité et [un] renvoi de celle-ci sur chacun » (p. 233).

Rédigée pendant le confinement, la conclusion souligne la portée du diagnostic posé : « L’élitisme républicain fondé sur la méritocratie scolaire cache en fait un élitisme social » (p. 238) qui aboutit, en cas de continuité pédagogique provoquée par une pandémie, au « décrochage pour les familles qui sont éloignées de[s] codes [de l’école] » (p. 242). Raison de plus pour que les procédures cèdent le pas à des formes nouvelles d’accompagnement des personnes dans leur orientation tout au long de la vie !

Malgré quelques difficultés de lecture provoquées par le « collage » de textes issus d’un blog, ce livre souligne l’urgence d’une révision du parcours éducatif en vue de faciliter le cheminement de chacun, à l’instar de l’intitulé du Hors-série numérique 45 « Cheminement d’élève et parcours avenir ».

Richard Etienne