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Travailler aussi en grand groupe

Le thème de la baisse des effectifs des classes est un sujet sensible en France. C’est une revendication centrale des syndicats enseignants. Et toute discussion sur la question a une dimension politique qui met en jeu le budget de la nation et les choix des élus (voir le Cahier sur Les coûts de l’école). De ce fait, il est difficile d’avoir une discussion sereine sur la relation entre effectifs et pédagogie. Ce d’autant plus qu’un certain nombre de chercheurs ne trouvent pas de corrélation entre baisse des effectifs et réussite scolaire.

Aussi avons-nous voulu ouvrir le débat sur la relation entre pédagogie et taille des groupes, et plus précisément sur la gestion des grands groupes. La définition de la problématique n’est pas simple ; car un « grand groupe » se définit-il par une approche quantitative – donc un groupe d’une taille importante, type amphi de cent cinquante étudiants ou AG des personnels d’enseignement et éducation d’un collège – ? Et à partir de quel chiffre le groupe devient-il « grand » ? Ou le « grand groupe » se définit-il de façon plus qualitative : un groupe qui est « ressenti » comme trop grand : classe de maternelle à trente ; de seconde avec plus de trente-cinq élèves, voire une classe à vingt très difficile ? Au sens aussi où l’on dit : « avec trois ou quatre élèves en moins, cela irait bien mieux ».

C’est aussi en fonction de l’activité prévue que le groupe peut être (ou être ressenti comme) grand. De plus en plus, dans le cadre de l’éducation à la citoyenneté ou de projets spécifiques, les élèves sont conduits à débattre en classe entière ou dans des groupes plus nombreux que la classe, lors de diverses formes de « conseils ». Ici, des enseignants de l’école primaire Vitruve et une lycéenne du lycée expérimental de Saint Nazaire témoignent de la façon dont des enfants ou des jeunes en formation peuvent animer des groupes importants.

On peut situer le débat à au moins trois niveaux :
– Un niveau idéologique ou politique. « Il faut revendiquer une baisse des effectifs pour pouvoir être efficace dans le domaine pédagogique. » Fort probablement, dans de très nombreux cas : Hélène Eveleigh s’en fait ici l’écho. Osons néanmoins interroger pédagogiquement ce présupposé en espérant ne pas être taxé immédiatement de suppôt du ministère (de n’importe quel bord politique d’ailleurs, confronté à des exigences budgétaires et à nos exigences de contribuables) : on verra à ce sujet la contribution de Denis Meuret.
– Un niveau organisationnel : comment organiser une masse scolarisée pour une meilleure efficacité pédagogique ? En classes ? De quelles tailles ? Avec des groupes de taille variable suivant les objectifs (objectifs à dominante d’apport d’information ou d’aide au travail personnel, travail en groupe, décloisonnement…) Dans quelle mesure une telle organisation « à géométrie variable » est-elle matériellement possible – pensons à la salle de classe décrite par Hélène Eveleigh – les nouvelles technologies peuvent-elles être une aide ? Si Richard Faerber le suggère, c’est dans le cadre de la formation continue.
– Un niveau proprement pédagogique : avec les groupes et les classes que l’on a – et sans préjudice de revendications pour améliorer la situation – que faire, comment les gérer ? En particulier dans l’enseignement supérieur (où la tradition de magistralité a longtemps fait négliger la question de l’effectif) : le « cours magistral à l’université » est traité ici, tans sous un angle historique et institutionnel (par Yveline Fumat, François Jacquet-Francillon ou Marguerite Altet) que dans une dominante pédagogique : peut-on imaginer des dispositifs interactifs pour des grands groupes ? (Monik Bruneau, Michel Tozzi, Daniel Comte)

Par ailleurs, il n’y a pas que la classe dans la vie professionnelle des enseignants. Chargés à certains moments de faire vivre et travailler des grands groupes, ils sont en d’autres occasions associés à un travail dans un groupe composé de nombreux participants. Après le temps du travail en équipe – de cycle, de discipline, donc généralement dans de petits groupes – est venu celui où c’est tout le personnel d’un établissement qui est amené à collaborer, par exemple pour établir le projet d’établissement. À quelles conditions ces tâches peuvent-elles être prises en charge par tous sans qu’on assiste à une parodie de démocratie, le « vrai » travail se faisant ailleurs ? On lira avec profit l’article de Guy Lavrilleux. Florence Castincaud, Anne Jorro et Jean Houssaye présentant d’autres dispositifs pour des situations où un groupe composé de nombreux adultes est rassemblé pour travailler.

Il nous reste un regret : en préparant ce dossier, nous avions fait l’hypothèse que peut-être, dans certains cas qui seraient à recenser, à définir, dans des conditions à préciser – bref, en prenant beaucoup de précautions… – le grand groupe pourrait être une richesse en soi. Il n’a pas été possible de trouver de contribution confirmant ou infirmant cette hypothèse. Nous resterons donc avec cette question.

Élisabeth Bussienne, Professeur à l’IUFM des pays de Loire.
Michel Tozzi, Maître de conférence en sciences de l’éducation.Université Paul Valéry, Montpellier.