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La chimie pour une école en couleurs

Parisien, Freddy Minc est passé de l’autre côté du périphérique dès son agrégation obtenue. « J’enseigne au lycée Galilée de Gennevilliers depuis treize ans. Je me suis senti bien ici dès le départ ». Avec une mère marocaine et un père polonais, il a grandi dans un riche métissage culturel aux accents populaires. Une bourse d’état lui a permis de poursuivre des études en chimie, un domaine qui le passionne. Rien d’étonnant alors que son choix se porte vers un établissement niché dans un quartier qui ressemble à celui de son enfance, le vingtième arrondissement. « Les élèves ici ont envie de réussir, de bénéficier d’une formation que leurs parents n’ont pas forcément eue. »
Freddy Minc depuis toujours marie les couleurs sur des toiles. Joindre ses deux passions pour battre en brèche les a priori sur la chimie lui a semblé naturel. Comment motiver les élèves, comment faire pour qu’ils aiment les sciences ? La réponse tient en un principe : « de la chimie, je n’en ai jamais parlé ». Au départ, il organise un atelier le mercredi après-midi sur son thème fétiche, celui de la couleur. La chimie est partout mais la chimie fait peur. « J’ai choisi de ne pas faire une entrée directe. Dans chaque couleur, il y a des molécules extraites de la nature ou fabriquées en laboratoire ». Pour créer eux-mêmes des couleurs, les élèves recherchent dans la nature des minéraux, végétaux et animaux qui fourniront des pigments. Ils observent les effets des mélanges, découvrant par exemple que le fer associé à un autre élément donne du noir ou du rouge et constatent que c’est la chimie qui explique ces couleurs.

photo_1_site.jpgL’atelier rencontre le succès et les activités investissent d’autres disciplines que la chimie. Il devient un fil conducteur tout au long de l’année pour les sections STL (sciences et techniques de laboratoire). Pour reconnaitre les plantes et réaliser les extractions, les sciences de la vie et de la terre sont sollicitées. Comment la prospérité que tirait la France de l’élaboration de pigments s’éteint progressivement lorsque l’Allemagne développe la fabrication en laboratoire des colorants ? Où trouvait-on la cochenille, la garance ? La curiosité efface les frontières entre les matières. Freddy Minc associe sans peine ses collègues. Dans la salle des profs du lycée Galilée, l’art et la réussite des élèves sont des intérêts partagés. «Le projet est global, interdisciplinaire, ambitieux, pour s’investir toute l’année et dépasser l’amusement ». A chaque année sa thématique et des évènements qui y sont associés où les travaux des élèves sont valorisés en laissant une trace visible et partagée. Tour à tour, la transformation de la matière, l’élaboration d’une palette de pigments, la représentation de la classification de Mendeleiev, les portraits des grandes figures de la chimie ont donné lieu à des manifestations en particulier lors de « Faites de la science » et ont donné aux murs du lycée de nouvelles couleurs.

