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L’enseignement des sciences économiques et sociales en Europe

Un enseignement de sciences économiques et sociales existe dans la plupart des pays européens. Il se met en place, à partir des années 50, notamment sur les recommandations de l’UNESCO[[« Comparaisons internationales », in Enseigner les sciences économiques et sociales, le projet et son histoire, E.Chatel et alii, INRP1990.]]. Il vise à combler une lacune concernant la formation économique et sociale des citoyens. Dès ses débuts, une pédagogie active et s’appuyant sur l’actualité est valorisée.
Cet enseignement existe sous des formes très diversifiées qui tiennent à l’histoire des systèmes éducatifs mais aussi aux choix curriculaires opérés. Entrer plus avant dans la connaissance de la discipline scolaire présente dans divers pays d’Europe permet de souligner à la fois les spécificités nationales mais aussi de faire apparaître des convergences. Ces dernières dessinent les caractéristiques d’un enseignement de sciences sociales à destination des élèves su secondaire.

Pour comparer les programmes scolaires, plusieurs paramètres doivent être considérés.
En premier lieu, les finalités éducatives poursuivies dans chaque pays sont-elles identiques ? S’agit-il de donner une culture commune, de préparer à l’entrée à l’Université, de former au plan professionnel ? Les programmes scolaires doivent traduire ces finalités sous la forme de plans d’étude, avec des découpages, des exercices, des horaires.

Ensuite comment l’agencement du système éducatif en filières, en matières ainsi que les modes de régulation des systèmes influencent-ils la définition des programmes et des épreuves d’examen ? Quelle est la durée de la scolarité post-obligatoire par exemple ? Elle peut être de deux à trois ans selon les pays voire quatre ans en Belgique. Ceci a une influence non négligeable sur les programmes et leurs contenus.

Enfin quelle conception de la discipline prévaut ? S’agit-il d’enseigner les sciences sociales ? Les sciences économiques ? Veut-on former des spécialistes de la discipline ou plutôt des généralistes ?

Identifier tous ces paramètres ne va pas de soi car les systèmes étant très divers, le coût d’entrée dans la compréhension de leur fonctionnement et dans la connaissance de ce qui est réellement enseigné est très élevé. En effet, il n’existe pas, à notre connaissance d’étude détaillée et comparative sur ce qui est enseigné au titre des sciences économiques et sociales dans chaque pays.
Ce texte présente plus précisément l’insertion des SES dans les systèmes anglais, danois, suédois et allemands. Des références ponctuelles sont établies pour d’autres pays européens[[Le site www.eurydice.org présente les différents systèmes éducatifs et les programmes scolaires.]].

Les structures éducatives accordent une place variée aux SES, mais cet enseignement est présent dans tous les pays.

La présence des SES, dans l’enseignement général de l’enseignement secondaire au sein d’une filière et/ou d’une option dominante semble le cas le plus fréquent.
Quand l’enseignement est intégré dans une filière (France, Espagne, Belgique, Suède) les SES sont une composante dominante de la filière. Une cohérence est alors recherchée entre les différentes disciplines de la filière. En Suède, par exemple, chaque discipline doit concourir à une meilleure compréhension des problèmes économiques sociaux, environnementaux et humains.

Dans les systèmes où les SES sont une option, plusieurs configurations existent :
– En Allemagne, en Basse Saxe, l’enseignement est composé d’un tronc commun de trois disciplines – Allemand, Mathématiques, et LV1- et deux options au choix dont la Politk Wirtschaft (POWI) économie politique.
– En Grande Bretagne, l’enseignement secondaire post-obligatoire (deux ans) est basé sur les options que les élèves choisissent librement. Les élèves qui passent le A level (examen terminal) suivent trois matières seulement. En général ils optent pour des matières proches (par exemple mathématiques et économie) mais cela n’est pas obligatoire. Les disciplines sont « mises en concurrence » et il n’y a donc pas de relations recherchées entre les divers enseignements suivis.
Dernière possibilité, l’enseignement de sciences économiques et sociales peut faire partie du tronc commun : c’est le cas danois depuis la réforme de 2005.
Pendant quelques semaines (au niveau correspondant à notre seconde) les élèves suivent un cursus de base, pour choisir une filière de formation. Les SES font partie de ce cursus.

Les élèves choissent ensuite leur filière (scientifique, littéraire ou sciences sociales) et les disciplines qui composeront le tronc commun de cette filière. Une filière comprend des matières obligatoires (dont les SES, qui peuvent faire partie du tronc commun des trois filières) et des options. Dans la filière sciences sociales les élèves peuvent choisir, en plus des SES, une option intitulée économie d’entreprise.

Dans la majorité des pays, les programmes de sciences économiques et sociales opèrent une recomposition par rapport aux savoirs universitaires et font appel à diverses disciplines.

