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L’atelier slam, un lieu de collaboration, d’écoute et de respect de l’autre

Enseignante d’anglais en lycée professionnel, je mène depuis plusieurs années des ateliers slam avec mes classes. Outre les bénéfices purement didactiques que l’on peut en tirer (enrichissement lexical, entrainement à la phonologie, apprentissage du rythme, de la rime, etc.), ce type d’activité constitue un lieu propice au développement de compétences psychosociales. Plus précisément, par le travail collectif auquel il donne lieu, il crée un espace de libération de la parole qui passe par un apprentissage de l’écoute et du respect de l’autre.

Qu’est-ce que le slam ?

Le slam est un art de la parole dont l’objectif est de donner vie à un texte en général, à la poésie en particulier, par la voix. À côté des compétitions officielles (régionales, nationales, internationales), des slams sessions sont fréquemment organisées dans des lieux pouvant accueillir toutes sortes de publics (bars, MJC, etc.). Tout le monde peut participer à ces sessions, sans distinction sociale, ethnique ou religieuse. Les principes clés en sont l’égalité, le respect, le partage. La définition qu’en donne le slameur Grand Corps Malade permet d’en comprendre l’essence : « Le slam, c’est avant tout une bouche qui donne et des oreilles qui prennent. C’est le moyen le plus facile de partager un texte, donc de partager des émotions et l’envie de jouer avec des mots. […] Le slam est surement un moment d’écoute, un moment de tolérance, un moment de rencontres, un moment de partage. » On comprend par conséquent tout l’intérêt d’initier nos élèves à cette pratique artistique.

Déroulé d’un atelier type

Cet atelier est parfois mené uniquement en anglais, parfois dans le cadre d’un travail interdisciplinaire qui réunit l’anglais, le français et les arts appliqués. Lorsque nous obtenons les crédits nécessaires, nous invitons un slameur (ou une slameuse) à diriger l’atelier.

Dans les grandes lignes, les ateliers se déroulent selon les étapes suivantes : une brève présentation du slam ; des exercices ludiques à objectifs multiples : travail sur les rimes, sur la voix, libération de la parole, etc. ; un travail collaboratif d’écriture et d’oralisation d’un slam commun ; un travail individuel d’élaboration d’un slam personnel, au cours duquel les pairs interviennent en tant que conseillers ; la restitution des slams communs et personnels en classe ou, selon les années, au foyer du lycée, lors d’une slam session orchestrée par le professionnel.

Dès le début, les élèves prennent l’habitude de travailler ensemble. La première série d’activités met l’accent sur le travail de la parole, de la voix, du rythme, du corps, de la spontanéité. Par exemple, la bombe de rimes : les élèves, les enseignants, le slameur se tiennent debout, en cercle fermé. Le slameur lance une balle (de tennis, de mousse, etc.) à l’un des membres du cercle en prononçant un mot. La personne qui reçoit la balle doit la relancer le plus rapidement possible, de manière aléatoire, à un autre membre du cercle, en donnant un mot qui rime avec le premier, etc. Lorsque l’un des membres ne trouve pas de mot dans un temps défini à l’avance, la bombe explose et le joueur est éliminé. Le jeu dure ainsi jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une personne, qui est alors déclarée vainqueur. Au début, la crainte de se tromper, de ne pas être suffisamment rapide et de devenir l’objet de moqueries de la part des camarades gêne beaucoup d’élèves, mais, rapidement, l’ambiance se détend, les mots et les fous rires partagés fusent. À la place des moqueries redoutées s’installe alors la solidarité. Ainsi, lorsqu’un élève éprouve des difficultés à trouver un mot, il se trouve toujours un camarade dans le cercle, ou parmi les personnes éliminées, pour lui en souffler un.

Un slam commun pour apprendre à s’apporter mutuellement

Vient ensuite le moment d’élaborer un texte en commun. À partir d’une thématique ou d’une rime, la classe donne le plus de mots possible, puis propose des phrases qui sont acceptées ou non par le collectif (les choix sont toujours justifiés), remaniées, ordonnées les unes par rapport aux autres, pour aboutir à un texte cohérent et poétique. Puisqu’il s’agit d’un slam commun à toute la classe, il en va de la responsabilité de chacun. Par conséquent, chaque élève est concentré, attentif à produire le meilleur. Lorsqu’une difficulté surgit à propos d’une rime ou du sens d’une phrase, toute proposition est discutée, argumentée, négociée au sein du groupe. Chaque ajout ou modification doit faire l’objet d’un consensus. Les interactions sont donc permanentes dans le groupe. Une fois le texte terminé, il faut décider du tour de parole de chacun et du ton sur lequel le texte sera clamé, selon l’intention résidant dans le message. Au début de l’entrainement à l’oralisation du texte, on sent à nouveau quelques réticences. Elles sont cependant de courte durée : respect et aide mutuelle étaient présents lors des exercices de début d’atelier, pourquoi en serait-il autrement cette fois-ci ? Effectivement, ici encore les élèves sont complices. Chacun écoute les autres attentivement, les remarques sont constructives et visent à améliorer la performance orale, non à déstabiliser les camarades.

