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Grâce aux Tice, une école plus efficace ? À voir…

Les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (Tice) sont l’objet de discours enthousiastes, pour ne pas dire prosélytes, depuis un peu plus de vingt-cinq ans. L’argument est généralement le suivant : l’école est améliorable (ou doit être améliorée) ; or, on utilise très peu les Tice ; donc, si on utilisait plus les Tice, l’école deviendrait meilleure. On voit tout de suite qu’il manque un terme à cet argument : la preuve que si elles étaient utilisées, les Tice amélioreraient l’école. Autrement dit, la preuve de l’efficacité et de l’utilisabilité des Tice. Peut-on obtenir cette preuve ? La réponse à cette question n’est ni « oui », ni « non », mais « ça dépend[[Éric Bruillard, Les machines à enseigner, Hermès, 1997.
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Une réponse différente pour chaque Tice

Au sens large, les Tice sont des technologies de la communication que l’on peut utiliser dans des situations d’enseignement, mais qui n’ont pas été conçues spécifiquement pour cela. En ce sens, les stylos, les cahiers, les livres, les bibliothèques font partie des Tice. Cela fait quelques années qu’on ne se pose plus question de leur utilité dans les apprentissages, même si au départ ce n’était pas gagné (on se souvient en particulier du passage de Phèdre, où Socrate s’en prend à l’écrit). Ces Tice au sens large nous apprennent quelque chose d’important : elles ne sont pas suffisantes pour qu’un élève apprenne, elles ne sont que des moyens utilisés par des enseignants qui les intègrent dans des tâches et des situations.
Au sens particulier, les Tice sont des technologies conçues spécifiquement pour les situations d’apprentissage et d’enseignement. Il existe alors différents types de Tice, que l’on peut catégoriser : applications ludo-éducatives (ou serious games aujourd’hui), exerciseurs, hypermédias, micromondes, plateforme d’apprentissage collaboratif, documents électroniques, présentations assistées par ordinateurs, tableaux blancs interactifs, simulations, tuteurs intelligents[[Erica De Vries, « Les logiciels d’apprentissage : panoplie ou éventail ? », Revue française de pédagogie, 137, 105-116.]]. Quand on descend à ce niveau, il commence à être possible de répondre à la question : est-ce que tel type de Tice, utilisé pour enseigner telle connaissance, à tels élèves, de telle manière et dans telles conditions est efficace ? On trouve, en effet, des études empiriques qui sont consacrées à l’évaluation de l’efficacité d’un exerciseur pour l’enseignement des notions fondamentales de l’électricité à des élèves de première année de DUT lors de travaux dirigés de mise à niveau. L’accumulation de type de résultats permet de conclure qu’en général les exerciseurs sont efficaces pour les apprentissages procéduraux ; que les hypermédias donnent rarement de bons résultats pour des apprentissages notionnels, etc.[[André Tricot, Apprentissages et documents numériques, Belin, 2007.
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S’intéresser aux médias, aux structures et aux tâches

On voit les limites d’une telle façon de répondre à cette question. Une autre façon consiste à s’intéresser non pas à l’application, mais à ce qui la compose, en particulier aux médias, aux structures et aux tâches.
Du côté des médias, on dispose en effet d’une littérature empirique très conséquente, souvent cohérente, qui montre notamment que, quand l’objectif est de comprendre un texte, la présence d’une image illustrative pertinente est bénéfique ; quand l’objectif est de comprendre une image, l’intégration du texte explicatif dans l’image améliore la compréhension par rapport à une présentation séparée du texte et de l’image ; on améliore aussi la compréhension de l’image en donnant le texte de commentaire à entendre plutôt qu’à lire.
En revanche, toujours du côté des médias, on dispose aussi de résultats peu cohérents, difficiles à interpréter, voire décevants. C’est le cas avec les images animées. Quand celles-ci sont utilisées pour représenter des phénomènes dynamiques, elles se révèlent souvent moins efficaces qu’une succession d’images fixes. Tout semble indiquer que les apprenants ont notamment des difficultés à regarder ce qu’il est pertinent de regarder, leur œil étant surtout attiré par ce qui bouge le plus. Il semble alors nécessaire de « guider l’œil » pour que celui-ci regarde ce qui est pertinent. Quand les animations sont utilisées pour représenter des gestes, des procédures manuelles, l’apprentissage semble favorisé.
Du côté des structures et des tâches, d’autres résultats[[Lucile Chanquoy, André Tricot, et John Sweller, La charge cognitive, Armand Colin, 2007.
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Aline Chevalier, André Tricot, Ergonomie des documents électroniques, PUF, 2008.
Commander cet ouvrage avec Amazon]] montrent notamment que les possibilités de structures riches et croisées offertes par les supports numériques sont autant de contraintes cognitives à gérer par les apprenants, rendant les tâches de lecture compréhension souvent beaucoup plus exigeantes que sur les supports traditionnels. Ils montrent aussi que les tâches d’apprentissage et de coopération à distance, rendues possibles grâce aux nouvelles technologies sont souvent bien plus difficiles si on les compare aux mêmes tâches réalisées en présence.
Il semble donc possible de conclure que les Tice peuvent contribuer à améliorer l’école, en trouvant une place en son sein plutôt qu’en la modifiant, à condition que l’on arrête d’en parler comme des Tice en général. Ce n’est qu’en abordant la question de façon plus précise que l’on peut commencer à y répondre, en n’oubliant pas que cette question n’a strictement rien à voir avec une autre, celle de l’appropriation des TIC par les jeunes.

André Tricot
CLLE – Laboratoire travail & cognition, UMR 5263 CNRS – EPHE – Université de Toulouse 2