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Parler et apprendre, apprendre et réussir

Collectif, dir. Nathalie Bajolle et Géraldine Sappez, Retz, 2024

L’ouvrage, composé de quatorze contributions, est divisé en deux parties — comme l’annonce le titre —, l’une centrée sur le langage (oral, surtout), l’autre consacrée à ce qui peut aider à l’apprentissage ou y faire obstacle, particulièrement en situation d’inclusion.

L’oral est polyvalent : objet d’enseignement et d’apprentissage, il joue aussi un rôle social et affectif dans le groupe-classe. Cela le rend difficile à définir, à didactiser et évaluer, d’autant plus qu’en classe, ces divers usages sont souvent sollicités indifféremment et simultanément.

Or les usages du langage jouent un rôle dans les inégalités à l’école. Les élèves doivent non seulement comprendre le langage, mais aussi les enjeux, en particulier cognitifs : dépasser l’expression de l’avis, de l’émotion ou de l’expérience pour mobiliser le langage pour apprendre, raisonner, argumenter. Quant à comprendre un discours oral, cela peut se travailler, s’enseigner, dès lors qu’on a repéré quelles compétences étaient à développer. Ces points sont traités essentiellement par Sylvie Plane et Élisabeth Bautier.

Constatant que la maternelle échoue à réduire les inégalités, Pierre Péroz propose un outil, le « dialogue pédagogique à évaluation différée », qui sort du jeu courant « question/réponse » et développe une pédagogie de l’écoute permettant à l’élève de parler davantage. Il propose aussi d’évaluer les progrès plutôt que la conformité à la norme.

Les inégalités devant le langage naissent avant l’entrée à l’école : on trouvera un éclairage psychanalytique de Bernard Golse (pédopsychiatre et psychanalyste) sur la façon dont le bébé construit son rapport au langage. Puis il y a « coéducation langagière » entre la famille et l’école : une tension s’exerce entre les continuités nécessaires et les ruptures tout aussi nécessaires pour entrer dans le « langage pour apprendre ». Toujours présente, elle est plus difficile à gérer dans les situations, fort variées, de bilinguisme, plurilinguisme ou avec les élèves ne parlant pas encore le français. Cela implique une sécurité linguistique chez l’enfant et, chez le professionnel, une posture d’hospitalité langagière et d’explicitation de l’univers scolaire. Cette notion de coéducation langagière, soit de coopération en réciprocité avec les familles, est traitée par Catherine Hurtig-Delattre et Nathalie Blanc, et complétée par un zoom de Coralie Sanson sur la situation et l’accueil des enfants allophones. Un dispositif inclusif d’enfants conteurs est présenté en seconde partie.

Cette seconde partie sort de la problématique du langage, qu’on retrouve parfois en filigrane, pour s’interroger sur la notion de réussite : on fait d’abord l’histoire de l’inclusion et de la façon dont les institutions sont passées d’une logique de compensation des élèves désormais dits « à besoins particuliers » à une logique d’accessibilité de l’environnement social, donc scolaire. Fabien et Florence Fenouillet s’appuient sur les résultats de la recherche quant aux liens entre conceptions de l’intelligence, motivation et sentiment d’efficacité personnelle pour en tirer quelques points de vigilance à l’attention des enseignants. Au passage, ils critiquent les « groupes de niveau », qui ancrent une conception fixiste de l’intelligence, obstacle à la motivation.

Connaître son fonctionnement cognitif est aussi de nature à aider les élèves qui ont des difficultés d’apprentissage : comment comprendre, apprendre, mémoriser ? Pierre Vianin montre que partir des tâches effectivement demandées est plus efficace que des cours décrochés de méthodologie, même s’il faut penser ensuite à veiller au transfert. Un outil pour « l’aide stratégique » aux élèves est fourni ; il guide l’observation des processus cognitifs et métacognitifs mobilisés (ou non !) par l’élève pour ensuite définir ce qu’il faudra travailler.

Et comme le souci de l’inclusion, transversal à tous les textes, implique une position éthique de l’enseignant, Eirick Prairat montre comment cette posture peut être travaillée en formation.

Piloté par la Fname (Fédération nationale des associations de maîtres E, c’est-à-dire des personnels qui travaillent avec les élèves les plus en difficulté), cet ouvrage propose des entrées diversifiées ; il peut donc être lu intégralement ou on peut se contenter de choisir en fonction de ses centres d’intérêt. On apprendra dans tous les cas, car les analyses, fondées sur l’interaction entre théorie et pratiques, visent l’ensemble des élèves.

Elisabeth Bussienne