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Le contrôle du travail enseignant : un contrôle de (la) qualité ?

On sait que les apprentissages des élèves dépendent du travail que l’école leur donne à faire, et que ce travail est lui-même dépendant du travail des enseignants. Longtemps conditionnées par des procédures et des moyens didactiques contraignants ou laissées à la libre initiative de chaque professionnel, les pratiques pédagogiques ordinaires font aujourd’hui l’objet d’une attention renforcée : elles sont étudiées par la recherche, observées, voire évaluées par la hiérarchie et les autorités politiques en charge de l’éducation. Tout le monde s’inquiète du contrôle du travail des enseignants, soit par souci de le renforcer, soit pour résister à cette tendance[[Philipe Perrenoud, « L’autonomie au travail : déviance déloyale, initiative vertueuse ou nouvelle norme ? », Cahiers pédagogiques n° 384.]]. Mais se demander s’il faut plus ou s’il faut moins surveiller les pratiques réduit le débat à une question de quantité : à l’ère du chiffre triomphant, ne faudrait-il pas plutôt s’unir pour que le contrôle de la qualité soit lui-même et d’abord… de qualité ?

Le travail enseignant entre professionnalisation et prolétarisation

D’un côté, on met l’accent sur l’autonomie des établissements, l’empowerment des acteurs, la recherche d’efficacité par la comparaison des performances locales aux objectifs généraux de l’institution. De l’autre, l’école veut donner des gages intermédiaires de fiabilité en standardisant ses programmes, ses méthodes, ses instruments d’évaluation, donc en soumettant les maitres à l’injonction paradoxale de conformer leurs initiatives à des marches à suivre définies ailleurs. Le travail pédagogique peut finalement se trouver pris en tenaille entre le contrôle des résultats et celui des moyens, la concurrence entre les personnes et la généralisation des « bonnes pratiques » par une inspection tatillonne. Cela fait deux débauches potentielles de prescriptions : s’équilibreront-elles, ou font-elles d’ores et déjà alliance pour prolétariser les praticiens ?

Une dérive normalisante

Ce phénomène déborde largement l’enceinte de l’école. Il est présent dans l’entreprise, l’administration, les organisations supranationales. Il témoigne de l’émergence d’une forme de démocratie ne renouvelant plus seulement ses représentants tous les quatre ou cinq ans, mais monitorant en permanence son fonctionnement (John Keane). Il s’exprime dans le monde du travail à travers au moins quatre évolutions interdépendantes : un déclin de l’autorité des spécialistes ; un contrôle managérial sur les métiers ; la constitution d’une technosphère mondialisée ; une normalisation croissante des pratiques professionnelles et des pratiques censées les contrôler[[Florent Champy, La sociologie des professions, PUF, 2009. Commander cet ouvrage avec Amazon
]]. Les enseignants se plaignent massivement du manque de confiance des usagers, mais ils ne sont pas les derniers à se défier des tenants du savoir lorsqu’ils sont eux-mêmes en formation, parents d’élèves ou en conflit avec leur ministre de tutelle…

Reprendre la main sur le contrôle du métier

Il s’agit moins de dénoncer des ambivalences que d’en prendre acte et de comprendre comment le contrôle social, politique et finalement institutionnel de l’enseignement évolue concrètement, quels sont les effets de cette évolution, et quelle part peut prendre la profession dans « le contrôle du contrôle » de son travail. Pas pour revendiquer le privilège exorbitant d’être seule au monde et de s’autoréguler totalement. Mais pour tenir ensemble les deux bouts de la professionnalisation : justifier les pratiques pédagogiques au moyen d’arguments ; les ajuster en les discutant régulièrement.

Olivier Maulini
Université de Genève, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation