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Lutte contre les racismes et les antisémitismes, pour un autre récit historique

Benoît Drouot, Herman, 2025

La postface que Jean-Frédéric Schaub donne à ce livre passionnant s’achève ainsi : « ce livre devrait se trouver entre les mains de tous les professeurs, car ils sont les acteurs de la toute première ligne dans la lutte contre les préjugés, contre l’enfermement identitaire, contre le refus de savoir. »

Le premier chapitre présente la thèse de l’auteur : les programmes d’histoire du collège et du lycée ont fait une place importante depuis les années 1990 à des sujets en lien avec racismes et antisémitismes sans que cela fasse disparaitre ces fléaux. La raison principale de cet échec (Benoît Drouot reprend de nombreuses critiques d’historiens et d’historiennes), est le choix de privilégier une approche édifiante de l’enseignement de l’histoire qui repose sur « trois injonctions : mémorielle (« plus jamais ça »), morale ( » ce n’est pas bien »), juridique ( » c’est interdit ») » ce qui fait que le jugement se substitue à la compréhension (des phénomènes, des causes…). Il propose, à l’inverse, de refonder l’enseignement de ces sujets en faisant « le pari de l’histoire ».

Les chapitres suivants étayent cette thèse appuyée sur des ressources conceptuelles et historiographiques.

Le constat est sans appel : racismes et antisémitismes ne sont au programme des cours d’histoire que de façon ponctuelle, associés aux phénomènes paroxystiques (traite atlantique, code de l’indigénat, décolonisation, extermination des juifs d’Europe…) ou à des proclamations progressistes (abolition de l’esclavage, Déclaration universelle des droits humains…). Programmes et recommandations privilégient des approches par le choc émotionnel (ce que les anglophones nomment « Emotive and Controversial History » et les germanophones « Betroffenheitspëdagogie1 ». Cette « inflation mémorielle » empêche l’approche des « processus de formation des catégories raciales en tant que ressources politiques » dans la longue durée et de façon comparative.

Le quatrième chapitre, une centaine de pages, est la partie la plus nourrissante de l’ouvrage.  Les définitions des termes « racismes », « antisémitismes » sont déconstruites et reconstruites dans leur genèse, leur histoire, leurs usages sociaux et politiques (en Europe et ailleurs) dans le temps long. Les faits sont revisités dans une approche qui demeure fortement centrée sur la France mais qui ouvre le regard au-delà du point de vue exclusivement occidental. Les résistances à toutes les formes d’antisémitisme et de racisme sont présentées et pas seulement comme le fait de quelques penseurs ou activistes héroïques. Voilà qui donnera du grain à moudre aux professeurs d’histoire et à tous ceux que le sujet préoccupe.

Les propositions alternatives de Benoît Drouot découlent de ces développements. Il envisage une refonte radicale des programmes d’histoire du secondaire : « au collège un travail précis sur la chronologie, au lycée une approche plus conceptuelle et thématique ». Ce découpage évite la répétition avec pour seule différence la quantité de contenu factuel présentée. Un court appendice soumet une proposition de refonte du programme de l’enseignement de spécialité du lycée, Histoire-géographie et Sciences politiques2.

Au bout du compte, si la première question didactique « Quels contenus devrait être enseignés ? » est magistralement traitée, la seconde question « Oui, mais comment ? » mérite discussion. Faut-il vraiment s’en tenir à des apprentissages factuels avec les collégiens et réserver la réflexion aux lycéens ? Faut-il opérer une coupure absolue entre émotion et réflexion ?  N’y a-t-il pas dans les travaux d’historiens (Annette Wieworka, Yvan Jablonka par exemple3) des approches qui incitent à reconsidérer cette coupure ? Que faire des approches mixtes solidement étayées comme celles du groupe Facing History and Ourselves4 ? Si comme le souligne l’auteur, « l’histoire ne peut pas tout » ne serait-il pas envisageable de promouvoir davantage des approches croisant les disciplines de référence (littérature, sciences économiques et sociales, philosophie, arts) sans dissoudre leurs spécificités ? Voila qui demanderait un autre ouvrage !

Yannick Mével

 

Notes
  1. Alexandra Oeser, Enseigner Hitler, les adolescents face au passé nazi en Allemagne, Maison des sciences de l’homme, 2010.
  2. Benoît Drouot, Une autre histoire contre les préjugés, Cahiers pédagogiques n°595, Racismes et école septembre 2024.
  3. Annette Wieviorka, Tombeaux : Autobiographie de ma famille, Éditions du Seuil, collection Fiction & Cie, 2022. Ivan Jablonka, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus : une enquête. Éditions du Seuil, 2012.
  4. Caroline Veltcheff, Nos histoires font l’histoire, Cahiers pédagogiques n°588, les cultures à l’école, novembre 2023.