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Ateliers d’aide mutuelle à Vitruve

L’école Vitruve rassemble 230 enfants dans neuf classes administratives encadrées par dix enseignants et un réseau d’aides composé de trois personnes à temps partiel. Les enfants sont répartis selon deux cycles : le cycle 2 et le cycle 3 renommé “CIT” (cycle intermédiaire et terminal). Le dixième enseignant est délégué aux tâches de coordination pédagogique et de direction administrative.
Fidèle à l’esprit de l’éducation nouvelle et des méthodes actives, l’école fait en sorte que la gestion du lieu par ses habitants eux-mêmes permette de mettre en place l’ensemble des apprentissages. Education par la citoyenneté plus qu’éducation à la citoyenneté, cette expérience de la vie en commun produit tout à la fois des savoirs et de la citoyenneté.
Dans ce contexte de mutualisation, les Conseils d’enfants (nommés Conseils d’école) sont un élément essentiel du travail. Ils sont composés de délégués des groupes qui changent d’une fois sur l’autre et mêlent donc des enfants d’âges différents. Animés par un des enseignants (en roulement), ils ont lieu une fois par semaine. En plus d’être un lieu de paroles et un apprentissage de la délégation, ils sont surtout un lieu de structuration de la pensée, d’anticipation, de prise en compte de la réalité et des autres, un prétexte à développer en situation les mathématiques, l’expression de la langue, l’écriture, la lecture. Mais ces Conseils d’enfants sont inséparables de tout ce qui se passe en amont, au moment de la préparation, du choix et de l’annonce des thèmes de débats et de la rédaction des ordres du jour par les enfants eux- mêmes. En aval ils débouchent sur des décisions rédigées, affichées et lues sans pour autant devenir immuables.
Appliquées au domaine plus particulier de la vie en commun, il est naturel de voir ces pratiques se prolonger au sein des activités d’appropriation des savoirs, d’entraînements ou de soutiens. Un gros effort porte donc sur les interventions croisées des enseignants et des enfants (groupe de soutien à effectif réduit, groupe d’activités à effectif important, groupes multi-âges, tutorat et aides mutuelles) en fonction des besoins ou des projets. Par exemple, chaque lundi après-midi pendant 3/4 d’heure, 10 enfants de CI vont aider 10 CE1 à s’entraîner (lecture-écriture des nombres, additions à retenue…).
Il s’agit bien là d’une tentative de globalisation de l’espace éducatif, des temps d’apprentissage et des effectifs avec, à chaque instant, une prise en compte des conséquences en termes de gestion. Les différentes formes d’aide y occupent une place à part entière sans apparaître comme des structures de rattrapage ou comme un surplus de travail infligés aux plus faibles On peut légitimement affirmer que l’école Vitruve propose une relecture, en milieu urbain et à l’échelle d’un établissement, de la notion de classe unique multi-âge préconisée par Freinet.

Tutorat et aide mutuelle

Chaque mardi après-midi, quatre ateliers fonctionnent sur le principe du tutorat et de l’aide mutuelle :

– Atelier dictionnaire : rechercher un mot dans le dictionnaire ;
– Atelier copie : entraînement à la copie sans erreur ;
– Atelier pendule : lire l’heure ;
– Atelier CIT 15 : groupe de 15 élèves (5 CM2, 5 CM1, 5 CE2), missionné pour traduire en terme d’organisation les nécessités qui ont émergé.

Les enfants sont répartis dans les ateliers pour plusieurs séances.
Les bilans réguliers, les ajustements nécessaires se feront en réunion de cycle hebdomadaire tandis que la réunion de cycle discutera des modalités de roulement, des créations de nouveaux ateliers en fonction des besoins, des outils d’évaluation des acquis (passage d’un brevet pour chaque atelier), à charge pour le groupe CIT 15 de les construire après observations et de les mettre en place.

L’atelier pendule

Dans cet « atelier pendule », l’objectif des enfants est simple : savoir lire l’heure à la pendule. L’organisation du flux de la cantine à Vitruve et la prise en charge des différents services à des heures précises sur le temps de midi rend ce savoir nécessaire socialement. La lecture de l’heure permet en outre d’anticiper, d’organiser, de structurer les activités sociales et collectives de sa vie d’enfant à Vitruve ou en classes vertes.

Pour l’adulte, il ne s’agit pas paradoxalement d’apprendre à lire l’heure, mais de produire un cadre d’apprentissage qui permette à tous et à toutes de savoir lire l’heure dans toute sa complexité.
Les contraintes sont de plusieurs natures :

  • La taille du groupe, puisque l’atelier concerne un enseignant avec quarante-huit enfants de CIT,
  • l’hétérogénéité des savoirs chez les enfants parmi lesquels certains savent peut-être lire l’heure, d’autres le croient et la plupart ne le savent pas vraiment,
  • l’hétérogénéité des âges chez les enfants,
  • la complexité du savoir à acquérir : jongler avec les minutes, heures, secondes sur un cadran fractionné en douze ou soixante, comprendre la double lecture de l’heure à l’aide de compléments à 60, se repérer dans les fractions d’heures.

