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Enseignant et éducateur, alliés pour l’inclusion

Caleb, Ève, Nathan et Amine sont tous les quatre des jeunes autistes. Leur parcours, leurs difficultés et leurs réussites sont pourtant très différents.

À cause de son handicap visible (gestes et paroles parasites, énervements et euphories spontanés), Caleb se qualifie d’autiste « hardcore ». Il est entré au Service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) à l’âge de 7 ans et intègre l’unité localisée pour l’inclusion scolaire lycée professionnel (ULIS) à 17 ans. Il a une élocution lente, sans déficience intellectuelle associée, avec un bon niveau de compréhension à l’oral comme à l’écrit. Les échanges avec lui sont très pertinents, mais nécessitent de lui consacrer du temps pour l’écouter, le comprendre et reformuler ses propos. Sa précision dans les gestes manuels professionnels est un atout indéniable, bien qu’il ait des difficultés d’attention et une lenteur d’exécution.

Ève est arrivée au Sessad à 15 ans, elle intègre l’ULIS lycée trois ans plus tard. D’un bon niveau scolaire mais présentant une inhibition de la parole et un repli sur elle-même importants, son autisme sans trouble associé fait souvent oublier son handicap et les compensations auxquelles elle a droit. L’éducateur qui la suit sait qu’elle a la phobie des notes depuis plusieurs années : à son arrivée au lycée, un abandon temporaire de la notation est mis en place. Ève souhaite construire un projet en milieu ordinaire.

Nathan est suivi par le Sessad depuis ses 11 ans et accompagné par le dispositif ULIS depuis ses 16 ans. Atteint d’autisme avec une déficience intellectuelle associée et une dysphasie importante, il communique difficilement et montre une incompréhension et une rigidité face aux situations sociales : imaginer un projet professionnel lui demande d’abord de comprendre la notion de travail et de projet. Le manque de place dans les structures spécialisées inquiète sa famille, consciente des difficultés de Nathan. Passionné de cinéma, de vidéo et de montage, Nathan s’imagine réalisateur de films. Finalement, il se révèle à l’aise en restauration collective.

À son entrée en ULIS, Amine a 16 ans et le Sessad le suit depuis ses 13 ans. Il est diagnostiqué autiste avec une déficience intellectuelle associée. Des défauts de compréhension et d’expression peuvent donner lieu à des situations conflictuelles. Les apprentissages scolaires lui sont difficilement accessibles, Amine passe la quasi-totalité de son temps au sein de l’ULIS. Sa recherche de liens avec des adultes du lycée est assez vite identifiée, ce qui est atypique pour un autiste. Au lycée, il participe à de nombreux projets : séjours, voyage artistique, championnat. Il y construit des capacités relationnelles et des liens originaux.

Tous pour eux

« Favoriser le maintien de l’enfant dans son milieu de vie ordinaire » est la mission d’un Sessad. Elle s’exerce en partenariat avec les acteurs au contact de l’enfant, en priorité avec les parents et les enseignants. Spécialisés par type de handicap, les Sessad sont dotés d’une équipe pluridisciplinaire. Être éducateur spécialisé en Sessad, c’est être à l’interface de l’environnement du jeune : l’éducateur recueille les observations des parents et des enseignants et reste en lien permanent avec les personnels paramédicaux du service. Leurs observations contribuent à l’ajustement des objectifs d’accompagnement. Ainsi, à 20 ans, Amine a pu bénéficier d’orthophonie et de psychomotricité pour accompagner son projet professionnel.

L’enseignant spécialisé, quant à lui, apporte son expertise sur le niveau scolaire et la cohérence des projets professionnels. Il est aussi le témoin des capacités d’intégration du jeune au lycée et de ses progrès au quotidien. C’est l’allié idéal de l’éducateur pour ajuster les projets au plus proche de la réalité des jeunes. Quant au lycée, il représente une passerelle vers la vie sociale et professionnelle. Il donne les premiers indicateurs des capacités d’adaptation d’un jeune dans la société.

Définir un projet professionnel

Les années lycée correspondent au moment où les jeunes sont amenés à se positionner sur leurs projets scolaire et professionnel. Projet et accompagnement sont intimement liés pour un accompagnement efficient. Le Sessad s’arrête à 20 ans et le temps moyen d’accompagnement d’un dispositif ULIS lycée est de trois ans. Il s’agit de définir, sur cette période, avec l’élève et sa famille, un projet professionnel cohérent et motivant. Ce sont les observations des compétences relationnelles et de l’adaptabilité du jeune qui donnent une première direction entre milieu ordinaire et secteur adapté. L’éducateur s’appuie alors sur les regards de l’enseignant spécialisé, des auxiliaires de vie scolaire, des professeurs de la classe d’inclusion ou encore sur les retours des autres élèves de la classe.

