Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Les bénéfices de la démocratisation

maurin_portrait.jpg

maurin_portrait.jpg

Votre dernier livre « La nouvelle question scolaire, les bénéfices de la démocratisation », est une réponse solide et rigoureuse au discours des « déclinologues » de l’école.
Comment expliquez-vous le succès de ce courant réactionnaire ?

La séduction des thèses déclinistes vient d’abord, je crois, de ce qu’elles collent bien au vécu de beaucoup de professeurs et de parents d’élèves, notamment dans les périodes d’expansion scolaire. De nouveaux élèves arrivent
au collège et au lycée, plus faibles et moins bien préparés que les anciens, d’où l’évidence d’un déclin pour les institutions qui les accueillent. Cette perception des politiques de démocratisation scolaire est légitime, il
faut la prendre en compte. Le problème c’est évidemment quand cette perception, ce vécu très partiel, s’érige en évaluation de l’impact de la politique en question pour la société dans son ensemble. Et de ce point de vue, la question n’est pas de savoir si les nouveaux collégiens
et lycéens sont plus difficiles à instruire que les anciens, mais de savoir si leur destin social sera meilleur que ce qu’il aurait été sans démocratisation. Or, une analyse méticuleuse des données d’observation révèle que c’est bel et bien le cas.

Pensez-vous que les arguments rationnels soient suffisants ?
Au-delà du problème de perception et de point de vue, il y a aussi bien entendu un problème d’objectif assigné à l’école. Tout le monde ne partage pas l’idée que l’amélioration des capacités moyennes de la population,
telles qu’appréciées par les employeurs par exemple, est un objectif primordial pour l’école. Si l’objectif premier n’est pas le progrès général de la population, mais la perpétuation d’une élite détentrice des savoirs et
traditions scolaires nationales les plus purs, la
démocratisation est de toute façon un danger inutile. Dans ce débat des arguments rationnels peuvent être échangés, mais le dialogue est difficile.

Vous montrez dans votre dernier livre les « bénéfices de la démocratisation » en vous situant contre la thèse du déclin et contre la thèse de l’« inflation scolaire ».
Mais on peut cependant entendre quelques critiques de la démocratisation et en particulier deux d’entre elles : Comment analysez-vous le maintien durable de 20 % d’élèves
en échec (voir le dernier livre de C. Forestier
et C. Thélot) ? Et comment réagissez-vous
également au fait que cette démocratisationréelle soit cependant ségrégative (selon l’expression de Pierre Merle) c’est-à-dire avec un inégal accès aux diplômes et aux types de bac selon l’origine sociale ?

Il existe encore de très fortes inégalités scolaires entre enfants de milieux sociaux différents. Mais certaines formes d’inégalités ont quand même beaucoup reculé. Les inégalités de réussite dans le supérieur court ont par exemple assez nettement diminué au fil des générations. Le seul bastion dont l’accès ne se démocratise vraiment pas, c’est celui des grandes écoles. On ne voit d’ailleurs pas
très bien pourquoi cela serait le cas : le système
classes préparatoires/grandes écoles est resté soigneusement à l’écart des grands mouvements
d’ouverture du système éducatif qui ont marqué l’après-guerre. Cela dit, comme le niveau de formation de ceux qui ne vont pas dans les grandes écoles tend à s’améliorer avec la démocratisation, les inégalités de revenus entre eux et les diplômés des grandes écoles
tendent plutôt à se réduire. S’agissant du maintien d’une frange d’élèves en grande difficulté, c’est un peu la même chose, cela signe plutôt une forme d’inachèvement de la démocratisation en France que son échec. C’est du reste
ainsi que je comprends les travaux du type Forestier et Thélot. La période du passage au collège unique s’est traduite par une explosion des redoublements, symptôme de la grande difficulté qu’a eu notre système à s’adapter à des nouveaux publics, plus pauvres, moins bien préparés. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le problème devient de plus en plus ardu au fur et à mesure que l’on essaie d’aller plus loin dans l’oeuvre de démocratisation. Les 20 % d’échecs résiduels dont nous parlons correspondent
à des familles très pauvres culturellement et matériellement, résidant dans des logements surpeuplés, dont beaucoup sont concentrés dans les mêmes enclaves de pauvreté. Il ne s’agit plus d’ouvrir le secondaire aux classes moyennes comme cela a pu être le cas à une époque, mais bien d’améliorer les chances de réussite des plus pauvres. L’école n’est pas particulièrement bien armée pour
cette oeuvre-là.