Telles sont les données de base de l’atelier. A elles seules, elles imposent une transmission du savoir décalée par rapport au mode traditionnel, et ce, par simple souci d’efficacité éducative. D’emblée, le mode magistral de transmission se trouve écarté. Les repères traditionnels fondés sur le dogme incontournable d’ « un maître, une classe, ou un maître et un petit groupe de besoin » sont bousculés. En provoquant collectivement la structure CIT 15, en modifiant le rapport au nombre et à l’âge des enfants, en socialisant le savoir à transmettre on fait bouger des limites institutionnelles, on crée des zones d’instabilité éducative qui ouvrent, pour peu qu’on les accepte, des questionnements, mais aussi des perspectives.

Quelques principes de travail :

  • aborder la complexité directement : l’objectif est de savoir lire l’heure,
  • s’appuyer sur des tuteurs experts de la lecture de l’heure à la pendule et les mettre en charge d’un petit groupe de deux ou trois tutorés dans un cadre d’apprentissage mutuel.
  • outiller le plus rapidement possible les tuteurs en leur donnant un cadre, une procédure et des supports de travail,
  • procéder par bilans approfondis pour réguler les modes d’actions au sein des petits groupes,
  • anticiper sur le passage d’un brevet qui évaluera le savoir technique du tutoré et aussi la qualité de formation du tuteur,
  • accepter l’idée que l’atelier n’est une étape, que le fait de l’avoir suivi une fois ne dispense pas de le recommencer plus tard, de provoquer d’autres ateliers, des situations d’apprentissage différentes ou complémentaires .

Une relation complexe et structurée

La relation tuteur / tutoré est au cœur du modèle de la transmission du savoir. Elle est le point d’appui choisi pour des raisons pratiques mais aussi politiques et éducatives, basée sur la démultiplication des possibilités de transmission et d’acquisition du savoir à acquérir. Cette relation transforme le rapport au savoir, elle le rend accessible, possible, puisque maîtrisé par un pair, tuteur, chargé de transmettre son savoir dans le cadre d’une relation d’apprentissage mutuel.
Cependant, la relation entre tuteur et tutoré ne constitue une relation d’apprentissage que dans la mesure ou elle est pensée, outillée, organisée, cadrée comme relation éducative. Ce qui se noue dans la relation de travail entre les enfants n’a de valeur en termes d’apprentissage que si l’adulte la structure tout au long du temps éducatif.
Cette structuration entraîne, non pas un retrait, une non-intervention, mais un repositionnement (pédagogique mais aussi géographique…) de l’enseignant, selon des modes et des implications de nature, de valeurs et de temporalités différentes.

Dans le champ de l’organisation :

  • définir les espaces géographiques de travail, la durée des temps de travail,
  • définir les tuteurs en les évaluant préalablement, répartir les enfants par groupes de tuteurs-tutorés,
  • définir un rapport d’efficacité pédagogique entre le nombre d’apprenants pour un tuteur (dans ce cas précis 1 pour 2),
  • diffuser un support de travail (cadran de pendule fractionné en 12 X 5 minutes et aiguilles en papiers dans une enveloppe pour chaque tuteur à charge pour lui de les conserver d’une semaine sur l’autre),
  • définir des procédures de travail ou d’entraînement (placer l’aiguille des minutes, lire les minutes sans recompter toutes les minutes mais s’appuyer sur les repères des 15, 30, 45 minutes…).

Dans le champ de la régulation :

  • instituer des bilans collectifs en fin et en début d’atelier, pour outiller les tuteurs (lire l’heure c’est savoir aussi compter de 5 en 5, connaître les compléments à 60),
  • relancer des situations d’apprentissage techniques en aval en grand groupe ou pendant la mise en activité,
  • préciser en situation, les relations de travail à l’intérieur des groupes tuteurs-tutorés (comment et où le tuteur s’assoit-il pour que le cadran pendule en papier, support de travail, soit manipulable par les tutorés),
  • diffuser en grand groupe les techniques mises au point par certains tuteurs (écrire sur le cadran en papier les points de repères 15, 30, 45),
  • évaluer à intervalles régulier les progrès des formés ainsi que ceux des formateurs, moduler, préciser et finaliser les objectifs de travail.

Une prise en charge apaisée

Le CIT 15, après une séance d’observation, a mis au point un brevet de lecture de l’heure à la pendule. Tous les enfants concernés ont passé le brevet et une majorité d’entre eux avec succès.
Les ateliers CIT ont été pensés à l’origine comme un levier destiné à faire bouger les rapports au travail, à la vie sociale et collective dans le cadre du CIT. En ce sens, ils ont rempli leur rôle. Ils ont défini des situations d’apprentissages mutuels entre plus jeunes et anciens, posé en termes d’enjeux clairs des savoirs indispensables et accessibles pour les enfants et contribué à organiser une prise en charge régulée et apaisée des nécessités collectives de la vie vitruvienne.

École Vitruve, Paris 20e
[ Site de l’École Vitruve ]