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Brigitte Luciani : « Ça casse aussi les préjugés »

 

Photographie J.-J. Procureur.

Comment devient-on scénariste d’une série de bande dessinée à succès, recommandée par le ministère de l’Éducation nationale ? Brigitte Luciani, autrice de M. Blaireau et Mme Renarde, nous raconte.
Quelle vision avez-vous de l’école en France, vous qui avez été scolarisée en Allemagne ?

Pour résumer le long discours qui me vient à l’esprit : c’est différent, mais ça fonctionne aussi ! Évidemment, ici comme en Allemagne, on doit et on peut faire mieux. Pour cela, il faut sans cesse étudier ce qui se fait dans les autres pays et y piocher des méthodes prometteuses.

Depuis quand avez-vous le gout de l’écriture ?

J’ai toujours écrit un journal intime et des lettres. Je n’avais jamais pensé devenir autrice, mais j’ai retrouvé un magazine fait avec des camarades l’année du bac, dans lequel je disais que je voulais être éditrice, bibliothécaire ou libraire. Cela tournait déjà autour du livre. J’ai fait des études en littérature et histoire. Puis j’ai commencé à écrire dans un quotidien en Bavière. C’était très formateur, mais j’étais un peu frustrée parce qu’il n’était pas possible de creuser longtemps un sujet.

Après mes études, arrivée à Berlin, j’ai été stagiaire dans une maison d’édition. J’ai appris plein de choses, et surtout à regarder la réalité en face. J’ai pu ainsi constater que les auteurs étaient des gens comme moi. Après, j’ai travaillé deux ans comme archiviste pour Ullstein Bild et leur énorme fonds de photos d’archives. Il fallait faire des recherches et trouver les dates, lieux, personnes sur des photos anciennes. C’était un travail de journaliste, d’enquête. Déjà, il s’agissait de trouver l’histoire derrière l’image.

Le déclic est vraiment venu quand je me suis installée en France, à Paris. J’étais enceinte, et je me suis dit que, puisque j’étais capable en neuf mois de faire deux bébés, j’allais essayer d’écrire un roman dans le même temps. J’ai commencé à écrire, clairement dans l’idée d’envoyer le livre à des éditeurs dès que ce serait fini. Et ça a marché. J’ai même eu ensuite une commande pour un deux­ième roman. Un sacré encouragement !

Avec mes enfants, je suis retombée dans le livre jeunesse et ça a déclenché d’autres envies. J’empruntais énormément à la bibliothèque, il n’y avait que des livres en français mais comme je parlais en allemand avec mes enfants, je leur traduisais les livres. Parfois, je trouvais les images très jolies mais l’histoire ne me plaisait pas. Alors, puisque je changeais déjà le texte en traduisant, j’ai commencé à improviser des histoires. Créer l’histoire à partir du dessin, cela m’a beaucoup amusée. C’était aussi un sacré entrainement, j’avais immédiatement la réaction de mon public ! Puis, un jour, j’ai écrit ma propre histoire pour enfants. Je l’ai envoyé à des maisons d’édition que j’aimais bien, et le coup de fil est venu.

Et comment sont nés M. Blaireau et Mme Renarde ?

La bande dessinée a été une magnifique découverte à mon arrivée en France. Il y en avait très peu en Allemagne. Je me suis jetée dessus, c’était facile à lire pour moi, grâce aux images, à la langue parlée, aux textes courts. Qu’on puisse, comme ça, raconter avec les images, ça m’a émerveillée ! Et à un moment, je me suis dit que j’aimerais aussi en faire.

Quand mes enfants ont commencé à lire de la BD, j’ai constaté qu’il manquait une étape entre les livres jeunesse et les bandes dessinées. Il y avait un créneau à prendre, avec une thématique encore familiale, et une écriture correcte, facile à lire pour les 6-8 ans.

Il me fallait une dessinatrice, j’ai pensé à Ève Tharlet, avec qui j’avais déjà travaillé. Elle m’a dit qu’elle aimerait dessiner des animaux « à poil », c’est-à-dire pas habillés. Moi, j’avais des thématiques qui me trottaient dans la tête, et un soir, la lumière est venue d’un documentaire sur les renards. Quand un renard n’a plus de terrier, il ne creuse pas, il va chercher un terrier abandonné, et s’il n’en trouve pas, il va chez les blaireaux, qui acceptent une sorte de cohabitation, creusent d’autres salles et d’autres sorties, pour s’installer un peu plus loin. À partir de là, tout m’est venu.

J’ai fait des recherches sur les comportements des blaireaux et des renards, que j’intègre à mes histoires, ça me donne une assise très solide.

La famille Blaireau-Renard, c’est une famille recomposée avec deux cultures différentes. C’est ce qui fait que je peux mettre cette famille-là en scène, car mon père était réfugié hongrois en Allemagne, et moi, je vis finalement en France. Nous montrons ce que l’on peut gagner quand deux cultures se frottent, et quand le regard s’oriente vers ce qu’il y a de bien dans chaque culture. C’est comme avec le bilinguisme : l’objet est le même, mais on apprend qu’on peut le désigner différemment, ça ouvre l’esprit. Il y a donc d’autres façons de faire ce que l’on fait. Ça casse aussi les préjugés.

Et la série fait partie des recommandations de lecture de l’Éducation nationale…

Oui ! On a été très contentes et honorées. Mais on s’est demandé ce qui allait se passer si notre histoire était étudiée à l’école, est-ce qu’il n’y avait pas un risque que les enfants perdent envie de nous lire si c’était prescrit ? Heureusement, il semble que non.

Ça nous a aussi apporté plus d’invitations à aller dans des classes, ce qu’on aime beaucoup faire. Ça nous rapproche de notre public. C’est important pour moi de garder le contact. Dans les classes, j’essaye de questionner les enfants moi aussi, pour voir comment ils ont perçu les personnages, certains de leurs actes. J’essaye de déclencher des discussions entre eux. C’est toujours plein de surprises. Et c’est mon rêve pour tous mes livres, que les gens en parlent, que ça encourage l’interaction avec les autres.

Il y a aussi trois livres thématiques à côté de la série.

Là, c’est d’emblée beaucoup plus pédagogique, pour les 5 à 11 ans. Le premier livre parle des émotions. On y mêle des petites histoires et des pages documentaires qui invitent à la discussion. Ces pages-là, les enseignants peuvent les afficher comme une expo dans la classe. Le deuxième livre parle des arbres et le troisième du vivre ensemble, c’est-à-dire de liberté, d’égalité et de fraternité. Mon éditeur pensait que c’était impossible d’aborder ça avec de jeunes enfants. Mais quand il a lu le texte, il a été convaincu.

Mon approche est toujours la même, dans mes livres comme dans la vie : je me demande « de quoi parle-t-on ici ? », je creuse pour arriver à l’essentiel, aux questions fondamentales, sur lesquelles il est plus facile de se mettre d’accord et de trouver un langage commun. À partir de là, la discussion redevient possible, on peut parler de problématiques plus complexes. Dans la grande série M. Blaireau et Mme Renarde, je fais pareil : le dernier tome, Le porte-bonheur, parle des croyances. Parler des religions est très compliqué, alors partons d’abord de la question « Qu’est-ce que tu crois ? », et aussi « Est-ce que je peux supporter que tu croies autre chose que moi ? » C’est la magie de notre famille Blaireau-Renard : on peut aborder tous les sujets avec elle.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

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