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Comment l’école reproduit-elle les inégalités ? Égalité des chances, réussite, psychologie sociale

Cet ouvrage, dans l’ancrage des travaux les plus récents de la psychologie sociale, tente de montrer que l’on perçoit les différences de réussite à l’école en surestimant les facteurs internes à la personne au détriment des facteurs situationnels. Et on le sait déjà que dans le cadre scolaire, les inégalités des élèves et de leur famille face à la culture scolaire, sont avant tout déterminées par l’origine sociale ; et cela à tous les niveaux d la scolarité malgré l’engagement des professionnels de l’éducation et des divers dispositifs en faveur d’une école inclusive ; les inégalités subsistent même au-delà de la scolarité, c’est-à-dire dans le monde du travail.

Le premier chapitre fait état des explications dominantes du type essentialiste, du lien entre classes sociales et réussite scolaire, l’origine sociale étant un prédicteur des performances des élèves, dès l’école maternelle, et leur relégation tout au long de la scolarité vers des filières moins prestigieuses. Il y a des débats concernant la réussite des élèves par des différences interindividuelles, d’une part d’origine génétique et d’autre part produite par l’environnement social et familial. Pour certains chercheurs, l’intelligence serait innée et pour d’autres, elle serait influencée voire produite par l’environnement. L’auteur met en évidence des travaux qui ont renforcé la théorie « déficitaire » du handicap socioculturel mais également les travaux qui soulignent que « les enfants les moins privilégiés ne sont pas déficients d’un point de vue linguistique mais développent et acquièrent des pratiques langagières qui sont moins valorisées et qui diffèrent de celles développées par les enfants de milieux plus privilégiés ». Mais que l’on explique les difficultés scolaires des enfants de milieu populaire, comme dispositions formées par leur caractère inné, ou par l’environnement, il s’agit toujours d’une essentialisation et on sous-estime le pouvoir des situations scolaires sur le développement de l’intelligence et des performances des élèves.

Mais on peut aussi considérer l’esprit de la personne en interdépendance avec le monde, qui se développe avec la maturation de l’environnement et d’une manière plus sociale.

L’auteur se centre ensuite sur le rôle des croyances culturelles dans la réussite des élèves, croyances empreintes de stéréotypes positifs ou négatifs qui influencent les performances des élèves, a fortiori ceux des classes populaires. Le phénomène de la « menace du stéréotype », agit fortement sur les élèves comme une « double tâche », l’une occupée par le stress, les émotions, les pensées négatives, par la peur-même de l’échec qui mobilise les ressources attentionnelles et l’autre par la tâche scolaire spécifique à déployer. L’auteur propose d’ailleurs de travailler en métacognition sur cette « menace du stéréotype » avec les élèves, afin de comprendre leur propre fonctionnement face au travail scolaire, et également face à l’incertitude, aux peurs de l’échec, et diminuer la perte des performances.

Il est donc intéressant, avec les élèves, de dépasser une vision essentialiste et donc de l’attribution à une incompétence personnelle, mais de réinterpréter les difficultés scolaires comme une étape normale dans le processus des apprentissages, long, difficile qui nécessite de l’entraînement.

Les élèves des milieux populaires se confrontent au quotidien avec moins de ressources et plus de contraintes et d’incertitude que les élèves plus favorisés, et apprennent très tôt qu’ils ne peuvent pas « faire ce qu’ils veulent ».
 
L’auteur examine ensuite le rôle que joue le système éducatif en reprenant les thèses de la reproduction de Bourdieu et Passeron (1964, Les Héritiers. Les étudiants et la culture scolaire ; en 1970, La reproduction). Les étudiants des classes populaires sont sensibles à la force de la sélection qui influe sur les significations attribuées à l’évaluation. Aussi l’auteur propose-t-il d’utiliser celle-ci au contraire comme un outil au service de la progression des élèves.

Un autre chapitre met en évidence les interactions avec les élèves dans la classe et leurs conséquences sur les performances. Dans la classe, les élèves se trouvent confrontés à l’omniprésence de la comparaison sociale entre eux dans l’arène de la classe. De voir quelqu’un réussir est toujours une mise en compétition, peut être menaçant pour l’image de soi et mobiliser des ressources attentionnelles ; surtout lorsque les élèves pensent l’intelligence comme un élément stable et que la classe est supposée être un environnement de justice, ce qui est remis en question par l’auteur. Mais cela peut être aussi une source de motivation la réussite d’un camarade est perçue comme atteignable.

Les comparaisons sociales dans les situations de classe ont leur part dans l’amplification des inégalités scolaires. Comme par exemple, lors de situations scolaires, on observe une participation orale inégale, les enfants de classe populaire auront tendance à moins s’exprimer lors des échanges collectifs, à prendre moins la parole spontanément ou encore sont moins interrogés par les enseignants.

Le lecteur peut trouver dans cet ouvrage les mécanismes majeurs, et actualisés, en psychologie sociale, lorsqu’il s’agit de saisir ce qu’il se joue lorsqu’on juge un élève en difficulté scolaire, surtout provenant de milieu populaire. On peut espérer que l’enseignant puisse s’appuyer sur ces pistes pour modifier ses propres croyances et surtout créer des situations d’apprentissage en classe, moins menaçantes pour les apprentissages des élèves et leur estime d’eux-mêmes.

Andreea Capitanescu Benetti