Dans l’actualité, il y a deux thèmes qui sont aussi au coeur de vos derniers livres : la carte scolaire et le collège unique. Ces deux dispositifs sont fortement remis en question.
Pensez-vous (compte tenu de ce que vous développez dans « le ghetto français ») que la fin de la carte scolaire et le développement de la concurrence soient une réelle solution ?
Quels sont selon vous les risques liés à la fin annoncée du collège unique ?

L’annonce de la « fin du collège unique » me paraît surtout une concession de langage à la frange la plus conservatrice de l’électorat. Nous verrons bien ce que nous réserve l’avenir, mais Xavier Darcos a quand même explicitement
écarté l’idée d’un retour à un examen d’entrée en 6e ou à des filières hiérarchisées au collège. Sur le fond, son projet me paraît plus libéral que réactionnaire : autonomie des établissements, suppression de la carte scolaire et libre choix des parents pour faire jouer la concurrence entre établissements et espérer qu’ainsi les pratiques s’amélioreront. Certains pays ont déjà essayé ce type de politiques, comme les États-Unis ou l’Angleterre. Elles produisent des résultats mitigés tout en favorisant un état d’esprit de compétition généralisée, de défiance entre les personnes, qui commence à inquiéter les autorités américaines et anglaises. En fait, les parents ne savent pas très bien juger les établissements qui font réellement progresser les élèves et ne font donc pas nécessairement jouer une bonne concurrence. Pour être cohérentes et un tant soit peu efficaces, ces politiques libérales doivent
s’accompagner d’un effort très important d’information auprès des parents sur la façon dont les élèves progressent dans les différents établissements. Les politiques qui marchent le mieux pour lutter contre l’échec scolaire et
l’illettrisme sont quand même en général des politiques volontaristes, imposées aux établissements. Un peu revenue du tout libéral, l’administration anglaise a ainsi imposé
récemment à ses écoles une heure supplémentaire chaque jour de lecture, avec un programme et un suivi très précis, pour les élèves en difficulté. Les enseignants étaient réticents
au départ, mais il semble aujourd’hui que les résultats soient bons et ils en redemandent.

Vous faites partie de la toute nouvelle « Commission sur l’évolution du métier d’enseignant » mise en place par le ministre. Comment envisagez-vous le travail et les marges de manoeuvre au sein de ce comité ?
La commission ne s’est pas encore vraiment réunie. Il y aura, je pense, de nombreuses auditions, des visites sur le terrain, ainsi qu’un travail de compréhension de ce qui se
passe à l’étranger. Il s’agit de bien comprendre la condition enseignante aujourd’hui, mais aussi de bien imaginer la façon dont elle peut évoluer, en s’appuyant autant que possible sur les expériences étrangères. Ma première impression est que les marges de manoeuvre sont totales.

Propos recueillis par Philippe Watrelot.
Lire la recension de l’ouvrage d’Éric Maurin

Éric Maurin est économiste, directeur de recherches à l’EHESS. Il a notamment publié Le Ghetto Français (La république des Idées/Seuil, 2004) et l’Égalité des possibles (La république des Idées/ Seuil, 2002). Sur son dernier ouvrage, La nouvelle question scolaire, les bénéfices de la démocratisation, voir notre recension dans ce numéro.