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L’avenir de l’école, en altitude

Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?
La Fontaine

Prendre un peu de hauteur, l’été, dans des Pyrénées aragonaises, passer la nuit dans un refuge d’altitude à la fin d’une randonnée, ne pouvoir y fermer l’œil dans le concert de féroces ronflements, lire alors à la frontale jusqu’à épuisement des piles et de l’attention, n’avoir rien d’autre à me mettre entre les oreilles que le numéro de juillet/août du Monde de l’Éducation, tout cela m’a conduit, quasiment jusqu’à l’aube, à méditer sur « Comment penser l’école de demain » en compagnie d’un aréopage de philosophes et de dormeurs considérables…
J’ai alors picoré sans ordre ni méthode dans une mosaïque de textes divers, sautant du coq à l’âne et de Luc Ferry à Alain Finkielkraut. J’ai pu vérifier que notre philosophe ex-ministre avait bien déjà atteint largement son niveau d’incompétence pédagogique et ministérielle. Ainsi, il prétend connaître, lui, les responsables de nos difficultés : ce sont « toutes les pédagogies modernes » parce qu’elles « tendent au ludique » et rejettent « la valeur du travail » ! De plus, il s’obstine à lancer des débats byzantins comme celui-ci : faut-il « motiver les élèves avant de les faire travailler » ou l’inverse ? Il a pour sûr la solution à ce faux problème : il faut commencer « par la contrainte » ! Des idées aussi fortes étaient sur le point d’avoir raison de mon insomnie quand, dans un autre article, Philippe Meirieu me réveillait en apportant une réplique définitive à ces sophismes dérisoires : « Je ne peux pas déclencher le désir de l’autre, mais j’ai le devoir de tout faire pour que l’autre mette en route lui-même son propre désir. » Meirieu y reviendra d’ailleurs quelques jours plus tard dans son dernier ouvrage, la très roborative Lettre à un jeune professeur (ESF éditeur, août 2005) : « Tout professeur sait qu’il doit conjuguer en même temps la motivation et le travail sans établir de préalable entre les deux, ni faire de l’un des deux éléments la condition de l’autre. » Tout professeur le sait, mais pas un philosophe qui s’est voulu ministre, ou l’inverse.
Et puis, malgré les roulements d’orage qui persistaient sur les châlits, j’allais m’endormir, quand en tombant de sommeil je tombai aussi sur les doctes stupidités d’Alain Finkielkraut qui me réjouirent tant il s’autocaricaturait : les pédagogues (beurk !) et les maîtres ignares abandonnent la culture générale et Cicéron pour la culture commune et la télévision ; les élèves, ces salopards, sont, et eux seuls, responsables de ce qui leur arrive car « avant de parler de l’échec de l’école, l’échec de l’élève est le sien propre » ; et encore ceci qui relève de la galéjade politico-pédagogique : un pauvre « ministre de l’éducation a été sacrifié sur l’autel de la révolte sociale pour avoir voulu réintroduire la dictée » (sic).
Tous les articles n’étaient pas aussi involontairement burlesques, loin s’en faut, mais on y survolait de si haut les problèmes que le plus souvent les réponses apportées disparaissaient dans les questions mêmes, comme des fractales en abîme. Ne doutant plus que des réformes efficientes allaient nous arriver de ces altitudes-là, je me suis enfin endormi.