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L’école japonaise, sans stéréotypes

Cahiers pédagogiques : Le système éducatif japonais est assez peu connu en France. On en reste aux stéréotypes. D’un côté la forte proportion de bacheliers, de l’autre l’entrainement intensif, dès le plus jeune âge, la compétition dans le stress pour atteindre les meilleures écoles. Qu’en est-il vraiment ? Commençons par le bac…

Jean-François Sabouret : Oui, 95 % des jeunes Japonais ont le bac, mais celui-ci est délivré à partir des moyennes des notes depuis la 2de, avec juste quelques épreuves « sur table » passées dans l’établissement. Cela n’a rien à voir avec le bac français. On considère au Japon que c’est en fait une sorte de socle commun, ce qui n’est pas sans rapport avec la valorisation des études par toute la société. Le bac, c’est un « brevet de normalité » qui permet de trouver sa place dans la société et on fait tout pour que l’immense majorité l’obtienne. Mais dans la société actuelle, il ne suffit guère pour avoir un emploi, on est à bac +2, et on va vers bac + 4.
Il nous faut ici parler de l’enseignement supérieur. Au Japon, on compte 720 universités, la plupart privées, mais seules trente comptent vraiment… Et à côté de l’enseignement ordinaire, les jeunes Japonais qui veulent aller plus loin se préparent intensivement dans des cours particuliers pour passer le concours d’entrée dans les universités, si possible les plus prestigieuses. Pour parvenir, par exemple, à entrer à l’université de Tokyo, il faut accepter les dernières années de l’enseignement obligatoire de dormir peu, de travailler après les cours et le week-end pour aller beaucoup plus loin que le programme normal, qui ne suffirait pas pour réussir.
Ce système de « boîtes à concours » incite certains à demander la disparition du système des lycées accueillant tout le monde : à quoi bon, puisque l’élite se prépare ailleurs ! Tout cela est lié à un durcissement de la société japonaise, de plus en plus une société de classe, où les différenciations sociales s’accroissent et où le système scolaire semble bloqué.
Cela dit, le système d’universités payantes n’est pas forcément inégalitaire, car des bourses très fortes existent pour les jeunes issus des milieux populaires et il n’est pas sûr que la quasi-gratuité à la française, en fait payée par les contribuables, soit plus égalitaire. Elle aboutit à une situation où les universités sont sans moyens véritables de fonctionnement, où les meilleurs élèves sont parfois payés (Polytechnique, ENS…), où la population finance finalement ceux qui ont pourtant le plus de moyens. Le fonctionnement japonais, moins hypocrite, est finalement peut-être plus équitable. Il a aussi pour conséquence un état de l’université qui n’a rien à voir avec le délabrement français (locaux, bibliothèque, mais aussi coaching, suivi des étudiants, etc.).

Cahiers : En amont, et en particulier à l’école primaire, la pression sociale s’exerce-t-elle vraiment aussi tôt qu’on ne le dit parfois ?

J.-F. S. : Contrairement à ce qu’on croit souvent à partir de situations marginales mises en avant parfois dans des reportages, l’école primaire japonaise (jusqu’à 12 ans) est absolument formidable. Certes, certains enfants à la fin de l’école primaire commencent à fréquenter les Jukus (cours du soir), mais ils ne sont pas plus d’un sur dix.
Dans les écoles que j’ai visitées (des écoles tout à fait ordinaires), j’ai pu voir des enfants vraiment heureux d’aller à l’école, et y retournant pendant les vacances. Dans les écoles, il y a souvent une piscine, un carré pour cultiver des légumes, des élevages d’animaux, du sport, de la musique (classique et traditionnelle). On développe la convivialité et la chaleur humaine, à travers par exemple les repas pris en commun par enseignants et élèves. De même, on insiste sur la nécessité d’accueillir les handicapés, quitte à y mettre les moyens humains en termes d’encadrement. L’informatique est très présente. Les redoublements n’existent pas et on se mobilise pour faire réussir tout le monde. On peut dire que s’y construit une conscience collective à laquelle les Japonais sont très attachés.

