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L’INRP : un démantèlement désastreux

Un désastre pour tout le système éducatif « sauf à croire que moins on travaille sur l’éducation, mieux elle se porte » : telle était la conclusion d’une tribune libre du Monde, écrite par Antoine Prost cet été 2010, pour défendre un secteur de l’INRP menacé, le service d’histoire de l’éducation. Aujourd’hui cette remarque ironique vaut, hélas, pour l’ensemble de l’INRP.
L’Institut national de recherche pédagogique, que le monde envie à la France, qui fut longtemps un symbole (et sa réalisation) de la liaison entre la recherche en éducation et l’action des enseignants, des chefs d’établissement, de tous les acteurs du « terrain » que constitue le système éducatif, est en train de disparaitre dans une fusion, sans raison valable, avec l’ENS de Lyon.

La perte du lien terrain/recherche

Que cet institut perde à la fois son autonomie et la tutelle de l’Éducation nationale est véritablement désastreux. C’est cette autonomie, dument maitrisée par un conseil scientifique irréprochable, qui a permis, hier comme aujourd’hui, d’associer des enseignants du premier et du second degré aux recherches conduites par l’INRP, tout en cherchant à assurer un niveau scientifique qui soit à la hauteur des exigences universitaires. Les adhérents du Crap le savent bien, puisque certains d’entre eux font partie des équipes de recherche de l’INRP, que d’aucuns, comme le regretté Jean-Pierre Astolfi, sont devenus chercheurs permanents de l’INRP, après avoir secondé Louis Legrand dans les recherches pour un collège démocratique.
Au reste, depuis une trentaine d’années, la plupart des chercheurs de cette institution et ceux qui l’ont rejointe ont fait l’effort de se doter, malgré les réformes de statuts, malgré la délocalisation à Lyon, du titre de docteur habilité à diriger des recherches. Les rapports internes à l’Éducation nationale semblent ignorer ce fait comme ils ignorent l’impact des recherches sur la formation des maitres et sur les lectures professionnelles des enseignants.

La mémoire des pratiques pédagogiques en péril

Les IUFM sont amputés de la formation initiale et sont l’objet des critiques les plus stupides. Alors, plus de formation pédagogique, plus de recherches en éducation et pour l’éducation ? Formation et recherche ont partie liée : les formateurs des Mafpen et des IUFM ont souvent été soit des partenaires des recherches de l’Institut, soit des lecteurs assidus des revues de l’INRP, dont la justement célèbre Revue Française de Pédagogie, seule de son genre en France.
Que vont devenir tous ces outils de formation dans un environnement essentiellement universitaire, où la recherche reste fondamentale et théorique ? La reconnaissance du bien fondé de telles recherches ne justifie en rien d’intégrer, sans préserver son autonomie, l’INRP dans l’ENS, alors que les missions des deux établissements sont radicalement différentes. Pourquoi tout mélanger dans une même institution ?
Sacrifier l’autonomie de l’INRP, c’est faire fi de l’héritage de la troisième République et de l’importance qu’elle accorda à l’histoire de l’éducation par la fondation, grâce à Ferdinand Buisson en 1879, du Musée pédagogique, dont le Musée national de l’éducation est directement issu. Ce musée reste une pièce maitresse et fondatrice de l’INRP. Or, il est question de le séparer de l’INRP, voire de le supprimer ! Les pratiques pédagogiques et leur mémoire sont indispensables à la transmission des connaissances.

Aux origines : fonder une « maison des enseignants »

