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Le texte de Martin

Un temps pédagogique particulier s’est instauré tous les matins pendant deux semaines : c’est ce que l’on appelle les Ateliers, organisés autour de thématiques décidées conjointement entre les Membres de l’Équipe Éducative (MEEs) et les élèves. Ainsi, ont pu exister des ateliers tels que : « Comprendre les neurosciences : des neurones à l’amour », « L’île de Pâques : enquête sur la chute d’une civilisation ». De même, les activités d’après-midi, décidées pour l’instant par l’équipe éducative seule, se construisent en partie autour des savoirs disciplinaires et en partie autour d’inventions pédagogiques croisant plusieurs approches. Ainsi, ont vu le jour des activités telles que « Metropolis, analyse filmique, réécriture et langue allemande », « Les transformations en sciences », « J’écoute, j’écris ».

sur la durée

D’autre part, un projet sciences s’est déroulé sur une année entière en 2013-2014 autour du thème « Le vide ». Il reprend vie cette année autour du thème « Hasard et déterminisme ». Comme tous les projets à l’année au Lycée Expérimental, il s’agit de construire un groupe volontaire pour travailler cette thématique sur toute la durée, et d’aboutir le plus souvent à une production présentée à la collectivité du Lycée et éventuellement à un public plus large. Pour cela, les différents temps du Lycée peuvent être investis, des ateliers aux activités, en passant par les réunions du midi, les rendez-vous hors temps scolaire, des journées banalisées. Comme toujours au Lycée Expérimental, le groupe décide de son organisation et en réfère au Conseil d’Établissement. Cette grande liberté ouvre des possibles très riches, ce qui permet à la fois à des élèves très différents de participer de manières multiples, mais aussi au groupe de déployer sa créativité et de s’organiser en fonction de ses besoins.

Et comme pour toutes activités au Lycée Expérimental, le principe de co-gestion est central : tout se discute et se décide entre Membres de l’équipe éducative et élèves, en dehors de toute procédure de vote et en dehors des relations hiérarchiques qui tissent habituellement les relations scolaires. Ainsi, chaque élève et chaque membre de l’équipe est amené à apporter sa parole, son regard, à partager sa vision, ses représentations, ses savoirs, à déployer avec les autres sa créativité. Ainsi, l’articulation entre désir et travail, si souvent difficile à mettre en jeu avec des adolescents s’avère nécessaire et le travail défini ensemble devient un levier éducatif puissant pour que chacun puisse grandir. C’est ainsi que les Membres de l’équipe éducative, eux-mêmes, peuvent être emportés dans un projet qui dépasse leur formation universitaire initiale et leur statut disciplinaire strict.

Sciences en conscience

Au cours du projet sciences, une collaboration s’est installée avec Isabelle Drouet, enseignante chercheuse en philosophie des sciences et en logique. Le groupe s’est à plusieurs reprises penché sur des articles publiés par notre intervenante dans différentes revues de vulgarisation scientifique. Ces articles abordent notamment les interprétations des probabilités ainsi que l’élaboration de liens de causalité déduits d’une étude statistique et probabilistes de certains événements ou phénomènes. Dans ces analyses de textes, si l’entrée mathématiques apparaît d’emblée comme la plus évidente et comme un outil précieux pour décoder et expliciter certains passages, il devient aussi rapidement évident que les propos embrassent la philosophie, la logique autant que les sciences.

Comme souvent au Lycée, lors de nos travaux de groupes, membres de l’équipe éducative et élèves ont réalisé, ensemble et comme des pairs, la lecture et les échanges qui s’en suivent. À plusieurs reprises, nous avons convoqué des illustrations prises dans les différents champs du savoir ou des expériences diverses, comme des pratiques théâtrales personnelles, ou nous nous sommes appuyés sur des extraits de textes préparés pour le bac.

Alors que nous avions la chance d’avoir notre intervenante Isabelle Drouet avec nous, nous lui avons demandé de reprendre avec nous des extraits de son article « Des corrélations à la causalité » paru dans la revue Pour la Science. Le groupe avait déjà travaillé l’article, chacun à des degrés divers. Suite à un temps de reprise des arguments, Isabelle Drouet a évoqué ce qui allait devenir (mais nous ne le savions pas encore) le sujet de longs échanges qui tortureraient bientôt nos esprits. Alors que nous échangions autour des rapports entre théorie et pratiques dans le monde des sciences, l’auteure a en effet abordé la querelle qui oppose les réalistes et les instrumentalistes au sujet des entités théoriques qu’on ne peut pas voir. Deux écoles de pensées du monde des sciences et du monde tout court qui nous ont permis d’aborder le questionnement autour du langage à utiliser pour parler des sciences. Évidemment entre ceux qui pensent que les objets dont parle la science sont réels (les réalistes) et ceux qui les considèrent comme des fictions utiles (les instrumentalistes), chacun interroge sa conception du monde dans lequel il vit. Ici, les disciplines tentent de se faire un peu entendre et proposent des notions à interroger à l’aune de ce clivage, l’atome en physique et chimie, le gène en SVT, ou les mathématiques dans leur globalité… Est venu le temps de poser ses pensées par écrit pour y mettre un peu d’ordre, photo de la pensée de l’instant que l’on pourra partager avec les autres. Martin, un autre élève, sera le premier à s’y jeter. Son texte peu clair pour l’auditoire est retravaillé dans la foulée et distribué à tous. Son travail devient notre nouvel objet d’étude, notre article commun, chacun l’éclairant de ses exemples. Surtout, Martin, son texte, il en a fait un texte qui questionne la notion de vérité.

Extrait du texte de Martin :

« Il existe deux mouvements de pensée ayant des oppositions, des avis, des vérités contraires : le réalisme et l’instrumentalisme. L’instrumentalisme pense que les concepts déduits des observations ne peuvent pas être considérés comme réels, vrais. L’autre pense que ces théories prennent existence grâce à la déduction des observations. Ces deux concepts énoncent des conditions d’observation et la pratique d’un langage. Cette vérité pour le réalisme est considérée comme utile par les instrumentalistes mais pas vraie. Les concepts peuvent être donc partagés, qu’ils soient considérés comme un concept utile ou comme un concept de vérité. S’ils partent d’un prémice, d’un axiome, d’une théorie de base commune pour arriver à un concept, c’est que peut-être ce concept, n’étant pas considéré comme vrai, empêche un renouveau du travail en commun. Si cela conduit à une différenciation dans la notion de vérité, cela amène aussi un énoncé de la vérité comme un moyen et non comme un but dans une optique de travail en commun (la vérité étant l’axiome et non la finalité). […] La vérité est donc moyen, condition et unification et est donc antérieure à l’élaboration et le sujet en est dépendant. Mais elle peut être aussi dépendante du sujet, subjective, et ainsi plus malléable et superficielle. »

Christophe Juin, Mathieu Herbreteau, Pierre Seigneur
Membres de l’équipe du lycée de Saint-Nazaire
Julien Rougelot
Ancien membre de l’équipe du lycée de Saint-Nazaire