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Controverse : Des IUFM pour qui ? Pour quoi ?

Du traitement de la folie douce

Un problème plombe les IUFM depuis le début : que faire de leurs candidats en échec ? Leur création fut une idée irrationnelle, une folie douce, dont personne ne semble s’être aperçu. Car les charger de la préparation des concours, c’était créer des « machines à perdre », condamnées à fonctionner avec un taux d’échec considérable. Or quand on s’obstine à faire marcher une machine qui ne peut pas marcher, il en résulte nécessairement des effets paradoxaux qui, aggravant la folie initiale, exigent pour finir un traitement de choc. En écartant l’idée des masters professionnels d’enseignement, la circulaire ministérielle du 14 novembre 2002 met brutalement fin aux « années folles » consacrées à la recherche de solutions introuvables.

Entre 1995 et 1998, le nombre de candidats aux concours explosait et celui des postes baissait. Pour éviter la dégringolade de leur taux de réussite, les IUFM mirent alors en place la « régulation des flux » qui devait être la panacée. On se félicitait de cette « sélection de plus en plus sévère », ce qui ne manque pas de sel pour les partisans de la non-sélection… chez les autres. Au nom sans doute d’une nouvelle conception de l’« égalité des chances », on privait ainsi de préparation plusieurs milliers de candidats, contraints de se présenter en candidats libres. Mais cette énorme injustice eut son envers comique. On sait que les meilleurs licenciés ne choisissent pas prioritairement de passer le CAPES. Les sélectionneurs des IUFM se trouvèrent donc face à une masse d’étudiants dont le profil était à peu près équivalent et statistiquement médiocre. De sorte que la sélection fut, en grande partie, aléatoire. La conséquence dès lors était inéluctable : il y a eu corrélation entre la répartition des lauréats et le nombre de candidats. En trois ans, les IUFM ont perdu environ 1 400 postes au CAPES (12 % de leur « part de gâteau », automatiquement reversée sur le compte des candidats libres puisque le jeu est à somme nulle). De même au concours de professeurs des écoles où ils sont passés de 71 % à 62,4 %. Autrement dit, les IUFM ont été obligés d’accepter comme stagiaires un nombre croissant de lauréats dont ils n’avaient pas voulu comme candidats ! Exactement le contraire du but recherché. Et c’est un statisticien, Bernard Cornu, ex-président de la CDIUFM, qui eut cette riche idée : il avait confondu taux de réussite et répartition des postes. Bravo ! Le phénomène était parfaitement prévisible. Or non seulement il n’a pas été prévu mais il est resté inaperçu alors même qu’il était devenu empiriquement constatable. Les rapports du CNE sont à cet égard à hurler de rire : on a continué à revendiquer la présélection et à tancer les universités qui refusaient de s’y soumettre sans comprendre que, si les universitaires n’avaient pas résisté, les résultats des IUFM auraient été encore bien pires. Décidément, les experts de l’expertise sont aussi incompétents que les professionnels de la professionnalisation.

