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La coopérative scolaire : levier d’apprentissages citoyens

Je reste ainsi convaincue pour l’avoir éprouvé avec mes classes de nombreuses années que l’association des élèves à la gestion de la coopérative, de ses instances démocratiques et aux projets qu’elle favorise ouvre des voies à l’éducation citoyenne. Je partage cette opinion de nombreux enseignants militants de l’OCCE que tout part du conseil ! Espace de parole, de discussion, de décision, le conseil de coopérative est l’instance privilégiée de la coopérative scolaire. Il s’appuie sur des lois et détermine, dans le respect de celles-ci, ses propres règles de fonctionnement (voir les trois règles définies dans mes classes). Dans les conseils de coopérative se discute l’organisation des activités de la coopérative, les élèves éprouvent alors un cadre garant de l’efficacité du dispositif. Ils apprennent l’administration associative en assumant des fonctions de secrétaire, président-e… Ainsi naissent des habitudes démocratiques pour prendre et donner la parole, pour gérer le temps, pour s’écouter, pour argumenter, pour trouver des solutions. Dans ces situations langagières ritualisées, la parole est authentique, l’élève s’autorise à donner son point de vue sur une action concrète qui le concerne en tant qu’individu dans le monde scolaire. Il apprend à utiliser des mots pour dire son processus de pensée. En gérant les activités, les élèves apprennent également les notions basiques de comptabilité (débit, crédit, devis…). J’ai également fait l’expérience que sur la durée les conseils offrent la possibilité de l’émergence d’une autonomie qui évite une dépendance affective au professeur, souvent générée en l’absence de connaissances des codes de l’école. En effet, à défaut de comprendre le sens de l’école, les élèves, et particulièrement ceux de milieu défavorisé, surinvestissent souvent la relation au maître ou à la maîtresse. Dans ces moments de discussion, chaque enfant peut conquérir une petite part de liberté.

L’éducation à la citoyenneté s’exerce également dans le cadre de la conduite de tous les projets que la coopérative scolaire permet de mettre en œuvre : artistiques, environnementaux, d’éducation aux médias d’information, de voyages scolaires… autant d’expériences pour apprendre, toutes affichant la même volonté de faire œuvre d’émancipation. Ces projets forment, selon moi, l’essence même du conseil de coopérative. En donnant, par exemple, du sens aux images, en animant des émissions de radio, en organisant un voyage, en participant à une action théâtrale, poétique, chorégraphique… nous, enseignants, pouvons amener les élèves à aiguiser leur esprit critique et être en capacité, petit à petit, de comprendre la réalité sociale. Au fil de mes années d’enseignement, j’ai pu constater que tous les projets financés par les coopératives permettent aux élèves, dans des classes où l’enseignant le souhaite, de se confronter à l’école du réel, de connaître la puissance d’agir en vivant des actions collectives et de progresser dans la façon dont ils travaillent ensemble.

Former sa propre morale

De plus, toutes ces situations pédagogiques concourent à la construction d’un cadre laïc à l’Ecole, elles permettent en effet d’encourager, par la discussion, la réflexion sur les dilemmes qui traversent le genre humain. Ces espaces de discussion donnent aussi à vivre à tous les élèves les valeurs qui charpentent une unité collégiale. Sans rejeter les maximes de la morale laïque qui jalonnent l’existence citoyenne, l’OCCE exerce une vigilance critique à l’égard des prescriptions édictant le bien ou le mal, préférant donner à chacun-e des élèves la possibilité de former sa propre morale par le jugement, l’esprit critique, la capacité à réfléchir en lui faisant éprouver les règles de coexistence dans la société scolaire, sans dogmes ni préjugés. Vouloir dire le bien et le mal, plutôt que de quérir le juste et l’injuste dans des situations réelles de vie de classe, risque de mener à une forme de guerre aux pauvres. Changeons ce climat pour écrire positivement le roman national de demain. Installons une citoyenneté en actes, une dynamique d’engagement et de responsabilité, pour que le destin individuel alimente le destin collectif et que demain l’anomie qui nous guette soit rangée aux oubliettes.

Un conseil parmi d’autres !

Ce vendredi après-midi, comme tous les vendredis d’ailleurs, le conseil de coopérative est programmé. A l’heure dite, les responsables de la salle installent le coin dédié pendant que les autres font disparaître le matériel précédemment utilisé.

Yannick et Luna sont les maîtres de cérémonie. C’est la deuxième fois qu’ils sont responsables du conseil. Ils se répartissent les rôles : Yannick distribuera la parole et veillera au respect des règles par chacun tandis que Luna énoncera, au fur et à mesure, les points à l’ordre du jour, vérifiant qu’aucun ne soit oublié. Ceux-ci figurent sur une grande feuille du chevalet installé dès le matin pour que tous ceux qui veulent s’exprimer puissent venir noter le sujet qu’ils veulent aborder. Malik, chronomètre en main, est le gardien du temps.

