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Quelle violence ? Quelle école ?
La violence est un concept mou au plan théorique, chargé au plan affectif et instrumentalisé au plan idéologique. Dans ce dossier, notre premier objectif a été d’élaborer un diagnostic de ce que recouvre la dénomination « violences à l’école », à travers l’évolution de ses manifestations et des discours tenus, sans naïveté ni recherche de consensus, mais en nous efforçant de sortir des oppositions simplistes habituelles (social/scolaire, dramatisation/minimisation, victimes/auteurs, répression/prévention) ou de corrélations trop rapidement lues comme des causalités (quartiers populaires et violence). Nous avons voulu déconstruire l’objet, le situer dans ses différentes dimensions : notionnelle, statistique, scientifique ; mais aussi politique, institutionnelle, médiatique ; enfin contextuelle et pédagogique. Pour cela, nous avons donné la parole à des chercheurs et à des praticiens qui, sans négliger les apports d’auteurs plus classiques, nous proposent des lectures souvent inédites du phénomène. Notre second objectif a été de nous demander quel pouvait – ou quel devait – être le rôle de l’école. Des professionnels nous font entendre des situations qu’ils vivent, dans leurs établissements ou dans leurs classes. Ils s’efforcent d’en comprendre les raisons par-delà la plainte. D’autres témoignent de pistes de réponses existantes, possibles, ajustées, préventives, proposées parfois avec des chercheurs ou des soutiens institutionnels, dans l’urgence, mais surtout dans la durée.
Parmi les interrogations soulevées, l’on se demandera ce qui se cache derrière certaines évidences de la violence à l’école. L’école assiégée aurait-elle remplacé l’école caserne ? Est-il indifférent de parler d’incivilités, de microviolences, de harcèlement, de facteurs de risques ? Que penser de certains glissements dans les termes utilisés : de violence à (in)sécurité ; d’élève indiscipliné à enfant ou adolescent violent, délinquant ; de formation pédagogique et didactique à « tenue de classe » ?
Mais aussi, alors que l’on s’accorde sur la stabilité des données chiffrées, pourquoi parle-t-on autant de violence à l’école chez nos responsables politiques, dans les médias, chez les professionnels et les experts ? Ces derniers ne risquent-ils pas de légitimer certaines approches, au détriment d’autres ? Qu’est-ce qui oriente les réponses apportées, les programmes mis en œuvre, les décisions prises ?
En outre, peut-on se contenter de dire qu’est violent que ce qui est perçu comme tel ? Est-il judicieux d’amalgamer des actes relevant du Code pénal, un chahut dans un couloir, une insolence faite à un enseignant, une bagarre entre élèves, un propos agressif, sexiste ou raciste, des pratiques de jeux dangereux, une rumeur sur les réseaux sociaux, une appréciation humiliante sur un bulletin scolaire ?
On chercherait en vain une définition qui permettrait de cerner précisément les actes en cause, de délimiter des seuils et des frontières, d’élaborer des réponses définitives, car cette question renvoie immanquablement au rapport que chacun d’entre nous – mais surtout que notre société dans son ensemble – entretient avec les normes, c’est-à-dire avec ce qui est jugé tolérable, permis, insupportable, inadmissible. « Lutter contre la violence », voire même « l’éradiquer » : ces oxymores interpellent forcément, invitent à interroger ce qui est « en cause ». Car quoi qu’on en dise, la violence est un objet culturel et idéologique. Des choix de société sont toujours à l’œuvre selon les approches privilégiées. Ainsi, il existe une tradition philosophique où l’éducation vise le redressement de l’enfant, justifiant le recours à la violence. Elle perdure à divers degrés, par exemple dans les pratiques de sanctions. S’occuper de violence, la prévenir, c’est aussi remettre en cause l’ordre scolaire avec les sentiments d’injustice qu’il peut développer.
Bien sûr, il ne s’agit pas de nier les problèmes, mais il semble au final fécond de considérer la question des violences avant tout comme une occasion d’entrer dans d’autres problématiques, comme celles des conceptions du métier et de l’enfance, de la transmission et de l’éducation, de la formation, ou encore des savoirs et des contenus scolaires. Ainsi, les savoirs d’actions à l’œuvre sont toujours guidés par une éthique qui témoigne des valeurs de celui qui agit, par exemple à travers le langage tenu aux élèves ou la recherche du juste. Former les enseignants à la prévention de la violence n’a pas beaucoup de sens si l’on évince les dimensions éducatives, pédagogiques et didactiques du métier. Le travail enseignant est d’abord un travail de la relation humaine et des apprentissages dans des classes et des établissements, des milieux faisant une place à la parole et au corps, ouvert à l’altérité, attentif à tout signe ou acte posé qui fait croitre ou émancipe.
Les enseignants ont donc besoin de repères solides, de principes et de valeurs contre les solutions aussi simplistes qu’inefficaces, les explications apparemment confortables qui naturalisent, socialisent ou médicalisent des comportements et des actes, mais qui discréditent leur travail et leur fonction sociale. Et si, au lieu de rêver à une école sans violence (alors que la violence est inhérente à l’humain et qu’elle est si valorisée socialement), nous construisions une école où l’on prenne soin de notre jeunesse ?