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François Muller : « Comment vous faites ? »

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« Et vous, comment apprenez-vous ? » Ce mois-ci, la question a été posée à François Muller, chef de projet au Département recherche et développement en innovation et en expérimentation, à la Dgesco. Et s’est tissé avec lui le voile fin de la rencontre.
Quelle est la première chose que vous ayez apprise ?

Si je vous dis que c’est une chose que j’ai apprise en naissant, vous allez penser que c’est un mensonge. Et pourtant… Il se trouve que je suis jumeau. Et aussi loin que remontent mes souvenirs, et plus tôt, mes impressions, j’ai su que je n’étais pas tout seul. Près du petit enfant que j’étais, il y avait toujours quelqu’un. Et quelqu’un qui me ressemblait. Tout ce que je découvrais, je le découvrais « avec ». Et vous savez, quand on est deux, on est fort, on se sent en sécurité, en réussite aussi. L’angoisse ? Ça n’existe pas. L’autre est toujours là, réconfortant.

Mais alors, cette expérience doit considérablement influencer par la suite !

Absolument. Comme de l’argile qui, imprimée par un mouvement, va ensuite durcir pour garder toujours la marque initiale. Et laisser à la fois une impression de sécurité et un besoin de rapports forts aux autres, en osmose. Un besoin de rapports dans lesquels on peut se chercher dans l’autre, dans des dynamiques interpersonnelles. Et puis j’ai toujours beaucoup appris des autres ; mes bouquins, je ne les ai pas écrits tout seul par exemple.

On se rend compte en vous écoutant combien apprendre est une expérience personnelle, intime.

Éminemment. Apprendre, c’est prendre quelque chose, l’incorporer à soi, ce n’est pas anodin. Cela se déroule en mouvement cyclique, dans des boucles avec des phases de dépression où l’on désapprend. Non, vraiment, apprendre, c’est dynamique, c’est fort. Et cela restera toujours un effort.

Enfant, adolescent, qu’est-ce qui vous gênait ou vous aidait à apprendre ?

Très vite, j’ai eu une conscience aigüe du cadre spatiotemporel ; pour cette raison, j’ai vécu l’école, même si j’étais un bon élève, dans un certain inconfort. Dès le primaire, je me voyais apprendre, j’analysais constamment les choses (c’est peut-être l’effet du miroir entre jumeaux). C’est sans doute une force mais aussi une gêne : intérieurement j’étais très critique. J’ai été choqué par certains abus de pouvoir, et certains types de relations bloquaient pour moi tout apprentissage. De fait, j’ai alors plus appris par contremodèles, « ce qu’il ne faut pas faire quand on enseigne ».

Voilà un élément qui explique que vous soyez devenu formateur par la suite.

Je le pense aussi. Les collègues ignorent leur pouvoir. Il est important de savoir quel jeu on joue, quels phénomènes agissent. Alors prudence et humilité.
Je crois que j’ai souvent été amoureux de mes professeures de lettres, notamment de celle qui me disait ou signifiait d’un regard « Vas-y, c’est bien ! ». C’est tellement sécure comme situation, surtout quand on est ado et qu’on se sent nul. Boris Cyrulnik pense que si les professeurs savaient dire « c’est bien » de vingt façons différentes, on aurait de bien meilleurs résultats. Effectivement, la façon de dire les choses a un effet sur les choses. C’est simple. Et ça ne coute rien.

Vous jouez du luth baroque depuis très longtemps. Un instrument extrêmement complexe, à vingt-quatre cordes. Faut-il y voir une métaphore ?

Chacun a en lui une complexité de cet ordre, oui. On montre des facettes multiples, mais on est toujours un. Apprendre ressemble à cela également.
La musique a toujours été là, avec mon père organiste et maitre de chœur. Bach était là aussi, et comme composition complexe, ce n’était pas mal non plus. J’ai tenté le piano. Puis la guitare. Au toucher des cordes, aux vibrations de la caisse, j’ai compris tout de suite que cela allait être important pour moi. À 50 ans aujourd’hui, la musique est dans mes mains ; ma mémoire des morceaux est sensorielle et kinesthésique. Je pose mes doigts sur les cordes et la fugue de Bach que j’avais jouée au bac me revient.

J’ai découvert tôt le luth dans un festival baroque, par un majestueux théorbe aux graves puissants. Je crois que j’ai eu un flash esthétique. L’image est un puissant vecteur dans l’apprentissage, n’est-ce pas ? Mais tout était impossible dans ces années soixante-dix. Il a fallu attendre les années 2000, avec internet, la mise en réseau des ressources et de la communauté, pour trouver le contact avec des professionnels, des luthiers. Mon luth est une copie de celui du musée de Nuremberg de 1692, conseillé par un musicien de Marseille, fabriqué par un jeune luthier brésilien ; les partitions sont numériques et pourtant très proches de l’original de Bach.

Apprendre, ça se faisait beaucoup en écoutant et regardant les autres. Comme cuisiner le foie gras avec une grand-mère du Sud-Ouest à qui j’ai demandé « montre-moi comment tu fais », ou même mon travail de formateur, avec André de Peretti.

Créer, inventer, cela semble au cœur de votre vie professionnelle. La musique y participe-t-elle ?

Je ne crée pas lorsque je joue, non. La musique, comme l’exercice physique intense, ou faire la cuisine, cela constitue un temps de pause nécessaire sans lequel il n’est pas possible d’inventer, d’interagir, de proposer.

Propos recueillis par Christine Vallin


Article paru dans notre n°502, Par ici les sorties, coordonné par Michèle Amiel et Monique Ferrerons, janvier 2013.

Pourquoi a-t-on besoin, parfois, de sortir de l’école pour mieux enseigner, apprendre ? Comment préparer la sortie, gérer son déroulement, en faire un point d’appui pour les apprentissages ? En quoi et pourquoi cela change-t-il les relations entre accompagnateurs et élèves ? Les sorties sont-elles du ressort d’un projet d’établissement, ou de la liberté pédagogique de chaque enseignant ?

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