Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Les universités populaires : quels savoirs pour quel public ?

Ce 3e printemps a été organisé par la nouvelle UnivPopArmor, avec l’appui des universités de Rennes et Nantes, le soutien logistique d’une association d’organismes, le Forum des Savoirs des Côtes d’Armor, fondée et présidée par un vice-président du conseil général, et le relais journalistique de Politis.
Y sont intervenus, au cours de tables rondes, d’une conférence et d’un atelier d’échange entre UP, des élus départementaux et régionaux, des universitaires (philosophie, sociologie, politologie, sciences de l’éducation…), des représentants d’éducation populaires (Maison des jeunes, Ligue de l’Enseignement), du Cnam, du ministère de la Recherche, du réseau des villes numériques (dont la présence fera débat), d’un journaliste et bien entendu de différentes UP.
On y a entendu le conteur Yves Philippe, qui dit si bien Louis Guilloux de « la Maison du Peuple » de Saint-Brieuc, des chants de marins, vu un film sur le collage d’affiches-œuvres d’art sur des murs de briques de Valenciennes, des tableaux à base de bois etc., avec en prime la fête de la musique…
Philippe Corcuff (IEP et UP Lyon), dans une conférence sur « Science et action politique », est parti du différend entre Merleau-Ponty et Sartre sur l’intellectuel engagé, qui doit être selon le premier plus réflexif par rapport à l’engluement dans l’époque. Il a défendu la position de sciences sociales non axiologiquement neutres, mais relativement autonomes dans leur effort épistémologique, la philosophie aidant à dégager leurs présupposés éthiques, tout comme la sociologie par exemple aide à comprendre les matrices et usages sociaux de la philosophie. L’intellectuel ne doit pas être seulement universitaire, sous peine de repli sur soi ou d’instrumentalisation par le pouvoir. Les UP sont de ce fait importantes, par leur médiation entre les savoirs savants et la critique des usages sociaux de la science.
Leurs points communs, au-delà de ces différences, sont à l’image de l’UP de Caen : volontariat des présents ; aucun préacquis ou prérequis de savoirs ou compétences pour les inscrits ; pas d’évaluation dans les cours ou ateliers ni de diplômes attribués ; quasi-gratuité pour les participants ; bénévolat des animateurs. Tout repose sur un désir d’apprendre des présents, et sur une attitude de don et de partage du savoir des intervenants.
On remarque aussi une prédominance disciplinaire de la philosophie, des sciences humaines et sociales, de la littérature, par opposition aux sciences dites dures, même s’il y a des essais en ce sens (astrophysique). L’objectif semble la diffusion et l’appropriation de savoirs critiques.

Questions en débat

La finalité des UP : s’agit-il d’émanciper par la connaissance (mais Foucault a montré qu’historiquement, l’émergence d’un nouveau type de pouvoir a donné naissance à une nouvelle forme de pouvoir…) ? De diffusion ou/et d’appropriation de savoirs ? Et de quels types de savoir : académiques ou critiques ; universitaires ou/et d’expériences ? Sont-ce des réponses alternatives et militantes à la crise de la démocratie et plus largement du politique, ou/et plus existentiellement à la crise postmoderne du sens ? Sont-ce des espaces instituant des possibles coopératifs entre des acteurs aux logiques différentes ?
Leur nature : sont-elles universitaires par la qualité des savoirs dispensés, ou parce qu’on conteste à l’université le monopole du savoir, en reprenant son label ? populaires parce qu’ouvertes en droit à tous, ou par le public spécifique visé, d’origine populaire (mais peu présent dans les faits) ? Sont-elles réellement émancipatrices par leurs savoirs critiques[[Mais qu’est-ce qu’un savoir critique ? Celui qui permet de développer des microrésistances (contre-histoire de la philosophie, sociologie critique, approche par le genre, etc.) ?]], ou une offre culturelle parmi d’autres, un loisir occupationnel pour classes moyennes (il ne faut pas se cacher la difficulté à faire de simples auditeurs des participants) ? La gratuité des intervenants permet-elle une économie du don (P. Ricœur), et non de l’intérêt et du profit ? Le volontariat d’un public non captif sans demande d’utilité professionnelle acte-t-il une rupture avec la société marchande et les industries culturelles ? Est-ce un lieu de savoir et de pouvoir alternatifs ; un lieu d’expérimentation sociale et pédagogique ?
La question pédagogique a aussi été soulevée. Les mots ici ne sont pas neutres, selon que l’on parle de public et d’auditeurs, ou de participants ; de conférenciers et d’intervenants, d’enseignants, de formateurs, de passeurs ou d’animateurs ; de diffusion, de partage ou d’appropriation des savoirs. Ce qui implique des objectifs poursuivis assez différents, des conceptions assez opposées de l’apprentissage, des méthodes et des dispositifs sensiblement divergents.
La spécificité de Saint-Brieuc étant l’utilisation de nouvelles technologies avec un système en ligne, il a été relevé, face à la crainte d’une simple diffusion de conférences, la possibilité de dispositifs pédagogiques réellement interactifs : atelier en présentiel, cours ou documents en ligne, ateliers d’exploitation en présentiel par exemple.

Michel Tozzi, sciences de l’éducation, Montpellier 3.