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Bac pro en trois ans : une bonne occasion de réhabiliter la voie professionnelle

Cahiers pédagogiques : Dans le passage au bac pro en trois ans, faut-il voir d’abord, à l’origine, une logique économique ? Ou bien la formule BEP + Bac pro était-elle vraiment à revoir ?

José Fouque : Il est bien regrettable que l’on ne s’avise de concevoir des réformes que lorsque la nécessité fait loi ou pour répondre à une logique économique. Cette réforme n’échappe certes pas à cette triste règle. Pour autant, il n’y pas matière à jeter le bébé avec l’eau du bain. Les dispositions proposées sont, d’après moi, complètement justifiées. Dès 2001, je les ai mises en application avec succès dans des sections connues pour accueillir des élèves d’un niveau plutôt plus faible que les autres.

C. P. : Faire du CAP la seule voie professionnelle courte après la 3e, avec moins de possibilités de poursuivre sa formation, est-ce raisonnable au vu des besoins en qualification professionnelle pour obtenir un emploi ?

J. F. : Je répondrai volontiers qu’il n’est pas juste de considérer le BEP comme une voie de formation courte. Ce diplôme n’est pas reconnu par les conventions collectives et aujourd’hui il n’a, au fond, de valeur que dans la mesure où il permet d’accéder au bac professionnel. Le BEP en soi n’a pas plus de valeur pour les entreprises que le CAP. Ce qui fait la différence est plutôt la nature du public concerné. C’est d’ailleurs pourquoi, pendant longtemps, les enseignants sont restés attachés au CAP. Les CAP de l’artisanat sont très valorisés. Seuls ceux qui accueillent des élèves très en difficulté pâtissent, pour cette raison, d’une moins bonne réputation.

C. P. : Le palier du BEP n’est-il pas important pour des élèves plus lents, qui suivront plus difficilement les trois années menant directement au bac pro ?

J. F. : Il faut savoir que plus d’un tiers des élèves qui entraient en BEP en sortaient sans diplôme. Dans ces conditions, il est difficile de maintenir que cette voie de formation est bien adaptée aux élèves plus lents. Je pense que le bac pro en trois ans est un défi à la portée des jeunes sortant de 3e avec quelques faiblesses ; pour moi, croire dans leur capacité, le leur montrer est un facteur déterminant de leur réussite. D’ailleurs, souvent, ce sont moins leurs difficultés qui sont en cause que notre difficulté à proposer un enseignement adapté. Les élèves que nous avons accueillis en 2001 en bac pro « outilleurs » nous ont surpris par leur réactivité.
Il s’agit donc, d’une part, de proposer le CAP en deux ans à des élèves sortant de 3e, sachant que, comme leurs camarades qui entraient en BEP, ils pourront poursuivre leur scolarité et obtenir le bac professionnel en quatre ans, et d’autre part, d’engager un nombre plus important d’élèves vers le bac professionnel par le biais d’un cursus en trois ans. En faisant la somme des cursus CAP et bac pro, davantage d’élèves sortiront diplômés et davantage d’élèves devraient obtenir le bac. Ce dispositif en « écluse », contrairement aux craintes exprimées, devrait contribuer à fluidifier les parcours et à éviter les bras morts.

C. P. : La réorganisation géographique qui accompagne cette réforme présente-t-elle des risques ?

J. F. : Je pense que la réforme, si elle est bien conduite, devrait permettre de mieux cylindrer les offres de formation dans les LP. Par exemple, dans l’établissement que je dirige actuellement, il y avait un flux entrant de soixante élèves en BEP électrotechnique et un potentiel d’accueil en bac pro de quinze. Dorénavant, il y aura trente élèves en CAP, 30 élèves en bac pro trois ans. Par ailleurs, n’oublions pas que les CFA et l’enseignement privé ont pris depuis 2001 une grosse avance sur nous. Il ne serait pas satisfaisant, pour reprendre l’argument de votre première question, de laisser délibérément les meilleurs élèves se diriger vers les CFA et vers les établissements privés. Le fait d’avoir un cycle de trois ans et non de deux fois deux permet en effet de concevoir la première année de formation comme une année de détermination à l’intérieur d’un champ professionnel. Par exemple, une 2de professionnelle dans le champ des métiers de l’organisation et de la gestion peut déboucher sur un bac pro secrétariat ou un bac pro comptabilité. Cette architecture ne devient pertinente que si les familles trouvent à proximité une offre à la fois cohérente et diversifiée.

C. P. : De votre point de vue, à quelles conditions la mise en œuvre de cette réforme sera-t-elle réussie ?

J. F. : D’abord, on vient de le voir, il convient de faire les bons choix en terme de carte des formations, assurer une fluidité du CAP au bac pro, mais aussi assurer une meilleure efficacité aux bac pro avec une nouvelle articulation vers les BTS. Cela suppose une pédagogie rénovée plus inductive faisant le choix de l’intelligence de la main. Cela suppose de faire le choix de la modificabilité des êtres et de porter la conviction que, quels que soient les accidents de parcours, il est possible d’atteindre le niveau le plus élevé. De ce point de vue, cette réforme pourrait être l’occasion d’une utile révision des pratiques professionnelles et du développement d’une pédagogie de projet.

C. P. : D’après vous, quelle serait la réforme essentielle aujourd’hui pour « réhabiliter la voie professionnelle » ?

J. F. : Il faut permettre à chaque enfant de trouver une dignité dans l’exercice d’une pratique et non plus le conduire à se tourner vers une formation par défaut de n’avoir pu atteindre quelque autre objectif. Je préconise une plus grande place pour des enseignements pratiques à l’école primaire et au collège de telle sorte que le LP représente une continuité et non pas une rupture avec ce qui lui précède. Je préconise aussi la mise en œuvre d’activités pédagogiques de découverte des métiers dès l’école primaire. La cohérence sociale et la formation de citoyens responsables passent par l’égale dignité de tous les travailleurs.

José Fouque, proviseur du lycée Vauvenargues
à Aix-en-Provence, membre du bureau d’
Éducation & Devenir.