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« Dans ma classe, je vis dans la couleur » raconte Freddy Minc. Des toiles carrées de 20 centimètres sur 20 s’exposent sur les murs dans un mélange d’expression artistique et de chimie. Sur chaque carré coloré, le nom d’un élément chimique est inscrit en calligraphie et en écriture classique. Les élèves ont fabriqué les dizaines de teintes nécessaires en laboratoire, utilisé du jaune d’œuf, de l’huile de lin ou de la gomme arabique pour liant. Les travaux ont été démontrés et exposés devant les parents qui découvrent un autre visage de la chimie expliqué par leurs enfants.
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La reconnaissance dépasse l’enceinte de l’établissement et du quartier. Le tableau périodique des éléments dans lequel les 18 familles d’éléments étaient représentés par des colonnes de 18 couleurs différentes a reçu le premier prix du Palais de la Découverte dans le cadre de « Faites de la science ». La fresque est encore exposée dans le Musée, une reproduction orne le hall du lycée. Les couleurs étaient issues de pigments naturels ou synthétiques, support d’expérimentation pour vérifier que les deux origines donnent au final le même produit. « Si on regarde de plus près, le chimiste fabrique à l’identique ce qui se trouve dans la nature. Ce constat va à l’encontre des idées reçues sur la chimie » souligne Freddy Minc.
D’année en année, de plus en plus de disciplines sont impliquées dans les projets. En 2010, le travail sur les pavages afin de proposer une interprétation de la mosaïque de la Mosquée de Fez a associé étroitement les mathématiques. Construite à partir de répétition d’objets géométriques, les élèves ont étudié les types de figures, les phénomènes de rotation, ont réalisé une véritable analyse mathématique.
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En 2011, la célébration des 200 ans de la chimie incluait une approche historique, géographique, des études de textes en langues et des interventions en arts appliqués afin de créer des portraits en noir et blanc. « Un maximum d’enseignants interviennent. Cela donne un sens général au travail de l’élève en passant d’une discipline à l’autre sur le même thème, en les reliant ». Cette année c’est le centenaire de la guerre 14-18 qui sera exploré, avec côté chimie un travail sur les uniformes et en particulier sur leur teinture. «En quatre ans, les uniformes ont beaucoup évolué. L’industrie textile avait pris le sujet à bras le corps. » En physique-chimie, les élèves étudient comment les colorants se fixent sur la laine, leurs interactions avec les fibres. Les dimensions historiques, économiques et géographiques sont notamment évoquées.

Au fil des années, Freddy Minc et ses collègues délaissent l’obsession du programme à finir pour bâtir des projets faisant écho pour le parcours et la motivation des élèves. « Pour durer dans ce métier, il faut se lancer à chaque fois dans la découverte d’un sujet. C’est le projet qui nous anime toute l’année et puis le programme est réalisé ». Piquer sa curiosité et celle des élèves est un facteur de motivation pour tous. En se posant des questions, tous apprennent, sollicitant les compétences en interne et ailleurs. L’Institut du Monde Arabe est un partenaire des projets, des visites au Musée des Gobelins, au Palais de la Découverte, au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, sont organisées. Le projet ouvre aussi vers l’extérieur, vers des lieux qui mêlent art et sciences. Le passionné de chimie n’est jamais loin : « Il faut une matière première constituée d’atomes pour qu’il y ait richesse culturelle. La chimie fait partie de la chaîne artistique ». Les rencontres avec d’autres univers sont également pour les élèves une source de découverte de métiers pour leur futur parcours professionnel. Sept ans après le démarrage de l’atelier de chimie du lycée Galilée, la motivation est intacte. Le soutien de la direction, la reconnaissance institutionnelle, le plaisir d’apprendre, les résultats aux examens et l’aspect collectif en sont sans doute les ressorts. Mais pas seulement, l’expérience, Freddy Minc et ses collègues la partage avec d’autres enseignants lors de sessions de formation, et cet essaimage donne une valeur inestimable à leur initiative. L’enseignant complète ce partage en collaborant un jour par semaine avec le Palais de la Découverte pour élaborer des documents pédagogiques à destination des professeurs liant programmes et thèmes de visite.

« Plus on est ambitieux, et plus on arrive à motiver les élèves. Et puis faire petit demanderait autant d’efforts avec moins de résultats ». Freddy Minc voit la vie en couleurs et en grand, dans un métier d’enseignant où la découverte est un élément essentiel. « J’ai choisi le métier d’enseignant car je pensais avoir beaucoup de temps libre pour pouvoir peindre» dit-il en souriant constatant le caractère illusoire de cette idée reçue. « Chaque fin d’année, je suis exténué mais petit à petit au fil de l’été, le prochain projet germe et l’envie de repartir revient ». Freddy Minc a ce rare privilège de concilier deux passions qui au premier regard semblent éloignées : l’art et la chimie.
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Ce bonheur, il le déguste en vivant dans les couleurs aux heures de travail comme aux heures de loisirs. Dans son sillage, on se prend à dire aussi « la couleur c’est la vie, l’art c’est aussi de la chimie ».

Monique Royer