Un « master » pour les collés

Entre 1998 et 2002, et sans même s’apercevoir que la présélection était contre-productive, les IUFM ont exploré, par un autre tour de folie, une deuxième voie : avancer au mois de novembre les épreuves d’admissibilité pour renvoyer les collés suivre un deuxième semestre de master à l’université. Cette dernière aurait alors la noble mission d’« accompagner l’échec » – comme on dit des mourants – selon l’expression involontairement comique (ou tragique) de M. Cornu, toujours lui, auteur du projet. Une telle stratégie entraînerait la dévalorisation immédiate de ce diplôme avant même qu’il n’existe vraiment. Mais c’est encore plus fou. Car même si les universités acceptaient de valider cet échec comme premier semestre de master (!), le problème se reposerait l’année suivante. N’ayant guère fait de progrès en mathématiques, le promoteur de cette opération ne semble pas s’être aperçu qu’il faut donner à un tel dispositif une routine de 2 ou 3 ans. Admettons que le collé en question obtienne non seulement la validation de son premier semestre mais aussi les modules du second (plus rien ne saurait étonner en matière de « réussite »). Il est évident qu’il se représentera en novembre suivant aux épreuves d’admissibilité. On ne pourra quand même plus valider un nouvel échec comme « troisième semestre » de master. Que deviendra-t-il alors ? Il ne pourra obtenir ces 30 crédits que le jour où, après trois ou quatre tentatives infructueuses, il décidera de renoncer définitivement à devenir enseignant et de consacrer une année supplémentaire à obtenir un… master professionnel d’enseignement. Oui, un « master professionnel d’enseignement » pour quelqu’un qui aura été jugé plusieurs fois de suite incapable d’enseigner ! Il arrive toujours un moment où, faute de soins, la folie douce devient furieuse. Le ministère vient de mettre en terme à ce délire. Il lui reste à en déduire toutes les conséquences en retirant aux IUFM la préparation aux concours : c’est la seule solution rationnelle au problème posé par l’existence d’institutions non viables qu’on s’est trop longtemps acharné à maintenir en vie au mépris du bon sens.

Pedro Cordoba, Maître de conférences (langues romanes) à l’université de Reims, Président de l’association « Reconstruire l’École ».


Quand on veut tuer son chien…

La formation coûte cher ? Essayez l’immersion. Je me souviens de ce samedi d’octobre 1971 où, maître-auxiliaire débutant, je fis mon premier cours de français dans un collège de Bondy à trente-trois élèves de sixième. Une journée de lit pour m’en remettre ! Il est criminel de lâcher dans une classe un enseignant avec pour tout bagage le discours universitaire. Vive la formation ! Même si, critiquable sur bien des points, elle n’a jamais cessé d’être l’objet d’attaques… Ainsi, l’introduction d’une épreuve professionnelle (préprofessionnelle, aurait-on dû dire) fut un tel scandale qu’on fit disparaître cet adjectif de l’épreuve sur dossier. Tout au plus put-on préserver une semaine de sensibilisation pour que les étudiants découvrent le métier avant de le choisir. Enfin, c’est au recteur Bancel et non aux IUFM que nous devons la particularité du concours en fin de première année.

La véritable « folie douce » est que nous mêlons ce que d’autres distinguent : le recrutement des enseignants et leur formation. Ceux qui échouent au CAPES : ils existaient bien avant 1992. Selon les disciplines, le pourcentage varie de 0 % à 75 %. Je peux multiplier les exemples de disciplines pour lesquelles les stratégies des étudiants (mobilité géographique) déjouent les efforts d’équipes qui tentent de réagir (cela existe, de plus en plus !) ou confirment le succès d’une préparation locale.

Alors, la présélection est-elle cette arme dont se seraient dotés les IUFM pour s’assurer un marché captif ?

À Montpellier, dix mille personnes passent les tests de sélection pour être professeur d’école. Imagine-t-on sérieusement de leur assurer une préparation longue et coûteuse pour ne faire réussir, les bonnes années, que sept cents heureux élus ? Quant au second degré, sur vingt-cinq concours préparés, il n’y a que quatre pour lesquels les équipes (après vote en conseil d’administration où siègent les universités) pratiquent un tri préalable (l’éducation physique et sportive, la physique-chimie, le génie électrique et les CPE). Quelques dizaines de dossiers non retenus pour plus de deux mille demandes sur Montpellier. Il faudrait dresser un inventaire des refus avant de prétendre qu’il s’agit d’une pratique généralisée. L’attitude me semble plus favorable à l’ouverture à tous, même si elle est limitée à qui peut s’inscrire à l’université, ce qui n’est pas toujours évident : cas des mères de famille de trois enfants et plus, sans bac, qui peuvent concourir mais pas s’inscrire à l’université !

