Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Cyberhaine. Les jeunes et la violence sur internet

Catherine Blaya présente une vision renouvelée et objective de la cyberhaine, loin de réalités fantasmées ou angoissantes, une vision plus nuancée que ne les laissent supposer les tentacules de l’illustration de couverture. Elle offre également beaucoup d’éléments de réflexion, mais aussi de pistes d’actions à mettre en place et des outils, pour les enseignants.

L’auteur s’appuie sur des enquêtes de terrain menées auprès de 1189 jeunes de 11 à 20 ans interrogés par questionnaires, à Paris, en région parisienne, à Bordeaux, dans les Landes, les Alpes Maritimes, le Var et au Mans.

Elle définit clairement son objectif dans l’introduction : « comprendre les rouages de la cyberhaine », à savoir les moyens d’exposition à celle-ci, ses victimes, ses auteurs, les conséquences, et les moyens de prévention et d’action.

Son propos ne vise pas à dénigrer l’ensemble du web, puisqu’elle commence par expliquer la nécessité de ce média pour les jeunes du XXIe siècle afin de maintenir le lien entre pairs, pour avoir accès à la culture, pour créer…

Sont définis ensuite les concepts de cyberviolence et de cyberharcèlement. La première est ponctuelle, tandis que le second est répété et s’exprime dans la durée. Les deux s’expriment via différents supports sous différentes formes : messages textuels, images, photographies commentées, des symboles, musique, par l’intermédiaire des SMS, mails, commentaires ou réseaux sociaux. Ce sont des moqueries, menaces, insultes, propos diffamatoires, agressions à caractère sexuel, ostracisme, rumeur, humiliations, lynchages, usurpation d’identité… Aucune tranche d’âge n’est épargnée, de l’école primaire à l’université. Par exemple, au collège, environ 40% des jeunes sont victimes de cyberviolence, 6% de cyberharcèlement.

Enfin, l’auteur définit le concept de cyberhaine comme « tout propos haineux discriminant ou dégradant, visant à humilier, insulter, ridiculiser voire déshumaniser une personne ou un groupe de personnes, à susciter des sentiments de rejet ou de haine à l’encontre de ces personnes, sur des bases d’appartenance ethnique, “raciales”, xénophobes, ainsi que toute tentative d’inciter à la haine sur les mêmes critères, au moyen d’Internet ou de tout autre moyen électronique de communication. Ces messages peuvent être publics ou non, intentionnels ou non ».

Les discours de haine trouvent en Internet un vecteur privilégié : anonymat supposé, absence de lien direct entre l’auteur et la victime supposé, désinhibant donc les propos racistes, espace de liberté important, connexion avec d’autres groupes haineux… Les jeunes en sont une cible privilégiés : plus vulnérables, attraction avec des supports qu’ils utilisent (jeux vidéo ou internet), et recherchant des causes à défendre. Qu’ils soient d’extrême droite ou islamistes radicaux, les auteurs de discours de haine jouent sur les mêmes registres : mise en évidence de différences réelles ou supposées dans les habitudes culturelles ou physiques, essentialisation de caractéristiques généralisées attribuées à tel groupe minoritaire cible afin d’alimenter la peur de la différence ou d’une invasion, au détriment de la culture locale.

L’exposition aux contenus haineux est en hausse, en particulier pour les moins de 18 ans, qui sont des utilisateurs intensifs d’internet, ayant des niveaux de satisfaction de leur vie insuffisant et peu de relations sociales avec le groupe majoritaire. Pour la France, l’enquête de l’auteur est inédite, elle indique que : 14,3% des jeunes déclarent avoir été victime de cyberhaine, le moyen le plus utilisé est le SMS, puis les messages via Facebook ou Twitter., les filles sont plus touchées ainsi que la tranche d’âge des 16-18 ans.

Les conséquences de la cyberviolence et du cyberharcèlement sont lourdes autant psychologiquement que physiquement pour les victimes, qui peuvent décrocher scolairement. La cyberviolence est particulière en ce qu’elle est persistante (elle reste en ligne) et publique, renforçant là encore l’humiliation. L’angoisse touche aussi les témoins, ils sont en colère et honteux, car appartenant à la même communauté et se désolidarisant. Enfin, une victime sur 3 et un jeune sur 4 exposé à la cyberviolence, ressentent de la haine.

La prévention de la cyberviolence passe par 4 voies différentes. La voie juridique a été renforcée, tant au niveau européen qu’au niveau national, le cyberharcèlement rentrant dans les critères du harcèlement défini par le code pénal et punissable jusqu’à un an d’emprisonnement et 15000 euros d’amende. En France, les personnes ayant relayé ou « liké » des commentaires haineux sur internet sont aussi considérés comme responsables au niveau de la loi.

Les géants du Net ont été également mis face à leurs responsabilités dans l’hébergement de contenus haineux, certes déclarés interdits dans les chartes d’utilisation. Les acteurs politiques les obligent à aller plus loin en obligeant ces plateformes à retirer dans des délais plus brefs ces discours de haine.

Les acteurs politiques agissent par la mise en place d’outils pour le signalement des discours haineux et la lutte contre ceux-ci : création de la plate-forme Pharos et du site http://www.signalement.gouv.fr pour l’exemple français.

Enfin, le rôle de l’éducation est indispensable sur le long terme, par l’intermédiaire entre autres de l’EMI (Educations aux Médias et à l’Information) qui vise notamment à développer chez les jeunes les compétences critiques qui leur permettent de hiérarchiser les informations publiées en ligne et de reconnaître les contenus inappropriés et haineux. Des ressources sont mises à disposition des enseignants sur le site Eduscol, mais aussi par l’Unesco (guide pour lutter contre la cyberhaine). Cette éducation peut fonctionner à condition d’abord de former les enseignants aux concepts de base et aux points de friction (pour éviter leur malaise ou leur renoncement devant un sujet difficile) et de partir des besoins des acteurs, les élèves qui vont ainsi se sentir davantage concernés par l’action de prévention, mais vont également contribuer à l’enrichir. L’auteur conclut que « dans le cyber espace, les rapports s’inversent et bien souvent ce sont les jeunes qui nous enseignent comment faire ».

Anne-Sophie Martinez