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Formation initiale : bilan contrasté, avenir incertain

Cahiers pédagogiques : Quel bilan personnel faites-vous des IUFM ?

Gilles Baillat : Rappelons d’abord que plus de la moitié des enseignants en exercice ont été formés dans les IUFM. Il n’est cependant pas facile de procéder à ce bilan de façon à la fois exhaustive et objective, en particulier pour l’auteur de ces lignes ! On peut cependant dégager, ne serait-ce que pour aider aux réflexions actuelles, quelques éléments de réussite, susceptibles de constituer un héritage précieux pour les universités et les écoles internes ; mais aussi, de souligner ce qui n’a pas marché, pour mieux s’en prémunir dans les futures constructions.
Trois réussites à mes yeux.
La promotion de l’approche par compétences dans la formation des enseignants constitue une indiscutable réussite dans le contexte d’une évolution globale des formations universitaires en faveur d’une articulation plus forte avec le monde du travail. Les IUFM ont été amenés en effet à promouvoir l’idée générale que la formation reçue par ses usagers (étudiants et stagiaires) devait les conduire à l’exercice d‘un métier. Cela n’excluait pas bien entendu la transmission de connaissances disciplinaires, mais a renvoyé à l’objectif de finaliser ces connaissances par la construction de compétences professionnelles. Sans attendre la parution du référentiel officiel et l’obligation pour les stagiaires d’alimenter un « dossier de compétences » comme outil de leur titularisation, les IUFM ont entrepris depuis le début des années 2000 toute une série de mutations allant dans ce sens. Certains se sont dotés d’observatoires de formation conçus autour de la notion de compétences ; d’autres ou les mêmes ont commencé à transformer leurs plans de formation.
La promotion des Tice dans l’enseignement supérieur et de façon corollaire, la question de la pédagogie universitaire. Dès le « plan d’urgence » décrété sous le ministère Allègre en 1998, les IUFM ont été promus comme fer de lance de la diffusion des TIC dans la formation et l’enseignement, le pari étant que la formation des jeunes enseignants en constituait un passage obligé. Aujourd’hui, le C2I enseignant est un véritable succès puisque la quasi-totalité des IUFM ont pu mettre en œuvre la mise en place de cette certification pour l’immense majorité des stagiaires (en 2008) alors que le C2I niveau 1 que devraient obtenir les étudiants en licence, à la charge des universités est toujours à la peine.
La promotion des recherches en éducation et plus particulièrement en didactiques, avec une forte dimension de recherche-action associant les praticiens. Les IUFM ont depuis l’origine une mission de développement de la recherche qui était prévue par les textes fondateurs.

L’articulation théorie-pratique

Les échecs, toujours de mon point de vue bien sûr, sont les suivants.
J’estime que les IUFM n’ont pas réussi à associer harmonieusement les deux dimensions d’une formation universitaire professionnelle : la formation théorique et la formation aux « gestes professionnels ». Cette distinction recoupe de fait celle qui existe entre la formation qui vise l’insertion professionnelle immédiate et celle, souvent renvoyée à l’idée de formation réflexive, qui vise le long terme. C’est sans doute l’explication du contraste entre le sentiment développé par les jeunes enseignants au moment de leur première affectation, sentiment très critique vis-à-vis de leur formation à l’IUFM, et l’opinion développée par les cadres de l’Éducation nationale (inspecteurs et chefs d’établissement), beaucoup plus positive.
Les IUFM n’ont pas su, par ailleurs, procéder à la transformation de leurs moyens humains : depuis 1991, les formateurs sont restés pour l’essentiel dans la lignée de ce qu’ils étaient dans les anciennes écoles normales et dans les anciens centres pédagogiques régionaux. On constate d’ailleurs aujourd’hui, au moment de l’intégration à l’université et de la masterisation des formations d’enseignants, que de nombreux formateurs restent décalés par rapport aux critères des formations universitaires actuelles. Il est vrai cependant que les moyens n’ont pas été vraiment donnés aux instituts et à leurs formateurs pour aider à ces transformations.
Les IUFM enfin n’ont pas réussi à irriguer par la recherche les formations dispensées, que ce soit par ses processus comme par ses résultats ; même s’ils ont aidé le développement des recherches en éducation, elles restent insuffisantes et mal articulées avec les contenus de formation. La conséquence est que certains contenus de formation restent trop éloignés de ce qui est connu aujourd’hui dans le domaine des apprentissages. D’autre part, alors que de nombreux aspects de l’activité enseignante font l’objet de débats et de controverses parmi les chercheurs, ils apparaissent parfois présentés de façon trop dogmatique.

Cahiers : Pourquoi abandonne-t-on la formation en alternance la première année, avec quelles conséquences ?

G. B. : Les IUFM ont banalisé depuis leur origine une certaine vision de la formation en alternance, avec notamment l’importance cruciale dans la formation du ou des stages. Le nouveau système va-t-il conduire au recul de cette conception et à la suppression de toute logique d’alternance ? Ce n’est pas certain. Tout va dépendre en effet de la nature de l’offre master. Si celle-ci prend véritablement en compte la question des compétences professionnelles exigibles au concours de recrutement et, surtout, exigibles pour la réussite de l’insertion professionnelle des lauréats, les masters comprendront des stages peut-être plus variés et en volume plus important qu’aujourd’hui, ne serait-ce que du fait de la suppression de la contrainte actuelle (les stagiaires moyens d’enseignement). Si l’offre master au contraire privilégie la seule transmission des contenus, il faut craindre en effet que cette formation soit en recul par rapport à la situation actuelle.
Dans l’état actuel de l’élaboration des dossiers d’habilitation, on peut imaginer que l’offre master dirigée vers les professeurs des écoles ou les CPE soit effectivement souvent imprégnée de préoccupations professionnelles, alors que l’offre master en direction des certifiés du second degré pourrait être beaucoup moins professionnalisante. Il faudrait craindre dans ce dernier cas (mais le pire n’est jamais certain !) un grand dénuement des lauréats dans la prise en main des classes qui leur seront confiées en pleine responsabilité. Il faut remarquer que cette dissociation (approximative) entre premier et second degré ne correspond pas à ce que dit aujourd’hui la recherche qui attire souvent l’attention sur le fait que les enseignants français du secondaire sont plutôt en difficulté sur ce registre.

Propos recueillis par J.-M. Zakhartchouk