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Daniel Herrero : « Enseignant, un métier au cœur »

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Photographie : Yves Forestier/Corbis Sygma

Daniel Herrero est un rugbyman bien connu, ancien entraineur de Toulon. On sait moins qu’il a enseigné vingt ans, en lycée et en Staps. Nous avons voulu lui demander quelle était sa vision de ce métier qu’il a aimé, afin qu’il communique un peu de son énergie et de son enthousiasme humain à une profession parfois lasse et morose.
Vous avez dit un jour que vous aviez le métier d’enseignant «au cœur». Aujourd’hui, les enseignants ont parfois du mal à s’adapter au changement de leur métier et vivent mal l’image qu’on a d’eux dans la société.

Professeur, ça a été un bout considérable de ma vie. Certifié, j’ai enseigné plus de vingt ans, en lycée d’abord, puis en Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) à Nice. Mais je suis devenu entraineur du RC Toulon. Malgré l’aménagement efficace de mon emploi du temps, je suis parti, pas du tout saturé, le jour où j’ai senti que le métier d’entraineur devenait dominant. Enseignant, éducateur, ces termes me conviennent. Le professeur, c’est celui qui tend une main ferme, solide et chaleureuse.

De tous les professeurs avec qui j’ai collaboré, je n’ai pas en mémoire d’en avoir entendu se plaindre ainsi. Il y aurait 30 % de burnouts chez les jeunes professeurs, ça m’interpelle. On perçoit de la peur, une fermeture, censée protéger de l’extérieur. François Hollande a créé 60 000 postes, a mis l’éducation au centre de son mandat, et au bout du compte, les enseignants sont plus mécontents que jamais ! Comment cette profession se gratifie-t-elle si peu de ce haut métier, de cette haute mission ? J’en ai éprouvé la complexité, je ne l’ai cependant jamais vécue comme une douleur ou une épreuve, mais souvent comme un match.

Nous essayons d’encourager la réflexion sur le métier, sur le travail en équipe qui nous semble incontournable aujourd’hui. Qu’en dites-vous ?

L’équipe est pour moi une dimension inaccessible ! Le partenariat, c’est jouable, la collaboration, nécessaire. Certes, on a tous connu le collègue mal positionné, qui a peur d’être déconsidéré, de manquer de compétences, comptable de son temps. Si l’équipe est comprise comme la connexion affective absolue entre ses membres, c’est trop dur, c’est même contreproductif. Faire partie d’un tout vivant, c’est taper trop haut. S’unir dans la compétence, un beau rêve cependant, ensemble on est plus forts et qu’il n’en manque pas un à l’appel ! Le sens de l’équipe, c’est « ne te fais pas de souci, on est là ». Il faut se relier, mais on voit vite émerger le refus de la phagocytose, le « mais moi… ». L’essentiel, c’est que le professeur ne laisse pas son talent au frigo, qu’il l’exploite pleinement. Il faut pour cela qu’il se sente en sécurité pour affronter avec sérénité les situations.

Le pire, c’est ceux qui ont du talent et se sont trompés de route, celui qui est devenu enseignant mais s’est trompé. Sur quoi, d’ailleurs ? La vocation, cette voix qui t’appelle ? Un mot qui ne veut rien dire pour qualifier l’envie de ce métier. Comment on fait pour savoir où est la vraie voie ? On ne teste pas beaucoup l’appétence dans les concours, le courage, la combattivité. Il est difficile de plonger dans le cœur de la motivation de l’individu. Comment définir le charisme, le rayonnement ? Quand ça pétille dans les yeux, ça chante dans le cœur et dans les guiboles, ça court !

Pensez-vous que les enseignants peuvent aider les enfants à ne pas se tromper de route ?

Mais c’est ce qu’ils font. Leur préoccupation éducative, c’est permettre l’expression du talent. Le potentiel, on le devine, on le voit, mais est-ce qu’on peut le guider ? Chez les Apaches, avec qui j’ai vécu quelques mois, dès qu’un enfant nait, le chamane va poser la question de la direction de sa vie. Rêve base, impulsion centrale, mécanisme divin ou généalogique, peu importe. Pendant une dizaine d’années, quatre ou cinq personnes l’accompagnent, le suivent au millimètre. Ce qu’ils vérifient, c’est qu’il dessine son chemin en marchant. Est-ce qu’on peut faire émerger la compétence, accompagner à grandir ? Est-ce que cela fait partie du métier d’enseignant ? Nous manquons singulièrement de professeurs de bonheur.

Et comment le verriez-vous, ce « professeur du bonheur » ?

Qu’est-ce qui fait avancer : être devant ou derrière en soufflant ? C’est au milieu qu’il faut se placer. Je goute le capitaine, et moins le président. Le capitaine donne, vibre. Le président projette, décide, etc. Pour moi, le bon mot c’est l’enthousiasme. Dedans, il y a dieu (theos), quel qu’il soit, celui du feu, de la passion. C’est l’appétence, le déclenchement des désirs, la mise en route.

Professeur de bonheur, c’est transmettre des savoirs et du vivre ensemble. Le savoir ouvre des circuits, surtout aujourd’hui qu’on a la tête au bout de la main avec les ordinateurs. Ça veut dire qu’il n’y a pas de méthode référente. Juste quelques mécanismes qui cadrent, du bricolage. Et une identité relationnelle, un style.
Mais comment être mobile avec des hommes effrayés par les bouleversements du monde ? On joue un match de civilisation très difficile, on morfle et on n’y est pour rien ou pas grand-chose. Alors, je ne vois rien d’autre que le plaidoyer et une identité emblématique. Prêts à suivre ce qui bouleverse, ce qui avance. Prêts aussi à se mettre en face de ce qui pervertit, frelate. Et je suis plein d’admiration pour les professeurs, ces traceurs de routes qui ont choisi à la fois le sommet et le chemin le plus difficile pour y arriver.

Propos recueillis par Michèle Amiel, Cécile Blanchard et Jean-Charles Léon


article paru dans notre n°534, Enseigner les langues aujourd’hui, coordonné par Soizic Guérin-Cauet et Hélène Eveleigh, janvier 2017.

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https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/667-enseigner-les-langues-aujourd-hui.html