Pour ce faire, au lycée, nous organisons notamment un temps de concertation dans le self. Chaque semaine, un repas est partagé entre jeunes et professionnels où les difficultés et les réussites dans tous les temps de leur vie sont discutées et prises en compte. Ces échanges contribuent à la compréhension de situations parfois complexes, permettent une réaction rapide et un soutien visible, rassurant pour les jeunes. La régularité de ces regards croisés construit non seulement un lien de confiance entre les professionnels, les jeunes et leurs parents, mais participe aussi à la coconstruction des projets de vie. La place des parents est reconnue : ce sont eux qui connaissent le mieux leur enfant, qui rendent cohérents les objectifs définis par le Sessad et le lycée.

Mais être enseignant spécialisé en lycée professionnel, c’est parfois se sentir un peu seul au sein d’un établissement scolaire. Les collègues courent après le programme et le temps en vue de l’examen, tandis que lui essaie de ralentir la machine pour qu’un élève en situation de handicap puisse raccrocher ce train qui file. Alors quand l’éducateur d’un Sessad s’associe à lui pour tenter de freiner le rythme, les urgences d’orientation, et permettre à des élèves de monter dans le wagon, c’est rassurant. La réussite du projet de l’élève est l’objectif commun et la réussite finale aux examens n’est pas une fin en soi. La coopération sur ce même projet construit des visions complémentaires. L’éducateur a un regard extérieur sur le système et les exigences institutionnelles : les notes, le rapport à la norme, les sanctions scolaires et les exigences qui n’existent parfois qu’à l’école.

Le Sessad accompagne les enseignants

Les observations du Sessad sont un outil pour le coordonnateur ULIS. Ainsi pour Caleb, ce sont les bilans psychologiques et orthophoniques expliqués par l’éducateur qui ont permis de comprendre que sa lenteur d’expression n’était liée ni à la compréhension, ni à un déficit intellectuel. Pour Nathan, l’information donnée à l’équipe pédagogique du lycée sur sa dysphasie associée au trouble autistique permet de clarifier ses besoins : phrases courtes, vocabulaire simple, mots tabous à bannir, etc.

De son côté, dans notre lycée, l’enseignant coordonnateur ULIS sensibilise les élèves et ses collègues en début d’année, et le Sessad propose des formations plus poussées aux collègues des classes ordinaires qui accueillent ces élèves ou aux entreprises dans lesquelles les élèves travaillent. Cette mission de pôle ressource du Sessad a notamment permis à Ève d’être pleinement accueillie et d’éviter qu’elle passe pour une employée « simplement timide ».

Le lien entre milieu scolaire ordinaire et milieu professionnel protégé reste à construire. Le Sessad aide à ouvrir les portes du milieu professionnel protégé, propose des adaptations pour accompagner un projet professionnel tant en entreprise qu’au lycée comme, pour Nathan, l’installation de pictogrammes et photographies pour faciliter la compréhension des consignes et des espaces.

La disponibilité de l’éducateur hors temps de classe est un atout indéniable et l’accompagnement qui croise tous les lieux de vie du jeune donne du sens à ce qu’il vit. L’éducateur peut intervenir sur les lieux de stage, au domicile, au lycée, dans la gestion des transports en commun, au sein des clubs de loisir où le jeune est inscrit. Ainsi Nathan a pu bénéficier d’un temps de stage filé de deux jours par semaine, car l’éducateur a accompagné son installation. C’est aussi lui qui a identifié qu’il pouvait travailler en milieu ordinaire. De même, la moindre difficulté sur un lieu professionnel est gérée sur place dans la journée et la communication avec la famille est immédiate. Les parents d’Amine ont ainsi été informés à chaque situation relationnelle complexe. Quant à Ève, le Sessad l’accompagne dans sa transition lycée-marché du travail : recherche d’emploi, planification de son autonomie (passer le permis, trouver un appartement), demande de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH).

Aujourd’hui, son diplôme de CAP en poche, Ève travaille dans une petite cantine municipale correspondant à son profil. Caleb a obtenu une notification d’orientation en établissement et services d’aide par le travail (ESAT). Nathan, pour qui un parcours en milieu ordinaire n’est pas envisageable, vise une place de cuisinier en ESAT, et Amine poursuit son projet d’intégration professionnelle en milieu adapté. Ces quatre parcours illustrent la complémentarité des structures médicosociales et scolaires, mais aussi la complexité de l’accompagnement de jeunes autistes entre apprentissages scolaires, formation professionnelle et début de vie active.

Renaud Guy
Coordonnateur ULIS-lycée du Premier-Film (Lyon)

Genseric Melot
Éducateur spécialisé au Sessad Émile Zola – AFG Autisme (Villeurbanne)