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Aujourd’hui, la commission d’enquête « sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession » vient de rendre son rapport. Celui ci est rédigé par le rapporteur Jacques Grosperrin (Les Républicains, ex-UMP) et on peut le lire en ligne sur le site du Sénat sous le titre “Faire revenir la République à l’École”. J’avais été auditionné par cette commission d’enquête le jeudi 9 avril 2015 et j’en avais rendu compte sur mon blog. Mon intervention (le propos liminaire d’une part et les réponses aux questions des sénateurs d’autre part) sont toujours visibles sur le site du Sénat.

Dans mon premier billet de blog qui rendait compte de cette audition, j’avais dit ma surprise lorsqu’un sénateur assis confortablement dans son fauteuil de velours rouge m’avait dit que j’étais dans «un déni de la réalité» alors que j’enseigne depuis 33 ans et pour l’essentiel dans des lycées de banlieue… J’ai failli me lever et partir à ce moment là et je me dis, avec le recul, que j’aurais dû le faire en demandant au sénateur Grosperrin, qui formulait cette incongruité, pourquoi, alors, m’avoir invité à venir et m’exprimer, si c’était pour disqualifier alors ma parole ?

Cette commission d’enquête était une mascarade. Et le mot est faible. Il m’en vient de plus grossiers. Le rapport rédigé par le sénateur Grosperrin relève de la malhonnêteté intellectuelle. D’abord parce que la majeure partie des personnes invitées allait dans le sens où il voulait déjà aller. Et qu’ensuite les conclusions qu’il en tire semblaient déjà écrites avant même ces auditions…

J’étais évidemment méfiant en me rendant à cette convocation. Mais je suis respectueux des institutions de la République et je suis aussi toujours convaincu qu’il faut porter la parole du mouvement que je représente y compris en «milieu hostile». Car, il ne faut pas être dupe, cette commission d’enquête au titre à rallonge et finalement très explicite était une initiative de l’UMP/les «Républicains» (les guillemets sont volontaires). La sénatrice Marie-Christine Blandin (Groupe Écologiste), membre de cette commission, le rappelle très clairement dans un communiqué publié sur son blog. Elle explique aussi pourquoi elle a voté contre ce rapport.

Au delà des «valeurs de la République» dont J. Grosperrin considère qu’il faut les inculquer voire les asséner comme un catéchisme à des jeunes a priori suspects, le rapport se transforme vite en une sorte de manifeste pour une école conservatrice et fondée sur les conceptions les plus rétrogrades des apprentissages.

Peut-être l’auteur de ce rapport cherche-t-il avec un tel propos à se positionner pour un futur poste de ministre de l’Éducation dans un nouveau quinquennat sarkozyste qu’il appelle de ses vœux ? On ne sait si cela relève de la conviction ou de l’opportunisme. Car on a connu en effet Jacques Grosperrin plus nuancé et subtil lors de précédents travaux sur l’éducation (notamment lorsqu’il était député et qu’il travaillait sur la formation des enseignants).

Quoi qu’il en soit, on ne peut qu’être attristé et même scandalisé par le temps et l’argent dépensé par cette honorable institution pour écrire de telles inepties. Il y a de quoi en perdre ses «repères républicains»!

Philippe Watrelot
Président du CRAP-Cahiers pédagogiques, professeur de SES en lycée et blogueur

Billet publié sur le blog de l’auteur.

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