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L’élève partenaire ?

Les élèves dans un élan citoyen consistant à prendre en charge et à défendre eux-mêmes leurs propres intérêts se sont organisés en collectifs, unions nationales ou syndicats. Conscients de leur masse qui fait force, conscients des atouts de leur jeunesse – cette jeunesse flattée par les pouvoirs politiques – ils ont à différentes reprises produit des bouleversements importants, lesquels ont débouché chaque fois sur la création de nouveaux droits dans l’espace scolaire et social.

Refaire le monde

Ils ont su se faire considérer comme un corps social incontournable. Ils sont naïfs, parfois inconscients, souvent fonceurs, et les calculs politiques les dépassent. Ils défendent une cause, ils vont jusqu’au bout, et dans leur volonté d’aboutissement de leurs rêves ou désirs ils oublient ou outrepassent les règles qui régissent organisations et manifestations. Ils sont prêts à tout, même à refaire la société et le monde qu’ils récusent parce qu’ils sont organisés sur des valeurs, des principes qu’ils jugent dépassés, qui ne les respectent pas ou qui les aliènent au lieu de les épanouir. Ces mouvements sociaux sont souvent durs, et les organisations qui les provoquent, les attisent et qui tentent ensuite de les encadrer sont d’ailleurs souvent débordées par l’entrain, l’inconscience, la provocation ou encore la révolte de leur base.

Casser les symboles, rompre avec une société répressive et oppressive, telle est souvent la rengaine de ces élèves en quête d’une identité et d’une société nouvelle, dans laquelle ils se reconnaîtraient et qui les reconnaîtrait. Et pourtant, le réveil est souvent douloureux et traumatisant, le rêve d’une société nouvelle passe et ils doivent continuer à vivre et à faire avec ce qu’ils dénonçaient hier.

Un partenaire ?

En créant de nouveaux droits, en demandant aux adultes de céder un peu plus à chaque fois, en voulant quelquefois bannir l’autorité ou abattre les frontières entre les adultes et les élèves, les législateurs et les responsables ont-ils créé un vrai partenariat, l’élève est-il devenu partenaire ?

Les mouvements de mai 68, de février 1986, de l’automne 1990 et 91 ont débouché sur des droits nouveaux. Et l’actuel débat sur l’école, en apportera probablement d’autres. Certains textes, comme la loi d’orientation de 1989 ou les textes de juillet 2000, ont tenté même d’anticiper les revendications lycéennes. On a créé de nombreuses instances où la participation des élèves est acceptée. Mais y est-elle reconnue ?. Des instances mises les unes à côté des autres produisent-elles un partenariat ?

Certains adultes récusent ce partenariat parce qu’ils estiment que l’élève et l’adulte ne peuvent avoir le même statut ni la même place. Les textes qui ont défini cette place comme « centrale » au sein du système éducatif sont parfois interprétés comme de véritables camouflets, comme de la défiance envers les adultes, comme l’utilisation de la jeunesse à des fins politiques, comme la création de contre-pouvoirs.

La lutte des classes

Les adultes voient en ces textes une manière biaisée pour contrôler leur travail, pour manœuvrer les élèves et pour limiter leurs pouvoirs. Ils estiment qu’ils bafouent leur autorité, leur légitimité, ils ne s’estiment plus maîtres dans leur classe. La contestation est permanente, la mise en cause est chronique, l’affrontement devient récurrent. L’élève n’a plus peur du maître, conteste sa parole, récuse son rôle de transmetteur, son pouvoir de contrainte et de coercition.

Les élèves sont soutenus par les parents qui eux aussi ont pris de plus en plus de place dans l’école et contestent les règlements scolaires au nom de la justice civile et pénale. Ce sont alors les adultes qui expriment leur peur, leur désarroi, qui s’estiment victimes. L’expression de ce désarroi se traduit entre autres par des demandes de moyens supplémentaires, matériels, humains ou législatifs pour combattre à armes égales.

Ainsi, à l’intérieur de l’école s’affrontent pouvoirs et contre-pouvoirs, avec des enjeux divergents, des acteurs et usagers qui ne se comprennent pas.

Dans ces conditions le partenariat élève risque de rester encore longtemps une illusion.

Un partenariat bien singulier

Ce partenariat, pour qu’il devienne possible, exige de la part des adultes et des enseignants en particulier, un changement dans leurs pratiques pédagogiques et relationnelles. Le partenariat avec les élèves n’est en rien la négation de la dissymétrie qui constitue le fondement même de toute relation pédagogique, de tout rapport adultes/jeunes. Il est la prise en compte de l’élève dans sa personnalité et dans sa capacité de co-construction de ses apprentissages et des situations pédagogiques, de co-évaluateur. De même, ce partenariat doit reconnaître l’élève comme acteur dans le fonctionnement et l’organisation de sa classe, de son établissement.

Certes, le rôle des adultes ne peut être confondu avec celui de l’élève. Les éducateurs sont des représentants du monde comme l’écrivait Arendt et de ce fait ils assument des responsabilités spécifiques. Mais ils ne peuvent ignorer la parole, les désirs, les propositions des élèves comme points d’appui de leurs apprentissages et de leur développement civique et personnel.

Tout en respectant la place des uns et des autres et en évitant que les repères ne se délitent, le partenariat est signe de vivacité de l’école et de la rupture avec la vision traditionnelle des choses.

Responsabiliser les élèves c’est accepter qu’ils nous questionnent, qu’ils doutent, qu’ils repèrent les failles. C’est accepter qu’ils se trompent, qu’ils apprennent en se trompant, en risquant, en tâtonnant. Responsabiliser les élèves en tant que partenaires, c’est par exemple créer avec eux des situations d’apprentissages où ils peuvent inventer avec nous des grilles d’observation, d’évaluation, critiquer pour co-construire le cours. C’est aussi accepter, comme l’écrit Perrenoud, de négocier les situations d’apprentissages avec les élèves.