Rappeler l’histoire de l’INRP, ses missions et ses particularités de fonctionnement éclairera notre opposition à cette décision de fusion difficilement compréhensible.
« L’Institut pédagogique national facilite les études et recherches pédagogiques qu’il appartient aux maitres en exercice de concevoir et d’exécuter… Il aide à déterminer des thèmes communs de recherches, à rassembler et diffuser les résultats obtenus. Car le perfectionnement des méthodes et moyens pédagogiques ne saurait être espéré de l’action de quelques maitres isolés ni de recherches qui resteraient extérieures à l’action quotidienne de la classe. Il doit être l’œuvre du corps enseignant tout entier et c’est pourquoi l’IPN n’a pas été conçu comme une institution autoritaire, appelée à déterminer et imposer une doctrine pédagogique… Il apparait comme un instrument mis à disposition des maitres pour leur permettre de faire entre les diverses doctrines, méthodes et moyens pédagogiques, un choix libre, mais éclairé », affirmait Louis Cros en février 1959.
Cette volonté de constitution d’une véritable « maison des enseignants » a sous-tendu l’évolution des missions de l’IPN, dont l’INRP et le CNDP sont les principaux héritiers, malgré la partition de 1970 (création de l’INRDP et de l’Ofrateme), ou le redécoupage de 1976 (l’Ofrateme et la documentation de l’INRDP constituant le CNDP ; la fonction recherche s’autonomisant et constituant l’INRP).
De 1970 à la délocalisation à Lyon, assortie de restructurations de la recherche, les contacts s’organisent avec les établissements de formation (CRDP, CDDP, Écoles normales d’instituteurs, puis les Mafpen et les IUFM…), les recherches, souvent interdisciplinaires, articulées aux situations rencontrées sur les terrains se diversifient ; le travail systématique avec des équipes d’enseignants, associés et acteurs, coproducteurs de connaissances et relais de leur diffusion dans l’enseignement et la formation initiale ou continue s’amplifie.

Un lien avec l’innovation et les mouvements pédagogiques

Faut-il rappeler que le 29 rue d’Ulm fut le siège des différents mouvements pédagogiques jusqu’en 1968, que la revue L’éducation nationale accueillait leurs communications ? La transposition dans le système éducatif de ce qui surgissait d’innovant dans la société sur le plan pédagogique et technologique (photographie, disque, film, radio, télévision, informatique, etc.) était constamment recherchée pour faciliter la documentation et l’information. Cette fonction de veille scientifique et technologique, ouverte sur l’international, a été l’un des fils conducteurs de la constitution de ressources pour l’éducation, vocation de plus en plus difficilement harmonisée entre l’INRP et le CNDP.
Auparavant largement ouvert, l’institut se refermera progressivement au prétexte de la scientificité requise. Une évolution difficile à résumer qui rejoint le débat sur la légitimité de la recherche pédagogique : la reconnaissance universitaire s’avère importante, les sciences de l’éducation auxquelles ne saurait se réduire la recherche en éducation se construisent progressivement à partir de 1966, les recherches-actions apparaissent comme suspectes du fait de la forte implication des acteurs.
L’INRP, attentif à ce qui se crée, de façon à valoriser le dynamisme et à aider à la diffusion de ce qui est performant, continuera à assurer en partenariat l’accompagnement d’innovations, mission qui lui sera contestée ; les relations avec les mouvements pédagogiques, malgré les efforts du Climope, se distendent.

Un lieu d’élaboration et de partage des connaissances

Redisons que les acteurs de terrain apportent l’expérience que la recherche doit permettre d’objectiver sous la responsabilité de chercheurs venus d’horizons et de cultures différentes, mais disposant des outils méthodologiques nécessaires. La connaissance pragmatique est indispensable pour assurer la pertinence du questionnement, la faisabilité pédagogique d’un dispositif, mais aussi l’acceptabilité de la formulation des résultats qui permettra leur prise en compte ultérieure. Le partage des connaissances, c’est le partage de leur élaboration et de leur mise en œuvre. C’est à cette charnière entre chercheurs et praticiens que se situe l’originalité de l’institut, avec 4 000 enseignants associés en 1985, moins de 1 000 aujourd’hui.
La puissance publique a rarement compris les enjeux que l’INRP représentait pour le système éducatif et n’a généralement pas su l’utiliser. Commandes épisodiques, silence, ou hypothèses de suppression se sont succédé. Alors que signifie la décision brutale actuelle ?
Qui assumera désormais cette fonction de mise en réseau et de relai ? Avec quels partenaires ? Il eût suffi de conventions bien pensées, bien ciblées, entre l’INRP et l’ENS pour assurer la coopération des chercheurs des deux institutions. La dilution prévue ressemble à une suppression ou à un démantèlement désastreux pour le système éducatif tout entier.

Francine Best
Directrice honoraire de l’INRP (1982-1988)

Annette Bon
Adjointe au directeur de l’INRP (1989-2006)