Des slams personnels, mais toujours dans la collaboration

Enfin, la dernière phase de l’atelier consiste en l’élaboration par chaque élève d’un slam personnel. Si les étapes sont sensiblement les mêmes, elles se déroulent cette fois en travail individuel. Quoique… Si un élève se trouve en difficulté, il peut à tout moment solliciter l’enseignant, le slameur, ou un de ses camarades. De même, une fois la première mouture des textes terminée, chaque élève lit sa production aux autres. Pour ce premier passage, le ton importe moins que le texte lui-même. Après chaque lecture, la classe a en charge de commenter le texte. Il ne s’agit pas de dire qu’on aime ou pas, que c’est bien ou pas, mais de faire des commentaires constructifs, qui aideront les camarades à s’améliorer. Le texte étant cette fois individuel, chacun peut choisir de le modifier en fonction des remarques qui lui ont été faites, ou pas. L’expérience montre que la plupart du temps, les remarques sont prises en compte dans les modifications apportées. Enfin, si le travail d’oralisation se fait également individuellement (à l’aide d’enregistreurs MP3, d’ordinateurs ou de téléphones), des essais sont effectués devant la classe qui, encore une fois, doit proposer des remarques constructives s’il y a lieu.

Pourquoi ? Comment ? Quelques pistes de réflexion

Tous les ans, on constate, tout au long de l’atelier, une ambiance propice aux apprentissages. La peur du regard de l’autre, à l’origine de certains blocages en début d’atelier, disparait assez rapidement pour laisser place à une motivation croissante. Ceci est dû à l’aspect ludique des activités orales proposées en premier lieu car, dès que le jeu prend le dessus, le regard de l’autre perd de l’importance. De plus, le jeu construit du commun qui ne quitte plus le groupe jusqu’à la restitution finale. Ce commun se construit sur la base d’une expérience partagée de différentes manières. D’abord, celle du plaisir de jouer (avec et sur les mots). Le jeu, ici à la fois « game » et « play », met tout le monde sur un pied d’égalité. Cette phase ludique est importante car, en impliquant tout le monde d’égale manière, elle annule toute intention de supériorité ou de rivalité, et crée l’esprit de groupe nécessaire au respect de l’autre et à la collaboration. Le regard de l’autre n’étant plus un obstacle, la motivation grandissante libère la parole.

Ensuite, vient l’expérience partagée d’une écriture à plusieurs mains. Les bénéfices à tirer du travail collaboratif ne sont plus à démontrer. Entre autres choses, les élèves apprennent à « écouter, formuler des propositions, […] offrir ou demander de l’aide, partager ses soucis ou ses savoirs »[[Philippe Perrenoud, Apprendre à l’école à travers des projets : Pourquoi ? Comment ?, 1999.]]. De ce point de vue, l’atelier slam leur donne l’occasion de prendre conscience de l’intérêt du travail d’équipe, de leur propre valeur et de celle de l’autre. Chacun se perçoit et perçoit les autres comme des éléments d’un même groupe poursuivant un même objectif. De plus, l’expérience partagée de l’effort et de la difficulté les amène à envisager les camarades comme d’autres versions possibles d’eux-mêmes[[Omar Zanna, Le corps dans la relation aux autres. Pour une éducation à l’empathie, PUR, 2016.]]. Ainsi, en réalisant que les autres éprouvent les mêmes difficultés qu’eux, non seulement leurs craintes s’envolent, mais ils développent une empathie émotionnelle qui les rapproche les uns des autres, générant la parité et l’entraide. Par conséquent, au moment de la création des textes individuels, le pli est pris et l’entraide continue. Puisque chacun est à égalité devant la difficulté, sa parole mérite la même attention et le même respect. Chaque année, on constate au cours de l’atelier que tous les élèves sont attentifs à la parole des camarades, et que leurs propositions de modifications visent toujours une amélioration de la production des pairs. Grâce à cette interaction positive, ils se sentent plus à l’aise dans leur gestion de la parole, ce qui les encourage à poursuivre leurs efforts pour progresser.

En résumé, en instaurant un esprit d’équipe parmi les élèves, l’atelier slam stimule leur motivation et libère leur parole. Lieu propice à l’apprentissage de l’écoute, de la négociation et du respect de l’autre, il met les élèves en confiance et les incite à prendre des risques en expression orale. Il les aide ainsi, petit à petit, à améliorer des compétences langagières disciplinaires qui touchent également toutes les matières, tant en enseignement général que professionnel.

Catherine Gendron
Professeure de lettres-anglais au LP Freyssinet de Saint-Brieuc, chercheure au Lirtes (UPEC)