Il ne s’agit pas de renverser les rôles et les valeurs, mais d’inscrire l’élève dans son rôle d’acteur et non simplement de récepteur. Pour cela, l’enseignant, l’adulte court le risque de l’improvisation, de l’adaptation de son cours, de son fonctionnement aux demandes, à la réceptivité de son public.

De vrais conseils de classe partenaires

On a créé pour les élèves les fonctions de délégués et de représentants. On a inventé des instances et des commissions de participation où, théoriquement, la parole de l’élève devrait être entendue et compter : le conseil de classe, le conseil d’administration (CA), le conseil de la vie lycéenne (CVL), le conseil supérieur de l’éducation (CSE) ou encore le foyer socio éducatif (FSE) ou la maison des lycéens (MDL). Mais à quoi bon multiplier les instances si on ne les fait pas vivre réellement en en faisant pour les élèves des occasions concrètes d’apprentissage de la vie citoyenne et de socialisation ?

Le partenariat avec les élèves dépasse le simple espace classe il envahit l’ensemble des sphères de l’établissement. Et toutes les instances de l’établissement doivent s’imprégner de cette exigence partenariale avec eux.

Le conseil de classe par exemple, moment privilégié de rencontre pour les différents acteurs de l’établissement, ne doit pas être un simple moment d’évaluation normative. Sans nier ses rites et ses exigences institutionnelles, le conseil de classe doit constituer un moment où la parole de l’élève est entendue et considérée. Comment ?

En instituant des conseils de classe où les élèves délégués prennent la parole les premiers (avant les adultes) pour exprimer leur vécu de la classe, le travail, les résultats. Ils ont cinq minutes à dix minutes pendant lesquelles la parole ne leur est pas coupée, mais reçue, entendue et non stigmatisée. Ce renversement est très enrichissant, les adultes se taisent, se forcent au silence pour écouter et entendre les élèves. On demande aux délégués d’éclairer le conseil sur chaque cas d’élève, ce qui suppose que la formation les a outillés pour cela, et que le conseil de classe ne soit pas joué d’avance, à l’insu des élèves !

On peut également décider de conseils de classe élargis où chaque élève sera invité à venir s’exprimer. Il ne s’agit pas d’instaurer une sorte de tribunal ou d’assemblée méritocratique, mais d’un véritable espace de parole, d’échanges, de confrontation, de débat. L’élève doit pouvoir, sans craindre que sa parole se retourne contre lui ou d’être pris en grippe, s’expliquer sur ses résultats (même bons ou excellents), sur ses apprentissages, sur son vécu dans la classe et dans l’établissement. Il peut proposer des activités ou des actions qu’il pense être nécessaires pour l’aider ou pour aider la classe en général. Il peut se prononcer sur sa propre évaluation et évaluer ce qu’il vit et comment il vit la classe et l’établissement. Les adultes se doivent d’écouter et s’efforcer de comprendre et de profiter de ces échanges comme autant de moments de construction collective du regard et de la vision qu’ils projettent sur l’élève et sur eux-mêmes. Il est évident que de tels conseils exigent du temps, de la tension et de l’abnégation. Mais si ces débats, ce dialogue sont conçus et acceptés comme des moments de formation mutuelle, de responsabilité, de situations réelles d’apprentissage civiques et de responsabilisation, les adultes ont donc tout intérêt à les multiplier. À condition qu’une formation préalable (destinée à tous les élèves, et pourquoi pas aux adultes sous forme d’atelier de prise de parole et de débats ?) aide l’élève à maîtriser sa parole.

Le conseil de vie lycéenne

Prenons un dernier exemple : le CVL. Au lieu d’être une instance formelle que les adultes rechignent à faire vivre, la considérant comme un contre-pouvoir dangereux, ou pire comme une instance inutile, pourquoi ne pas en profiter pour créer en son sein une véritable instance partenariale ? Comment ?

En la mettant réellement en activité. Le CVL peut être un lieu où on échange sans passion, où l’on invente des pistes de réflexion nouvelles et des solutions. Les élèves ont des choses à dire sur l’organisation de l’établissement qui se révèlent souvent être de bon sens. Quand ils proposent par exemple de mettre en place des récompenses qui ne prennent pas seulement en compte les notes, ou bien que l’on travaille sur les horaires et une organisation différente de la vie scolaire pour lutter contre les retards et les absences, ou bien quand ils suggèrent d’établir un partenariat avec la SNCF et les organismes de gestion de bus pour tenir compte des horaires de l’établissement et de ceux du secteur, ce sont là des pistes de partenariat réalistes. Lorsqu’ils nous questionnent sur le « bazar » qui sévit dans une classe avec tel ou tel enseignant et dont ils sont les premières victimes, et que par ailleurs ils nous proposent une organisation différente de la classe pour minimiser les tensions, lorsqu’ils nous suggèrent de créer au sein de chaque classe un conseil hebdomadaire où ils donneront leurs avis et leurs propositions, et notamment sur les sanctions (exclusion temporaire dépassant deux jours par exemple), pourquoi ne pas essayer ?

Le partenariat est une chance si nous ne voulons pas que les élèves se comportent en simples « consommateurs passifs » de l’école et ne considèrent les enseignants, les adultes et l’école seulement comme des prestataires de services.

Gardy Bertili, CPE, Lycée professionnel Jean Perrin, 78210 Saint-Cyr L’École.