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Enseigner : apports des sciences cognitives

Cet ouvrage montre les liens entre les apports de ces recherches qui concernent la perception, l’attention, la compréhension, la mémorisation, les apprentissages, les émotions et l’enseignement. Il interroge aussi sur les relations que les chercheurs et les pédagogues pourraient entretenir pour optimiser leur collaboration au service des élèves. Enfin, si l’attrait et l’intérêt pour les sciences cognitives sont aujourd’hui très forts en ce qu’elles pourraient aider l’enfant à réussir, l’ouvrage appelle cependant à une nécessaire vigilance pour déjouer les neuromythes.


Quatre questions à l’auteure

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On entend parfois dire que les neurosciences ou les sciences cognitives n’apportent rien à l’enseignement, ou ne font que confirmer des choses que les enseignants savaient déjà.

À la base des sciences cognitives, il y a le concept de plasticité cérébrale que l’on attribue le plus souvent à William James en 1899. La notion fait consensus aujourd’hui chez les scientifiques, mais je ne suis pas certaine que les enseignants aient toujours conscience que le cerveau se modifie en fonction des expériences tout au long de la vie quand ils écrivent les appréciations sur les copies ou les bulletins, accompagnent l’orientation des élèves, émettent des jugements sur leurs capacités.

On peut citer beaucoup d’autres exemples : on pensait que l’apprentissage de langues étrangères avant l’adolescence perturbait l’apprentissage de la langue maternelle, on sait aujourd’hui que c’est l’inverse. Entrainer nos élèves à développer leurs capacités attentionnelles suppose de bien connaitre les processus mentaux, ce que permettent les neurosciences. On a gavé les enfants d’exercices ciblés répétitifs, alors que les situations complexes s’avèrent plus efficaces sur la durée. La pédagogie de l’imitation était fort méprisée, jusqu’à ce que les neurones miroirs amènent les pédagogues à se demander si elle ne devait pas être réhabilitée. Beaucoup d’enseignants pensaient que comprendre suffisait à savoir, or les connaissances doivent être réactivées régulièrement pour être acquises, initier la mémorisation relève de la responsabilité de l’enseignant. Enfin, grâce aux neurosciences, on ne peut plus contester la dimension neurodéveloppementale des troubles dys.

Même quand les sciences cognitives ne font que confirmer les intuitions des pédagogues, quand elles démontrent l’efficience de l’enseignement distribué ou d’un climat bienveillant par exemple, elles permettent de convaincre les plus réticents. Cette approche permet de passer de postures culpabilisantes, « vous n’êtes pas attentifs », « vous oubliez tout ce que je dis », « vous êtes accro à vos écrans », « vous avez des réactions spontanées irréfléchies », à des accompagnements efficaces pour apprendre à se concentrer, à mémoriser, à gérer les addictions, à développer l’inhibition.

Quelle est la différence entre sciences cognitives et neurosciences ?

Les sciences cognitives recouvrent toutes les sciences, humaines ou dures, qui abordent le traitement de l’information par le cerveau, de la psychologie cognitive aux neurosciences qui, elles, ne traitent, au sens strict du terme, que les notions biologiques et chimiques.

Vous alertez aussi sur la vigilance nécessaire à avoir face aux neuromythes. De quoi s’agit-il ?

Les neuromythes sont des croyances populaires infondées scientifiquement, des extrapolations de recherches qui donnent lieu à des dérives, commerciales ou non. Les neuroscientifiques dénoncent la brain gym, le « tout se joue avant 6 ans », l’utilisation de 10 % du cerveau, la perte des neurones avec l’âge, etc.

Des études ont montré que plus les enseignants se forment et plus ils accordent de crédit à des neuromythes comme les styles d’apprentissage (96 %) ou les dominances hémisphériques (80 %). Cette découverte contrintuitive pose la question du hiatus qui peut exister entre ce que l’on constate dans la classe et les expériences validées en laboratoire. On parle beaucoup de fonder la pédagogie sur les données probantes de la neuroéducation, mais les enseignants construisent aussi leur pratique pédagogique sur des constats non scientifiques.

Par exemple, les intelligences multiples sont considérées par les scientifiques comme un neuromythe. Mais on peut se saisir de ce concept pédagogique pour rassurer les élèves sur leurs compétences, les ouvrir à d’autres approches que celles qu’ils privilégient habituellement, diversifier les supports d’enseignement ou les modes d’évaluation, etc. Si le paradigme scientifique reste pour le moins flou, l’intérêt pédagogique n’est pas négligeable pour autant.

La gestion mentale, dont je parle longuement à la fin du livre, soulève la même question. Si la démarche d’Antoine de la Garanderie n’est actuellement validée par aucune recherche scientifique, elle n’est pas forcément sans intérêt avec les élèves.
Un véritable dialogue entre les chercheurs et les enseignants permettrait de travailler sur ces apparentes contradictions et apporterait du grain à moudre aux uns et aux autres. Ma conviction est que les sciences cognitives viennent enrichir les sciences de l’éducation, elles ne sont appelées à remplacer ni la pédagogie ni la didactique, qui restent absolument essentielles dans la formation initiale et continue des enseignants.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux sciences cognitives ?

Je me suis formée à la gestion mentale dans les années 80, cela a nourri et outillé le vif intérêt que je porte depuis toujours à l’introspection cognitive. Lorsque j’ai validé une licence de psychologie dans les années 90, pour mieux comprendre mes élèves et mes collègues, j’ai naturellement opté pour la dominante « psychologie cognitive ». Le fait que des amies proches aient des enfants multidys a renforcé ma curiosité. J’ai monté en 2004 un des premiers stages sur le sujet en France : « La psychologie cognitive pour mieux comprendre et mieux apprendre ». Depuis, je n’ai jamais cessé de me former (stages, lectures, conférences, colloques, etc.).

Propos recueillis par Cécile Blanchard