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Le Centre d’information et d’orientation (CIO) : une structure « à la marge » de l’Éducation nationale

Bernard Desclaux, L’Harmattan, 2022

Les Centres d’information et d’orientation (CIO), dont on a fêté les 50 ans en 2021, s’ancrent dans une histoire riche et complexe de plus cent ans. Ils partagent cette histoire, et ses aléas, avec  de nombreux services publics d’État. Depuis les périodes marquées par des politiques d’investissement et d’expansion, aux périodes plus récentes de désinvestissement, de restructurations, et de maltraitance institutionnelle des personnels. Plus spécifiquement l’histoire des CIO, et à travers cette structure celles des personnels rattachés, peut être vue comme porteuse des symptômes des oscillations gouvernementales, et donc politiques, quant aux objectifs de l’école.

Dans  cet ouvrage, préfacé par Frédérique Weixler, Inspectrice générale de l’éducation, du sport et de la recherche, l’auteur a rassemblé un ensemble bien référencé de données historiques et institutionnelles ainsi que des éléments issus de sa pratique. Il nous propose une esquisse d’analyse politique reposant sur l’hypothèse que les CIO seraient « une structure à la marge de l’Éducation nationale », au sens d’une position marginale par rapport à une norme, et non de la marge en tant qu’intervalle d’espace et de temps, ou de la marge qui permet de relier et tenir ensemble les différents éléments d’un ouvrage.

Le premier chapitre retrace dans les grandes lignes l’histoire des CIO en regard de l’histoire de l’Éducation nationale. Il est suivi d’un second chapitre, plus personnel, dans lequel l’auteur interroge la fonction des CIO en tant que service « ouvert au public », espace physique de rencontre et d’interactions. Pour cela il s’appuie sur la présentation d’un travail qu’il a mené en tant que formateur entre les années 80 et 90 auprès de quelques équipes de CIO de la région parisienne. Ses interventions reposaient sur les concepts et méthode du sociologue américain Erving Goffman (1922-1982). Ses conclusions s’inscrivent dans une époque déjà lointaine et reposent sur des exemples qui n’étaient pas forcément représentatifs de la situation de l’ensemble des CIO. Mais le lecteur trouvera ici des éléments conceptuels toujours pertinents et transposables à tous les services ouverts au public notamment à l’Éducation nationale et plus largement.

Dans les deux chapitres suivants, l’auteur approfondit son propos à partir d’éléments plus récents liés à l’extension des pouvoirs d’un acteur des politiques publiques: les régions. En 2003 (sous la présidence de Jacques Chirac), les régions entrent dans la Constitution aux côtés des communes et des départements, cela se traduit immédiatement par une tentative échouée du transfert des services et des personnels de l’Éducation nationale aux régions. L’auteur détaille ce moment et les diverses tentatives qui suivront. Cela prend une nouvelle forme en 2018 (sous la présidence d’Emmanuel Macron) dans un texte de loi porté par le ministère du travail et portant essentiellement sur la formation continue et l’alternance : « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Dans cette partie, l’auteur fait le choix de lier et d’interpréter les effets de cette loi avec l’évolution en 2017 (sous la présidence de François Hollande) de la dénomination et du statut des psychologues de l’Éducation nationale (PsyEN) qui sont rattachés aux CIO et aux différents services d’information et d’orientation de l’Éducation nationale.

Cet ouvrage se termine sur un essai de vision prospective qui reste ancrée à l’hypothèse de départ de l’auteur, à savoir une place marginale qui expliquerait les difficultés rencontrées par les CIO et par ses personnels.

Ces difficultés sont malheureusement aussi le commun de la plupart des structures et personnels des services publics d’État. Les difficultés rencontrées par et au sein des CIO, sont aussi le reflet des évolutions du système éducatif, des publics accueillis, des problématiques prises en charge. Elles impactent tout aussi fortement l’ensemble des services et métiers de l’Éducation nationale.

Arrivés à la fin de la lecture de cet ouvrage, on peut regretter que d’autres éléments de compréhension n’aient été apportés qui auraient pu éclairer le lecteur sur le sujet. Notamment, il est peu fait référence à tout ce qui touche à l’humain. Chaque année ce sont des dizaines de milliers d’usagers qui sont reçus et suivis dans les CIO, des adolescents et leurs familles notamment. Ce sont aussi des espaces de travail collectif, de ressources et de créativité pour les personnels et les équipes éducatives. Il aurait été aussi intéressant de se pencher le rôle clé des directrices et directeurs de CIO.

L’apport de plus d’éléments statistiques auraient pu également étayer le propos notamment sur l’évolution des moyens financiers et humains de fonctionnement attribués au regard de l’ensemble des missions de ses personnels et des activités de ces services (notamment déléguées par les rectorats et les directions des services départementaux de l’Éducation nationale). Rappelons que sur les 561 lieux d’accueil que l’on comptait en 2010, plus d’une centaine ont aujourd’hui disparu. Quant aux personnels rattachés aux CIO, leurs effectifs n’ont pas évolués depuis plus de trente ans et ce, malgré une forte évolution du nombre de jeunes scolarisés, et de prises en charge de situations complexes, ainsi qu’une demande sociale croissante d’accompagnement des parcours scolaires et des choix d’orientation.

Par ailleurs, des éléments plus systémiques des effets constatés selon l’intégration des CIO au niveau local auraient permis d’appréhender leur rôle dans la démocratisation de l’école et la lutte contre les effets des inégalités sur les parcours scolaires. Ainsi, la nature et la force des liens au niveau local avec le public et les équipes éducatives constituent un autre terrain d’analyse quant à la place des CIO. À ce propos, l’association des psychologues de l’Éducation nationale (Apsyen, ex ACOP-F) avait proposé pendant quelques semaines au printemps 2018, une consultation nationale en ligne auprès du public venant en CIO. Sur un peu plus de 2900 répondants, 56,5 % ont déclaré que le service avait répondu à leurs attentes et 39 % que cela avait dépassé leurs attentes. Ceci permet de mieux comprendre la mobilisation du public et des équipes éducatives, premiers bénéficiaires des activités des CIO et de ses personnels, dès que, localement, un CIO est menacé de fermeture. Ce public qui connait et vient dans les CIO rencontrer des PsyEN, serait-il lui aussi considéré comme « à la marge » par l’Éducation nationale ?

Pour finir, on pourra lire avec un grand intérêt la postface rédigée par Aziz Jellab, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche. Elle constitue un intéressant résumé de l’ouvrage.

Sylvie Amici
Psychologue de l’Éducation nationale, présidente de l’Apsyen