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Un projet pédagogique et éducatif

L’école laïque ne relaie pas les croyances (ou non croyances) religieuses qui peuvent s’exprimer dans les familles. Cependant, elle se doit de transmettre en tant que lieu d’éducation l’attachement aux valeurs qu’elle porte : justice, égalité, respect des autres, solidarité. Mais sur quel mode ? Asséner des principes moraux, décréter ce qui est bien et ce qui est mal, au nom d’une morale civique et républicaine ? Certainement pas, si l’objectif est de préparer les jeunes à acquérir une conscience citoyenne du monde qui les entoure. C’est ainsi qu’ils feront l’apprentissage des choix que, plus tard, ils auront à opérer dans la vie de la Cité afin d’y prendre une place active et d’y exercer pleinement leurs responsabilités.

La meilleure manière d’atteindre cet objectif est de faire vivre ces valeurs par ceux qui fréquentent les lieux où l’on éduque. Pour y parvenir, il faut faire appel à leur faculté de raisonnement, nourrir leur capacité d’analyse critique. Il convient également d’exercer leur réflexion, à partir de situations qui mettent en jeu, sur des questions concrètes, les conséquences de jugements hâtifs, voire de préjugés dont ils pourraient faire preuve de manière spontanée. C’est là la démarche laïque, celle qui prépare le jeune à penser par lui-même, à s’approprier le bienfondé d’un comportement qui aboutit à ne pas exclure ni dévaloriser ceux qu’on estime différents de soi. En quelque sorte à faire sien le respect du pluralisme moral et éthique.

On ne saurait exprimer cette manière de voir les choses en l’enfermant dans une discipline, risquant par là même l’écueil du dogmatisme. C’est pourquoi nous refusons absolument de voir l’enseignement de la morale laïque devenir un enseignement disciplinaire supplémentaire : nous proposons de l’inscrire dans une démarche de projet.

-* Les modalités d’organisation

Il conviendrait d’imaginer l’élaboration d’un projet d’école ou d’établissement qui se décline en projets de classe, de groupes de classes ou de niveaux. Dans le second degré, ces projets seraient mis en œuvre par des équipes pluridisciplinaires et interprofessionnelles, chaque groupe d’intervenants étant coordonné par une personne référente (professeur ou personnel d’éducation, de santé, de service…). Celle-ci pourrait ensuite devenir formatrice pour la réalisation d’autres projets. Après un temps de concertation, chaque intervenant serait libre d’organiser son travail habituel tout en ayant le souci d’intégrer à son enseignement ou à sa pratique des éléments qui entrent dans le cadre de la thématique retenue. L’heure de vie de classe en collège est particulièrement utile pour consacrer du temps à ces questions, mais il faudrait envisager de consacrer quelques heures à une reprise coordonnée des différentes approches proposées au sein de chaque cours sous forme de débats ou de productions collectives.

Cela suppose sans doute, à terme, un réexamen des contenus d’enseignement et une forme d’allègement des programmes.

L’implication des parents, des partenaires de l’école, doit être prévue selon des modalités adaptées aux établissements, aux particularités de leur public et de leur environnement.

Dans ce domaine, l’uniformité des pratiques est, pour nous, à proscrire ; la créativité, l’imagination doivent inspirer les projets. Étant donné l’ampleur des changements de pratiques que cette démarche entrainera dans bien des endroits, nous proposons de commencer par une phase d’expérimentation pour tous les degrés, suivie d’une phase d’évaluation pour ajustement avant généralisation. Il faut noter toutefois que nos propositions ne sont évidemment pas des inventions récentes. La démarche a déjà été mise en place à plusieurs reprises dans plusieurs établissements et elle existe encore ici ou là (où elle était souvent rangée sous la rubrique « éducation à la citoyenneté »)

-* Les contenus

Il est nécessaire de disposer d’un corpus de valeurs laïques qui fasse consensus.
 À cette fin il conviendrait de préciser qui l’élabore et comment.

Toutes les disciplines, et pas seulement l’éducation civique et la philosophie peuvent apporter leur contribution pour les thématiques retenues (justice, égalité, solidarité, respect de l’autre, tolérance, etc.). À l’école élémentaire, il est plus aisé de ne pas enfermer cet enseignement dans un cadre disciplinaire. Il nous parait que la pratique de la philosophie à l’école et la mise en place des « coopératives Freinet » sont des cadres appropriés pour la transmission des valeurs. En collège, on peut imaginer de s’inspirer de ce qui figure dans les instructions de programme d’éducation civique : un thème par niveau, avec, par exemple, en 6e l’identité qui deviendrait reconnaissance ou respect de l’autre, en 5e l’égalité, en 4e la justice et ainsi de suite. En lycée, on peut continuer de décliner les valeurs, mais en leur donnant un contenu plus proche des questions d’actualité, du monde de l’entreprise et du travail, de la vie politique.

À l’école élémentaire, les temps d’échanges et de réflexion dans la classe doivent intégrer les questions qui se posent en matière de comportements moraux pendant les récréations ou la demi-pension. La vie scolaire est un lieu privilégié, dans le second degré, pour transmettre les valeurs laïques. Les thématiques, dans le second degré et dans cet espace, peuvent être abordées en construisant une charte de vie scolaire ou encore en travaillant sur les relations entre élèves, les questions de comportement en matière de tenues vestimentaires, d’alimentation, etc. Dans les lycées, les conseils de la vie lycéenne peuvent inciter à des prises de conscience sur ce sujet en organisant des débats, des expositions, des conférences des projections de films.

À tous les niveaux, la définition des fautes et délits ainsi que le système de sanctions sont des sujets privilégiés pour aborder la question de la morale laïque (égalité, justice…). Ces activités supposent l’implication des parents, des éducateurs et des personnels enseignants et bien entendu, dans le second degré, des personnels d’éducation.

-* L’évaluation

Il est indispensable d’échapper à l’évaluation individuelle telle qu’elle est pratiquée dans notre système. Puisque, de toute façon, il s’agit de traduire l’apprentissage des valeurs par les actes, nous proposons que chaque projet aboutisse à des productions collectives dès l’école élémentaire. En collège, on peut s’inspirer des modalités de fonctionnement des itinéraires de découverte et en lycée des TPE.

L’évaluation pourrait aussi s’opérer, dans les établissements, lors de temps de présentation au public (parents, partenaires de l’école…) des productions des élèves, en cours ou en fin d’année. Ces moments pourraient revêtir heureusement un caractère festif ou donner lieu à des jeux-concours, des débats organisés par les élèves. L’intérêt et le nombre des participants sont des critères possibles d’évaluation.

-* L’information, la formation et l’accompagnement des personnels

Cela est indispensable si nous voulons que la démarche s’inscrive dans une culture commune de la laïcité et de ses valeurs qui, pour l’instant, fait défaut. Cette formation se ferait lors de stages d’établissement et ferait l’objet d’un suivi régulier. Ce dernier serait assuré, à terme, par les personnels référents formés à l’exercice de leur fonction. Les personnels percevraient une rémunération qui reconnaisse le temps supplémentaire nécessaire pour la concertation, la préparation et la mise en place du projet.

Anne-Marie Vaillé
Article rédigé collectivement avec les contributions de Elio Cohen Boulakia (décédé en septembre 2013), Claire Gruson, Michel Durand, Marie-Jo Blot et Janine Mezie.


Les cinq auteurs de ce texte sont membres d’un groupe de réflexion sur la laïcité intitulé « Construire un Espace Laïque ». Le contenu des propositions est donc lié au travail de ce groupe informel de réflexion ainsi qu’à celui qui a été mené au Conseil national de l’Innovation pour la Réussite Scolaire (créé par Jack Lang en 2000, ce conseil fut présidé par Anne-Marie Vaillé) sur l’enseignement de la philosophie à l’école et au groupe de recherche de l’INRP sur l’éducation à la citoyenneté, conduit par François Audigier entre 1990 et 1997.