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Leçons d’hier pour la formation d’aujourd’hui

En trente ans, de 1990 à 2020, le volume horaire de la formation générale théorique et pratique des enseignants du premier degré a diminué de 40 %, et celui des stages dans les écoles de 30 %. Et en 2020, il n’y plus de stage en collège, de stage en entreprise, de stage en centre de loisirs ou culturel. En 1990, en devenant professeurs des écoles, ce qui a constitué certes une revalorisation salariale substantielle, les instituteurs ont perdu non seulement une année de formation professionnelle mais aussi, en n’ayant plus qu’une année sous statut de stagiaire après le concours, une année de salaire, et donc d’ancienneté pour leur carrière. Et, au passage, ils ont aussi perdu le logement de fonction ou l’indemnité de logement.

Et on se souvient que, de 2009 à 2012, les nouveaux enseignants sont recrutés au niveau master, c’est-à-dire qu’ils ne sont plus payés du tout avant leur entrée en fonction, ce qui fait économiser au ministère des milliers de supports budgétaires de stagiaires. L’année de formation en IUFM est alors remplacée par une année de « compagnonnage » et d’accompagnement par des professeurs expérimentés. Autrement dit, pendant trois ans, il n’y a plus du tout de formation générale théorique et pratique. La reconstruction de la formation, amorcée dans les ESPE à partir de 2013, qui rétablit une année de professorat-stagiaire rémunérée, et maintenant portée par les Inspé, est encore loin du compte.

Le résultat est que, d’école normale en IUFM, d’IUFM en ESPE, et d’ESPE en Inspé, on a dangereusement baissé la garde en matière de formation des enseignants du premier degré, tant en formation initiale qu’en formation continue.

Ce que dit l’Inspection générale de l’Éducation nationale en 2013 des difficultés rencontrées par les enseignants pour mettre en œuvre les programmes de l’école primaire de 2008 est à méditer en conclusion de ces quelques rappels historiques : «La qualité disparate de la mise en œuvre des programmes s’explique par le niveau de maîtrise très hétérogène des outils conceptuels et didactiques par les professeurs des écoles, pour mettre en œuvre les programmes tels qu’ils existent et pour donner à leur enseignement toute l’efficacité attendue. La mission d’inspection générale relève des améliorations en mathématiques ou en sciences particulièrement. Mais dans tous les autres domaines, la logique d’activités prend le plus souvent le pas sur une logique d’apprentissage. Le déficit de formation continue autour des programmes, et plus largement en matière de didactique des disciplines, est patent. Quantitativement, les services déconcentrés ont souvent accordé une place de choix à la maîtrise de la langue et depuis peu aux mathématiques, mais des disciplines comme l’histoire, la géographie ou l’instruction civique et morale ont été totalement négligées. Qualitativement, c’est l’ensemble des disciplines qui ne bénéficient pas d’un accompagnement suffisant»[[Inspection générale de l’Éducation nationale, Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008, juin 2013.]].

Deux possibilités aujourd’hui

La responsabilité de ce qui s’est produit est partagée et ancienne, et appelle à la modestie ceux qui ont participé aux prises de décision depuis trente ans. Mais, compte tenu des responsabilités diverses qui ont été les miennes, qu’il me soit permis de dire que nous avons devant nous deux possibilités.

Première possibilité, nous affichons clairement que nous ne pouvons nous satisfaire de la formation actuelle des enseignants du premier degré qui ne permet pas une véritable formation à la polyvalence, alors même que c’est le fondement du métier dans le premier degré, et il faut en tirer toutes les conséquences. C’est-à-dire, accepter de dépenser plus en revalorisant la fonction de façon très sensible. Prévoir une préprofessionnalisation en amont du concours et situer le concours de recrutement en fin de licence. Prévoir des aides pour les étudiants des milieux populaires souhaitant dès leur entrée à l’université se présenter au concours. Et programmer ensuite une formation initiale de deux années pour les professeurs des écoles stagiaires conduisant bien entendu au master.

On pourrait objecter à juste titre que c’est ce qui aurait pu être fait dans la période 2012-2017.

En fait, il y a bien eu une mesure prise pour faciliter l’accès aux concours des étudiants des milieux populaires (dans certains académies déficitaires pour le premier degré et dans certaines disciplines en manque de candidats pour le second degré). C’était le dispositif « Emplois d’avenir professeur » (EAP) en 2014, devenu « Étudiant apprenti professeur » en 2015, qui attribuait aux étudiants une aide leur permettant de financer la suite de leurs études en contrepartie d’heures de mission effectuées dans une école ou un établissement scolaire. Les revenus mensuels d’un EAP cumulés avec la bourse sur critère social étaient ainsi de 900 euros en moyenne.

Ce dispositif avait été bien reçu de la part des étudiants qui, sans cette aide, n’auraient jamais pu se présenter aux concours. Mais, faute de budget suffisant et aussi, disons-le, en raison d’une coopération parfois difficile entre les établissements scolaires et les universités pour harmoniser les emplois du temps des étudiants, cette mesure est restée marginale et n’a pas eu l’ampleur souhaitable. Aujourd’hui, la mesure a été remplacée par un contrat de préprofessionnalisation qui permet une entrée progressive dans le métier de professeur, et de percevoir une rémunération en qualité d’assistant d’éducation.

La place du concours

Il avait été présenté avant mai 2012 aux organisations syndicales, en vue de l’alternance politique, un projet de concours en fin de licence pour les professeurs des écoles et une formation à la polyvalence en deux ans conduisant au master. Il a été enregistré un refus catégorique de la plupart des syndicats au nom, pour certains, d’une logique de « corps unique » que l’on viendrait à condamner si l’on dissociait les moments de recrutement et les durées de formation. On ne peut que regretter qu’il n’ait pas été possible de passer outre ce blocage car, malgré les efforts des ESPE et aujourd’hui des Inspé, la formation initiale des professeurs ne les prépare toujours pas correctement à la polyvalence de leur métier.

Deuxième possibilité, on prend acte d’une situation qu’on laisse en l’état (et ce sera évidemment encore pire si on revient, comme en 2009 et comme annoncé récemment, à un concours en fin de master 2 avec une entrée directe dans la fonction sans formation initiale) et le risque est alors que les enseignants du premier degré, faute de formation initiale digne de ce nom, continuent à être empêchés de décider pleinement de leurs choix pédagogiques, qu’ils ne soient pas en capacité de concevoir leur enseignement dans la totalité des disciplines. Ils deviendraient alors progressivement de simples exécutants rendus destinataires d’une série de vadémécums, de guides, de méthodes clés en mains, qu’ils n’auraient plus qu’à appliquer scrupuleusement. Les instituteurs seraient alors devenus des répétiteurs.

Jean-Paul Delahaye
Inspecteur général de l’éducation nationale honoraire, ancien directeur de l’école normale des Ardennes (1986-1990)

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