Luna donne le cahier du conseil à Thomas pour qu’il assure le secrétariat (thème, traité par qui, décision prise).
Yannick : « Le conseil est ouvert. Je suis le Président de séance. Je rappelle les règles : chacun a le même droit à la parole, est attentif et respectueux. On ne parle que de ce qui est prévu à l’ordre du jour. Je vous rappelle les décisions prises lors du dernier conseil… »

Les mots du conseil sont importants, ils ritualisent les différents temps du conseil et facilitent l’organisation.

Luna lit l’ordre du jour. Le premier est plutôt énigmatique : « Sonia a quelque chose à dire ».

L’enseignante : « Je fais remarquer à Sonia qu’elle devait mentionner ce “quelque chose”, c’est la règle, chacun doit savoir de quoi tu vas parler  ». La prise de parole de Sonia est mise au vote et rejetée à l’unanimité. Sonia s’exprimera au prochain conseil.

Dès lors que le conseil est ouvert, les prises de parole se font « à parité ». Enfant ou adulte, chacun est à la même enseigne : aucun traitement de faveur n’est accordé et chacun parlera à son tour, lorsque le distributeur de parole le lui permettra. Ce n’est qu’à ce prix que chacun acceptera, sans se sentir blessé ou supérieur, qu’une décision soit prise. C’est la façon la plus saine de gérer sa frustration. Mais, bien entendu, l’enseignant reste le garant des lois (de la République, de l’école, du conseil) et se doit d’intervenir si nécessaire pour rappeler ces lois. De même, il reste maître de ses choix pédagogiques et n’hésite pas à le rappeler (« Je ne souhaite/veux pas qu’il y ait un animal dans la classe parce que… »).

Luna : « Le deuxième point à l’ordre du jour est celui d’Inès : création d’une affiche pour la semaine de la presse.  »

Yannick lui donne le bâton de parole.

Inès : « J’ai pensé que nous pourrions faire une affiche comme celle du “Petit Quotidien” pendant la semaine de la presse et nous la collerions partout pour rappeler aux autres l’importance de la liberté de la presse. »

Yannick : « Qui veut poser une question à Inès ? »

Plusieurs éclaircissements seront demandés, suivis d’une discussion sur l’intérêt de ce projet, puis de propositions sur le contenu de l’affiche, sur la création d’une ou plusieurs affiches…

Yannick, maître du temps, intervient : « Nous allons bientôt fermer ce sujet, il y aura encore deux prises de parole. Qui est d’accord pour la création de cette affiche ? Qui veut travailler sur cette affiche avec Inès ? »

Thomas : « Je rappelle ce qui a été décidé aujourd’hui : Inès et X, X, X, se sont engagés à préparer une affiche sur le thème de la liberté de la presse. Celle-ci doit être finie pour début mars. Elles prendront exemple sur l’affiche du “Petit Quotidien”. »

Yannick : « Donc je ferme ce sujet. »

Une fois l’ordre du jour épuisé, Thomas, le secrétaire, rappelle toutes les décisions prises lors de ce conseil et précise que le sujet X sera de nouveau discuté ou le sujet Y (comme celui de Sonia) qui n’a pas pu être discuté sera inscrit au prochain conseil.

Yannick : « Le conseil est fermé. »

Durée, périodicité, lieu, désignation et renouvellement des métiers et répartition des tâches, tous ces éléments peuvent être proposés par l’enseignant au début, mais des adaptations seront décidées par le conseil selon les demandes émises par le groupe.

Véronique Baraize
Déléguée générale de l’Office central de la Coopération à l’École.

 

En complément

 

Un conseil de coopérative doit s’appuyer sur des lois
Institution majeure de la classe puisqu’il contribue à son organisation, le conseil doit s’appuyer sur des loisVoir aussi les règles proposées par Sylvain Connac dans Apprendre avec les pédagogies coopératives, démarches et outils pour l’école, ESF. qui concernent aussi l’enseignant. Indispensables, non négociables, ces lois doivent être expliquées aux enfants. Aux formulations négatives (on ne se moque pas, on ne blesse pas…), je préférais privilégier chez mes élèves des attitudes positives :

  • règle n° 1 : chacun a le même droit à la parole, donc chacun est attentif et respectueux de chaque prise de parole ;
  • règle n° 2 : ce qui est dit ou fait au conseil est respectueux de l’identité de chacun ;
  • règle n° 3 : on respecte l’ordre du jour.