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Libérons l’avenir de l’école

Libérons l’avenir de l’école est un petit livre de 122 pages, mais qui ne devrait pas passer inaperçu car il vient à son heure. Il est l’œuvre de Jean-Michel Wavelet, qui n’est pas un inconnu pour les lecteurs des Cahiers pédagogiques auxquels il a participé à plusieurs reprises.

L’auteur a identifié dix obstacles majeurs à une véritable évolution démocratique de l’école, et il propose dix mesures de nature à «édifier une pédagogie de la réussite pour chacun».

Dix obstacles (déclinés sous un titre singulier qui fait sens : «l’inégalité dans la classe», avec pour sous-titre «les inégalités programmées ») : « une offre d’enseignement pléthorique », « une accessibilité réduite et réservée aux privilégiés », « une mesure obsessionnelle des écarts », « une empathie sélective », « une confusion entre le tri et l’orientation », « une confusion entre l’aide et le tri », « une confusion entre connaissances et compétences », « un poids d’implicites scolaires », « un monde mythique » (le mythe des «intelligences inégales», le mythe des «élèves en difficulté», le mythe «des enfants qui ne sont plus ce qu’ils étaient»), « l’oubli des fins et l’enfouissement des valeurs »).

Dix mesures (déclinées sous le titre significatif de « construire une école pour chacun » en opposition au sous-titre « sortir enfin de l’élitisme ») : « moins de connaissances et plus de compétences », « une pédagogie centrée sur les apprentissages plus que sur les héritages », « une évaluation explicite : énoncer les règles du jeu », « une pédagogie de l’encouragement systématique » (enrichir l’école au contact des différences ; les élèves extraordinaires de l’école ordinaire), « suppression des notes et du redoublement », « favoriser le bien-être et la disponibilité à l’étude », « instituer des cours particuliers gratuits au sein de l’école pour les plus favorisés, « instituer la pédagogie différenciée », « recruter des enseignants dotés d’une excellence relationnelle », « clarifier les missions de l’école ».

L’ensemble de ces «constats» et de ces «propositions» n’est pas présenté comme le fruit de spéculations «pures» plus ou moins fondées, mais est accompagné par l’évocation d’histoires et de figures d’enfants que l’on dit trop commodément (et dangereusement) «en difficulté» : Benoît, Julien, Laetitia, Mélanie, Morgan, Rachid.

Le principal apport de Jean-Michel Wavelet est de mettre en évidence quel est le « goulet d’étranglement » auquel on a affaire (ce que d’autres que lui – parfois bien avant – avaient déjà identifié), en mettant surtout l’accent sur son corollaire et son instrument de base : un certain recrutement et profil d’enseignants.

« Le modèle élitiste de l’école républicaine est devenu l’invariant pédagogique de la nouvelle école […] Or le changement de public et son élargissement supposaient une véritable refonte de la pédagogie et une adaptation des contenus », dit-il page 22. Et Jean-Michel Wavelet rejoint ainsi un certain Alain Peyrefitte ( ministre très gaullien de l’Education nationale ) qui – dès février 1968 – avait ouvert sa communication au conseil des ministres en disant que « la réforme de l’enseignement engagée depuis 1959 a profondément modifié les cadres de l’organisation scolaire, le contenant. Pour donner tout son sens à cette œuvre, il faut s’occuper du contenu. Les méthodes pédagogiques n’ont guère évolué depuis le siècle dernier. Rien n’est plus difficile que de faire changer les esprits et les méthodes. Or la démocratisation amène dans l’enseignement secondaire des enfants culturellement défavorisés ; ils ne sont pas justiciables des méthodes qui réussissent auprès des enfants culturellement favorisés ».

Cela laisse – historiquement – rêveur… Mais Jean-Michel Wavelet va plus loin en pointant le problème du recrutement et du profil dominant des professeurs. Et il n’y va pas par quatre chemins, si l’on en juge par les quelques extraits significatifs suivants.

«Le professeur spécialiste et passionné de sa matière n’est pas en mesure d’opérer la conversion nécessaire. Dans ce contexte tourmenté, est-il bien raisonnable de continuer à choisir les enseignants parmi les bons élèves ? » (p. 17).

« La satisfaction de la revendication catégorielle en faveur de l’élévation du niveau de recrutement et finalement de la rémunération est, en réalité, l’un des meilleurs facteurs d’aggravation du conservatisme pédagogique. On fait prévaloir au nom de l’égalité des chances la logique des programmes qui s’applique si bien aux bons élèves tandis que leur adaptation à la diversité des publics scolaires s’éloigne toujours davantage des préoccupations de chacun. L’école prétendument démocratique recherche l’homogénéité, et les professeurs, toujours plus spécialistes de leur champ disciplinaire dont ils peinent souvent à sortir, se centrent plus volontiers sur un seul type d’élèves : celui qui sait apprendre ce qu’ils savent » (p. 109-110).

«Les maîtres du jeu social : derrière ce processus scolaire se glisse subrepticement une logique sociale » (p. 108).

On peut penser sans doute que tout cela serait quelque peu à nuancer, et que les bonheurs d’expression recherchés pour frapper les esprits tendent à l’emporter sur la complexité du réel. Mais c’est sans doute le prix à payer pour que ce problème – effectivement très important – vienne sur le devant de la scène. Et l’on ne saurait trop savoir gré à l’auteur de prendre ce risque, qui fait que là comme ailleurs ( peut-être plus qu’ailleurs ) son livre mérite sans conteste d’être lu et médité.

Claude Lelièvre