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L’éducation en Asie

Un passionnant dossier sur un sujet trop mal connu, trop victime d’idées reçues, suite à un colloque international organisé en 2014 avec 45 intervenants étrangers, dont bien sûr de nombreux asiatiques. Ce dossier ne constitue pas les Actes du colloque, mais bien mieux en présente les grandes lignes de façon construite et structurée, ce qui est souvent bien mieux.

Plusieurs contributions soulignent qu’en fait, il n’est ici question que d’une partie de l’Asie et qu’il est difficile de parler d’ailleurs d’unité éducative, quand des différences importantes émergent entre les pays plus ou moins de tradition confucéenne (Chine – mais il est surtout question de Shanghai et sa région- Japon, Corée, avec extension à Singapour), où les résultats de PISA sont souvent remarquables, voire exceptionnels, et ceux d’une autre partie de l’Asie (Malaisie, Indonésie) où on est plutôt dans des résultats médiocres. Et Nathalie Mons, synthétisant les apports du colloque, conclut qu’il n’y a pas en fait de « miracle asiatique », mais de nombreuses questions, des tensions et en tout cas un grand intérêt à se pencher sur ces systèmes qui nous fascinent ou nous inquiètent.

Par ailleurs, les différents contributeurs restent prudents dans leurs constats et surtout leur interprétation des résultats, qu’il faut étudier avec finesse, sans gommer la spécificité de chaque système éducatif, mais sans non plus exagérer les différences, y compris avec la forme scolaire qui règne désormais dans le monde entier, fait remarquer Walo Hutmacher (« L’école en partage »).

Jean-Marie de Ketele et Bernard Hugonnier comparent les différents systèmes et essaient de relever les caractéristiques de ceux qui semblent si bien réussir : l’instruction est une valeur forte, les enseignants sont très bien considérés, les parents font d’importants efforts pour l’éducation, le travail personnel est valorisé. Mais il y a aussi une forte attention aux possibles décrochages, les enseignants les plus performants peuvent être envoyés dans les établissements plus en difficulté. En fait, dans ces systèmes, on combine apprentissage inductif par répétition, dans la grande tradition ancestrale et résolution de problèmes, centralisation dans les orientations et décentralisation et autonomie dans la mise en œuvre. On note aussi la continuité de la politique éducative qui permet le travail sur le long terme. Mais aussi la capacité à s’ouvrir et à se remettre en cause. Pour le chercheur indien Rangachar Govinda, il est temps de « développer, chez les élèves, les solutions créatives, ainsi que la communication et la réflexion critique » et de relever pleinement le défi des nouvelles technologies. Odile Luginbühl évoque l’expérimentation à Shanghai d’une « éducation nouvelle visant le développement intégral des élèves » (implication des élèves, redéfinition du cursus scolaire e champs disciplinaires autour de grands pôles, démarches innovantes). On remet en cause l’idée que « le maître a toujours raison », idée pourtant ancré dans une culture millénaire.

On remarque en tout cas l’importance de la recherche d’équité, qui ne nuit pas à l’efficacité, comme le montrent les performances de ces systèmes qui privilégient un tronc commun long.

On est loin de l’imagerie que certains (Brighelli et autres) veulent bien diffuser : une Asie où on apprend par cœur et on fait des « efforts » sans se poser de questions. Pourquoi par exemple y a-t-il un tel développement de « l’éducation de l’ombre », à savoir le soutien particulier, si couteux parfois, et très répandu (près de neuf sur dix pour les enfants de primaire en Corée du sud), signe d’un manque de confiance des familles dans le système classique et stress généralisé quant à la réussite aux examens ? Laurence Cornu et Pierre-Louis Gauthier, dans leur article : « Discours et récits sur l’éducation » mettent en avant quelques grandes questions qui apparaissent dans le débat public dans ces pays : quel héritage conserver du passé, comment ne pas faire de « la réussite au concours du mandarinat » le seul des « quatre bonheurs de la vie », comment accueillir les nouveaux discours sur la « créativité individuelle » et l’« épanouissement personnel », tout en maintenant les aspects positifs de l’enseignement classique ?

Dans un article de grande actualité en ces temps de révision des programmes français dans un sens curriculaire, Roger-François Gauthier fait un tour d’horizon des défis qu’affrontent les divers systèmes : celui de la marchandisation et du multiculturel (par exemple à Singapour), à travers des zig-zig entre conceptions traditionnelles, très compétitives et souci du bien-être des élèves et de la formation du citoyen. Ainsi, en Chine, « la réforme de 2001 entend proposer de nouvelles valeurs éducatives : d’une perspective étroite de transmission des connaissances dans la classe à une perspective oritentée vers la question de savoir comment apprendre à apprendre et à développer des attitudes positives ; de contenus périmés aux savoirs nécessaires pour la vie. » L’auteur montre bien les tensions qui existent par exemple au Japon entre « l’enfer des examens » pour beaucoup de lycéens et cette école de base, bienveillante et ancrée dans la vie locale, comme nous l’avions montré dans un dossier spécial des Cahiers pédagogiques.

En publiant, pour ses vingt ans, ce passionnant dossier, la Revue du CIEP joue pleinement son rôle de diffuseur de connaissances des systèmes éducatifs, connaissances qui nous aident à prendre du recul sur notre propre système. Nous en avons tant besoin en cette période trop nombriliste, trop centrée vers un modèle républicain français soi-disant universaliste…

Jean-Michel Zakhartchouk