Très généralement la discipline n’est pas une simple réplique des savoirs enseignés à l’Université. On ne retrouve pas les intitulés micro et macroéconomique par exemple, sauf en Grande Bretagne. Le plus souvent, encore, une recomposition avec plusieurs disciplines de référence (économie, gestion, sciences politiques, sociologie) est effectuée.
L’entrée par un thème d’étude est privilégiée en Suède, au Danemark et en Allemagne. (l’emploi, les inégalités …)
L’objectif est de former des généralistes et d’apporter une culture générale dans le domaine des sciences sociales. L’accent est mis sur la compréhension des phénomènes économiques et sociaux avec les outils des économistes et ou des sociologues voire des sciences politiques ainsi que sur la formation des élèves à une citoyenneté critique, dans ce cas, la proximité avec les contenus enseignés en SES est assez grande.

En Grande Bretagne, à l’opposé, l’objectif poursuivi est la formation de spécialistes. L’enseignement est une propédeutique à l’Université. Le découpage retenu (micro-économie et macro-économie) est proche des programmes de première année à l’Université. Le cloisonnement des différentes matières du A-level explique en partie cette orientation qui se concrétise par une forte spécialisation disciplinaire.
Cette conception de l’économie adoptée par les programmes a une incidence en terme de contenus enseignés et sur la posture demandée aux élèves. Ces derniers doivent comprendre les concepts en vérifiant qu’ils sont pertinents, pour résoudre tel ou tel problème. Ils doivent pouvoir évaluer l’efficacité de la politique gouvernementale dans toute une série de domaines.

Le contenu de cet enseignement d’économie au niveau du secondaire post-obligatoire a fait l’objet de nombreux débats et critiques depuis les années 70. Des enseignants[[A. Richet, DEA Université Paris 5 (2004)]] ont souligné que les élèves n’assimilent pas réellement les connaissances qu’ils doivent acquérir, parce que les programmes sont trop étroits, trop techniques voire trop abstraits.
Ces débats sont réactualisés du fait d’une chute très importante des effectifs depuis le début des années 90. Les étudiants qui passent un A-Level (en option majeure) en économie étaient 45 000 en 1989, 20 784 en 1999, 17 762 en 2004[[Beeline (EBEA) Juillet, 2006]].
Ainsi contrairement aux autres pays étudiés, l’enseignement de l’économie rencontre des difficultés en Grande Bretagne, situation qui semble profiter aux business studies (disciplines de gestion) dont les débouchés sont des études courtes dans les instituts de technologie ou à des disciplines nouvelles comme les media studies.

Des convergences pédagogiques…

Dans la plupart des pays, les méthodes pédagogiques mettent l’accent sur une pédagogie active : exposés, débats, travaux en groupes, enquêtes, recours aux médias, travaux dirigés. Il convient de partir d’exemples concrets, pour que les élèves assimilent les notions et puissent se les approprier pour analyser les situations économiques et sociales.
La volonté d’ouvrir la classe sur le monde extérieur n’est pas propre à l’enseignement des SES en France : visites d’entreprise, intervenants extérieurs dans la classe font partie des pratiques pédagogiques courantes en Europe.
Les manuels se présentent sous la forme d’un recueil de documents : des textes longs, des tableaux statistiques, supports au travail des élèves comme en témoignent deux manuels à notre disposition.[[Sozialkunde, Politik in der Sekundarstufe , ed. Schöningh (2001) – Core Economics, EBEA, ed. Heinemann, (1995)]]

L’évaluation terminale est la règle, le recours aux épreuves sur document est assez général.
– Les modalités de l’examen terminal varient d’un pays à l’autre, épreuves écrites ou orales, correction externe ou par les professeurs de l’établissement etc. ; les épreuves écrites peuvent être des essays, une dissertation en quatre heures (Allemagne), une étude de dossiers documentaires au Danemark.
– La logique du document est conservée à travers les épreuves : en Grande Bretagne comme au Danemark les épreuves sont construites en intégrant des études documentaires.
– La volonté de conduire les élèves à utiliser leurs connaissances pour analyser des problèmes économiques et sociaux est également systématique.

Que retenir de ce tour d’horizon sur l’enseignement des sciences économiques et sociales en Europe ?

Une première conclusion s’impose : l’option prise dans la plupart des pays est de contribuer à la culture générale. Il s’agit dans ce cadre de donner à connaître les grands problèmes économiques et sociaux du monde contemporain et d’initier à leurs méthodes d’analyse. Pour réaliser cet objectif, quelques thèmes seulement sont sélectionnés. Chaque pays élabore ses programmes en fonction de son histoire, de ses objectifs de formation et de son système d’évaluation, et dans ce contexte et un rapprochement avec les choix pris par les SES en France peut être établi. Cette optique a certainement contribué à la réussite de l’implantation de cette discipline nouvelle dans le second degré.

Deuxième constat, quand il s’agit de former des généralistes, les croisements disciplinaires semblent féconds pour analyser les faits économiques et sociaux et assurer le succès de cet enseignement auprès des élèves. À l’inverse, une spécialisation mono disciplinaire, propédeutique à l’Université et un enseignement peu critique semblent peu propices au développement de la discipline.

Adeline Richet, Professeur de sciences économiques et sociales.