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Les directions d’établissement au cœur du changement : pilotage, collaboration et accompagnement des équipes éducatives

Laetitia Progin, Caroline Letor, Richard Etienne, sous la direction de Guy Pelletier, De Boeck, 2021

Depuis plus de cinquante ans, les personnels de direction sont confrontés à une injonction d’introduction du changement, peu suivie d’effets, d’autant qu’on a longtemps ignoré la notion d’effet établissement. Dans le cadre de cinq systèmes d’éducation différents : Belgique francophone, France, Québec, Suisse francophone et États-Unis, cet ouvrage collectif présente comment évoluent les pratiques professionnelles des directions d’établissement qui s’engagent dans le changement.

Comment faire en milieu autochtone au Québec, où l’absence de politiques claires chez les responsables territoriaux ou les directions d’établissement s’ajoutent aux nombreuses difficultés locales (faible organisation et ingérences extérieures) ? Comment réussir une démarche inclusive en Belgique, en l’absence de coordination entre les différentes mesures et de collaboration entre les corps professionnels ? Comment faire dans ce secteur de San Francisco, où est majoritairement accueillie une population d’origine hispanique et noire en grande difficulté scolaire, la multiplicité des incidents avec les élèves obligeant les enseignants à un important travail de gestion des conflits au détriment de l’enseignement ?

Le pouvoir régulateur attend que les directions soient capables de tenir un rôle d’accompagnateur du changement, de responsable susceptible d’agir efficacement dans la complexité et le mouvant, de leader innovant qui sait faire adopter aux enseignants des pratiques pédagogiques nouvelles pour améliorer les résultats des élèves. Il va leur donner des moyens pour renforcer leur pouvoir. Ainsi, la Belgique non-francophone permet une implication plus grande dans la gestion des ressources humaines, une plus grande souplesse dans la gestion des moyens d’encadrement, l’allègement des tâches administratives, la promotion de la participation avec des enseignants coordonnateurs d’actions et participant à la direction.

Enthousiasme et bricolage

Les directions s’emparent de ce leadeurship avec un certain enthousiasme, et la mobilisation des équipes enseignantes vers le projet d’établissement sera le cœur de leur action. Leur stratégie : instauration d’un climat de confiance, de soutien et de justice ; écoute et communication, collaboration, partenariat et délégation de pouvoir ; valorisation de l’innovation et de l’évaluation, de l’esprit d’équipe et de la coopération entre enseignants.

Toutes ces directions s’exposent, prennent des risques, mais s’en sortent en construisant des compromis qui tiennent du bricolage, tout en faisant baisser les tensions :

  • articuler les injonctions du pouvoir central avec les préoccupations soulevées par les enseignants, entre autres la difficulté de libérer du temps pour organiser la concertation ;
  • faire vivre une gestion axée sur les résultats, en même temps que le respect des valeurs et des principes ;
  • s’engager dans une démarche de progrès avec un personnel peu stable et parfois peu investi ;
  • réconforter des équipes découragées par les discours parfois maladroits des autorités.

Les deux pistes pour transformer les cadres en leaders sont l’accompagnement et la formation des directions d’établissement, amenées à développer leurs compétences et connaissances dans l’accompagnement des enseignants et leur développement professionnel.

Les directions constatent, dans un premier temps, qu’elles ont été mal préparées à la dimension politique des réformes, aux processus de négociation pour faire avancer les idées de changement et à l’utilisation des outils de management, parfois imposés par l’institution. Ainsi en France, la mise en place des rendez-vous de carrière des enseignants est inégalement comprise, faute d’information et de formation suffisantes : elle est vécue comme une nouvelle charge imposée par le ministère, un jeu de manipulation des enseignants, parfois comme une guerre avec l’inspection. L’intérêt des directions pour une gestion des ressources humaines leur fait bien percevoir le bénéfice d’une meilleure connaissance des enseignants, une coévaluation en actes, et l’augmentation du pouvoir d’agir de chacune des parties. Mais cela n’est compris et maitrisé qu’après du temps et de l’accompagnement.

Ces objectifs de formation visent à mettre en place les conditions du développement d’un projet d’établissement autour duquel se mobiliseront les acteurs concernés, l’identification des stratégies de mobilisation des enseignants, l’amélioration des connaissances concernant la gestion axée sur les résultats, l’augmentation des compétences dans l’utilisation des outils de planification stratégique, le développement d’un leadeurship axé sur les apprentissages des élèves.

L’accompagnement prendra des formes diverses : entretiens semi-dirigés réguliers, accompagnées par des conseillers pédagogiques facilitateurs ; groupes de pairs animés par des formateurs ou des chercheurs qui vont étudier des situations problèmes et trouver des solutions communes :  travail réflexif, individuel, puis en groupe pour confronter leurs savoirs pratiques (par exemple, comment animer une assemblée du personnel) aux compétences prescrites ; séminaires de formation aux outils d’animation des journées pédagogiques consacrées au plan de pilotage.

Il s’agit de penser ensemble la transformation des pratiques pédagogiques dans la classe, en relation aux apprentissages des élèves et à leurs résultats.

Et, selon les auteurs, « les premiers résultats sont prometteurs : les directions, plus solidaires, ont resserré leurs liens autour du projet commun (partage d’outils, d’informations, de points de vue) ; leurs échanges sur leurs activités dynamisent ou permettent de trouver des réponses aux questions ; elles se sont découvert une rôle d’animation qui a facilité par la suite l’enrôlement des enseignants qui prennent peu à peu du recul sur leurs pratiques ».

Michèle Amiel