À chacun son rôle

Si l’on souhaite « reconstruire l’école », une attitude systématiquement destructrice finira par tuer le patient. L’école de la République a toujours eu pour mission de s’occuper de tous ceux qui lui sont confiés. En cas d’échec, comment faciliter l’évolution du projet personnel et professionnel ? Si l’étudiant réussit, comment le préparer au métier et l’accompagner dans ses premiers pas ? Le ministère cache soigneusement les démissions du début de carrière. Les postes les plus difficiles échoient à nos jeunes collègues. Ils critiquent alors une formation initiale insuffisamment liée aux réalités du métier et un enseignement universitaire trop académique.

J’avais rêvé d’une harmonisation des parcours : aux universités l’acquisition des connaissances, aux IUFM la formation, qui peut et doit se faire en relation avec l’université et le « terrain », et aux établissements l’accompagnement. C’était oublier que quelques universitaires ne rêvent que de revanche « en retirant aux IUFM la préparation aux concours ». C’est un peu court comme projet et comme ambition : ils ne récupéreraient que des miettes puisque la première année leur est en fait confiée (voir le ratio heures en université/heures à l’IUFM largement supérieur à 3/4). Ils ne voient que CAPES ou agrégation, moins de 40 % des postes. Le premier degré ? Connais pas. L’enseignement professionnel et technologique ? Veux pas le savoir. « Rendez-nous nos étudiants et ne faites pas évoluer les concours, même s’ils sont peu en rapport avec l’exercice quotidien du métier ». Pendant que nous discourons sur un monde idéal, Ministère et Rectorats accélèrent le recrutement désastreux de vacataires jetés après usage. Ne pourrions-nous imposer que tout enseignant soir recruté sur concours, quitte à utiliser largement les listes complémentaires pour faire face aux besoins imprévus ? Cela se fait dans le premier degré depuis 1992. Nous resterait « l’ardente obligation » d’améliorer la formation, étant entendu qu’elle concerne les connaissances et les compétences. Chiche ?

Richard Étienne, Enseignant-chercheur à l’Université Paul Valéry Montpellier III ( Pendant quinze ans, professeur agrégé en collège, six ans formateur en formation continue à la MAFPEN, sept ans professeur en IUFM et, depuis deux ans, enseignant-chercheur dans une université.)


La réaction de Pierre Cordoba

Dans les CAPES littéraires, le nombre de lauréats-IUFM a baissé de 24 % entre 1995 et 1999 et celui des candidats libres a augmenté de 4 %. Dans les CAPES scientifiques, 40 % des lauréats sont des candidats libres. Au CRPE, la part des IUFM est passée de 71 % en 1995 à 62 % en 2000. Et au CAPLP2, les IUFM n’ont que 57 % des admis. Ces merveilleux résultats sont exclusivement dus aux effets pervers de la présélection. Ce ne sont pas quelques centaines mais des dizaines de milliers de candidats au CAPES qui, entre 1995 et 2002, ont été illégalement privés de préparation par les IUFM. Idem pour le CRPE. M. Étienne ne répond pas à mon autre question : faut-il délivrer un « master d’enseignement » à ceux qui ont été jugés incapables d’enseigner ? Quant aux vertus de la deuxième année, je n’en parlais pas dans mon texte et j’y reviendrai à une autre occasion.

Pedro Cordoba


La réaction de Richard Etienne

De qui parle M. Cordoba ? Des « candidats libres » et des « IUFM » qui sont plutôt préparés à l’université ? « Libres » devrait désigner ceux qui ne s’inscrivent ni à l’IUFM ni en Université. À des statistiques sur les « parts de marché », j’aurais préféré un débat sérieux sur les connaissances et les compétences des enseignants, que M. Cordoba est capable de mener. Il ne poursuit qu’un objectif : « Détruire les IUFM »… Quant au « master d’enseignement », il n’est pas à l’ordre du jour même s’il est bizarre de laisser à Bac + 3 des personnes qui sont objectivement à Bac + 5. Occupons-nous de former les formateurs d’enseignants pour éviter les dérives que je déplore comme toute personne sensée et reconnaissons leurs compétences : quelques DESS ont été mis en place dans cette intention mais le ministère semble les abandonner à leur sort.

Richard Étienne