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Elèves actifs, élèves acteurs – Boite à outils

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Je me rappelle un article des Cahiers où Cécile Delannoy se demandait pourquoi les formateurs étaient si peu enclins à inviter des stagiaires dans leurs classes, et elle faisait l’hypothèse que peut-être, sur le terrain, ils n’étaient pas forcément meilleurs que les autres… Je dirais plutôt : ils sentent le poids de leurs imperfections et, même s’ils font ce qu’ils disent – on l’espère ! -, ils craignent, après les discours tenus en stage, de se montrer si humains, trop humains…

Robert Guichenuy n’a pas cette crainte ou en tout cas la dépasse. Professeur et formateur, il expose ses fiches, ses pratiques, comment il commence une heure, dispose la salle, organise l’entraide, interroge les élèves… Sommes-nous si nombreux à oser ainsi nous montrer ? Posant le principe qu’« en pédagogie, il n’y pas de petites choses », il invite à voir ses façons d’organiser le travail en classe, dans les heures tout-venant d’un temps ordinaire, ni grand projet, ni structure exceptionnelle, si ce n’est qu’il a d’abord expérimenté cela auprès d’élèves en difficulté (classes de 4e AS et 3e d’Insertion).

Ce qui n’est pas ordinaire, en revanche, c’est la rigueur avec laquelle il met en œuvre des règles de fonctionnement et des formes de travail. Pour les premières, on lit par exemple p. 35 : « Tout échange de matériel, de quelque nature qu’il soit, durant un travail, est strictement interdit. ». Et l’auteur d’expliquer que sous couvert de camaraderie, l’enseignant cautionne souvent un racket qui se déroule sous ses yeux. […] Cela peut se faire avec plus ou moins de « courtoisie », mais, sauf exception, le déséquilibre et le sens unique sont la règle. C’est pourquoi il propose que des équipes, ou à défaut plusieurs enseignants, adoptent ce principe (et le communiquent aux élèves et aux parents) que l’élève travaille avec le matériel dont il dispose au début du cours. À lui de faire preuve d’imagination en cas de manque. De telles règles surprennent, mais ont le mérite de nous renvoyer à la façon dont nous traitons, nous, l’infernale question de l’oubli de matériel, du livre, des feuilles, du bon polycopié… Pas de petites choses en pédagogie, rappelons-nous.

Surprenante encore, l’assimilation de la copie au tableau à la copie sur le voisin : c’est la même chose, l’élève n’est qu’un « satellite » qui attend de pouvoir écrire la réponse sans apprendre. Les enseignants le savent mais continuent quand même ainsi, parce qu’il faut bien gagner du temps. Que faire alors ? Ne plus écrire de texte au tableau, dit R. Guichenuy, seulement des mots-clés. La rédaction finale appartient à chaque élève. La mémoire collective est garantie par la « banque », ensemble de fiches rédigées par un secrétaire (tournant), qui ne contiennent que l’essentiel et deviennent la référence pour tout membre du groupe. Trop difficile, impossible pour moi, dira le lecteur ! Encore une fois, le propos de ce livre n’est pas de nous livrer des recettes, mais de nous renvoyer à nos pratiques. Comment, dans nos classes, s’élabore la « trace écrite » des cahiers ou classeurs ? Qui fait quoi, exactement ? Comment gérons-nous le passage du tâtonnement collectif à la mise en mots stabilisée ? Il vaut la peine de se re-poser la question…

Les propos qui précèdent nous amènent à la question des apprentissages. R. Guichenuy l’aborde par l’entrée de l’attention et de la motivation, des mots qui parlent au cœur des enseignants ! Il déroule ici le fil lancé par son titre : « élèves actifs, élèves acteurs », en plaidant pour une gestion du temps, de l’espace, une organisation des prises de parole, des modes d’entraide qui, (sans nécessiter de coûteuse organisation), rompent avec la classe classiquement divisée entre la zone dangereuse du bureau-tableau et celle des élèves avec ses zones exposées et d’autres protégées… Là, comme dans d’autres domaines, celui des modes d’évaluation par exemple, R. Guichenuy plaide pour l’inventivité contre la « résignation » de l’enseignant : que tous les élèves « participent » et contribuent à la construction du savoir n’a rien d’utopique si on rompt avec le rite de la fausse maïeutique et qu’on prenne au sérieux la circulation de la parole ; que la classe hétérogène aide vraiment chacun à avancer, c’est un pari possible si on organise délibérément le tutorat entre élèves comme partie intégrante de l’heure de cours et des apprentissages. Et pour ceux qu’une telle organisation effraierait, l’auteur met en garde contre la tentation de vouloir tout faire : choisissons des priorités et tâchons de nous y tenir, en évitant l’utopie du cours parfait.

Le lecteur de ce livre ne sera pas forcément d’accord avec tout et trouvera le propos parfois trop cartésien. Il lira, dans les « interpellations » qui ponctuent les chapitres (c’est le jeu de cette collection), un écho des objections qu’il voudrait faire à l’auteur. Mais celui-ci n’a pas voulu donner un mode d’emploi de la classe bien faite : il pose des questions et donne ses réponses, laissant en même temps, comme dans les fiches de formation qu’il communique aussi, le soin à chacun d’imaginer d’autres façons de faire. On ne peut que l’en remercier.

Florence Castincaud


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