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S’appuyer sur l’oral
Classique, le travail interdisciplinaire français-maths ? Celui que je mène avec ma collègue de français en 6e et que nous espérons étendre à d’autres niveaux est un peu particulier : nous ne croisons pas les disciplines, mais les façons de travailler. Nous entrainons régulièrement les élèves aux tâches complexes dans nos deux matières et nous nous organisons pour être le plus souvent présentes toutes deux lors de ces séances, l’une étant l’experte du savoir en jeu, l’autre le maitre ignorant (ou presque). Et nous faisons ensemble le bilan avec les élèves à la fin du travail.
Nos tâches complexes se présentent le plus souvent sous la forme d’une énigme, d’une controverse ou, en mathématiques, d’un problème concret. Lorsque nous avons commencé à travailler ainsi, nous étions essentiellement attachées à la production écrite d’une démarche élaborée par groupes, puis présentée à la classe. Mais l’oral a ensuite pris une place plus importante dans notre dispositif.
En retrait
Nous avons peu à peu pris conscience de la nécessité de laisser toute sa place à la bataille d’idées au sein de chaque groupe : certains verbalisent la consigne, chacun (ou presque, car nous n’avons pas toujours réussi à enrôler tous les élèves) cherche à faire valoir son point de vue en argumentant. L’oral permet également de verbaliser ses difficultés, de mutualiser les choix et favorise l’esprit critique, parce que chacun se sent obligé d’expliquer ou d’argumenter ou, au contraire, de demander des explications lorsqu’une démarche ne lui semble pas claire. Au cours de cette phase, nous circulons dans les groupes, encourageant à dépasser les blocages sans valider ou invalider les réponses proposées ni induire le choix d’une démarche au détriment d’une autre. En fait, entre nous deux, c’est plutôt le maitre ignorant qui, se prenant au jeu, a eu parfois tendance à approuver un peu trop une démarche plutôt qu’une autre.
Cette posture de retrait nous a permis aussi de mesurer la déperdition entre les échanges oraux au sein de chaque groupe et les écrits de travail produits pour la communication à la classe. Beaucoup hésitent à garder tous les matériaux de recherche, calculs, hypothèses, idées à tester, points de vue qui surgissent de manière rapide ; la crainte de l’erreur, malgré nos efforts pour la combattre, est encore là, et beaucoup ne parviennent pas à des écrits de travail qui reflètent ce foisonnement, préférant gommer un essai intéressant mais qui n’aboutit pas (ou pas encore). Des coutumes scolaires à faire évoluer.
Communication, écoute
La dernière phase de la tâche complexe est bien sûr la communication à la classe des résultats, si le groupe y est parvenu, et plus encore des démarches, et pour cela, tous les moyens sont bons : dessins, affiches, saynètes ou comptes rendus oraux.
Quand c’est possible, nous proposons que les productions soient affichées en même temps au tableau et que la discussion s’installe à partir de cette confrontation. Cela permet d’éviter le côté fugitif de l’oral et aussi la lourdeur de l’écoute successive de cinq ou six comptes rendus, même brefs. En même temps, pour faire travailler la compétence d’explication orale à la classe, nous demandons le plus souvent que chaque groupe se mette d’accord pour aider l’élève le moins à l’aise à être son secrétaire et porte-parole, et cela fonctionne assez bien : des élèves qui se cachaient derrière leur cahier ont montré davantage d’assurance et de confiance en eux, valorisés par ces progrès.
Lorsque les rapporteurs des groupes présentent leurs résultats, l’écoute des autres fluctue : certains élèves très à l’aise, sûrs de leur résultat, jugent qu’il ne leur est plus nécessaire d’écouter les autres réponses. D’autres, qui ont déjà fourni de gros efforts lors du travail dans leur groupe, ont du mal à entrer dans les nouvelles démarches présentées. Pour y remédier, nous avons souvent demandé aux élèves un temps de brève prise de notes écrites après chaque passage, avec deux questions : « La consigne a-t-elle bien été respectée ? La démarche proposée par le groupe est-elle efficace ? » Lors de la discussion générale qui suit pour valider les démarches pertinentes et la ou les solutions exactes, les élèves peuvent s’appuyer sur ces prises de notes pour soutenir leur mémoire et étayer leur propos.
Identifier ce qu’on a appris
Nous avons peu à peu ajouté deux moments à nos tâches complexes. En amont, nous demandons aux élèves, au vu de la consigne et du matériau éventuel, quelles peuvent être les compétences et savoirs mis en jeu pour venir à bout de la tâche. Des compétences relevant du domaine disciplinaire concerné, mais aussi interdisciplinaires (par exemple justifier un choix par une explication orale suffisamment développée). En aval, suite à la phase de restitution et de résolution des problèmes, nous reposons la question et demandons aux élèves un bilan sur les compétences et savoirs effectivement requis pour la tâche.
Des habitudes qui ne se transfèrent pas toutes seules : placés dans des tâches complexes dans d’autres disciplines, seuls devant leur copie, des élèves oublient ce qu’ils ont été entrainés à faire et donnent l’impression qu’ils ne savent pas formuler une hypothèse, tenter un schéma ou juger de la validité d’une recherche, si rien ne vient leur rappeler explicitement ces apprentissages antérieurs.
Ces oraux réflexifs sont des alliés indispensables pour les apprentissages, en amenant l’élève à expliquer, formuler, se questionner, débattre. Et nous, enseignants, avons beaucoup à apprendre pour leur donner toute leur place et faire que tous les élèves en bénéficient.
Shahin Ait-Aissa
Professeur de mathématiques au collège Marcellin-Berthelot, Nogent-sur-Oise (Oise)