Cahiers : Parlez-nous un peu des enseignants japonais. Leurs conditions de travail ne sont probablement pas les mêmes que les nôtres…

J.-F. S. : C’est vrai qu’ils doivent être présents quarante heures par semaine dans l’établissement et ils sont étonnés lorsqu’on leur dit que les enseignants français travaillent en bonne partie chez eux, à corriger les copies et préparer les cours.
Ils sont recrutés à bac +4. Ils ont été fortement augmentés dans les années 1970, mais actuellement, leur situation n’est pas toujours enviable. Bien sûr, leur qualification ne leur garantit pas un emploi, ils doivent être recrutés par l’établissement, et de plus ils devront dans leur carrière faire en gros trois types d’établissement : un difficile, un moyen, un « bon ».
Il faut souligner aussi la pression dont ils sont l’objet. Il peut arriver que des enseignants engagés soient obligés de répondre de soupçons envers eux rapportés à l’académie et soient victimes de brimades (déplacement sur un autre poste, etc.).

Cahiers : Une jeune chercheuse japonaise qui venait enquêter en France sur les itinéraires de découverte fut éberluée quand je lui ai dit que peu d’enseignants appliquaient les directives imposant la mise en place de ce nouveau dispositif…

J.-F. S. : Oui, c’est vrai, il n’y a pas la même conception au Japon de la « liberté pédagogique », même si dans les faits, on prend aussi des libertés par rapport aux programmes.
Aujourd’hui, on court le risque d’une école plus élitiste, et les pressions politiques sont fortes. Par exemple, le parti Bouddhiste, indispensable pour former une majorité au Parlement, cherche à placer ses hommes au niveau des responsabilités et de normaliser un peu plus l’enseignement. De même, de vifs débats existent sur la manière dont on enseigne l’histoire. Le Japon est tenté par un certain révisionnisme, qui voudrait tourner la page de la seconde Guerre Mondiale. Il n’existe guère de devoirs de mémoire et les manuels restent discrets sur les horreurs commises par l’armée japonaise en Chine ou en Corée.

Cahiers : Alors, finalement, que penser de ce système japonais, au-delà des idées reçues ?

J.-F. S. : Les résultats de Pisa restent bons pour le Japon et il y a bien des aspects positifs de cette école, que j’ai évoqués. Ce qui m’intéresse, c’est de voir en quoi chaque système peut donner des idées à l’autre sur ce qui marche. D’où l’organisation à Tokyo de cette récente semaine de travail, à l’occasion des 150 ans du traité d’amitié franco-japonaise, qui a été vraiment fructueuse (et où le ministre Darcos devait initialement venir). C’est aussi l’objectif de l’ouvrage qui vient d’être édité et qui permet de mieux connaître l’école d’une des plus grandes puissances économiques mondiales.

Propos recueillis par J.-M. Zakhartchouk


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Liberté, inégalité, individualité

La France et le Japon au miroir de l’éducation

CNRS éditions, sous la direction de J.-F. Sabouret et D. Sonoyama, 2008.

On sait bien que la confrontation d’un système avec un autre fait bien ressortir leurs spécificités. C’est un des mérites de ce livre qui présente plusieurs facettes de la comparaison entre l’éducation en France et au Japon.

– Regards croisés entre les deux systèmes sur « gratuité républicaine et services payants » où J.-F. Sabouret développe les arguments qu’il énonce dans l’entretien ci-dessus :
– Aperçus sur la profession enseignante.
– Examen des différentes politiques adoptées dans les deux pays concernant la violence scolaire, l’intégration et le multiculturalisme, le handicap.
– Points de vue sur les différences culturelles entre Japon et France (l’éducation morale, les différences filles-garçons…).

À noter parmi les auteurs français : Christian Forestier, Hervé Hamon, Emmanuel Davidenkoff et Christian Baudelot.

Programmation 2014-2015

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