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Les transitions du préscolaire au scolaire. Approches empiriques

Julie Myre-Bisaillon, Frédéric Torterat, L’Harmattan, enfance & langages, 2021

Depuis des travaux anciens menés dans le cadre de feu l’INRP, nous savons que s’il est un moment à travailler avec le plus grand soin dans notre système éducatif, c’est celui des transitions entre diverses institutions éducatives, la famille étant la première en termes de chronologie. C’est alors que s’observent les plus importantes « pertes de connaissances » (jusqu’à 30% alors qu’au sein d’une même institution la moyenne n’est que de 10% d’une année sur l’autre). Composé de douze chapitres suivant une courte introduction et clos par une postface qui permet de l’interpréter, il s’attache à des initiatives et des pratiques qui ont pour but de « créer un milieu favorable au développement de tous dans le respect de chacun » (p. 196). Pour cela, il repose sur un trépied qui sera résumé ainsi : l’élève est une personne, il faut bien plus qu’un village pour lui permettre de développer son langage parlé et accéder à l’écrit, enfin la question du changement de pratiques des enseignants et de la formation par la recherche est plus que jamais d’actualité.

L’élève est une personne

Illustrant le diagnostic commun que posent les auteurs réunis dans l’ouvrage, Julie Myre-Bisaillon et Frédéric Torterat signalent qu’ils « questionnent les configurations dans lesquelles l’enfant, proprement, apprend à parler à l’autre » (p. 14). Ce but peut paraître général et trop peu scolaire mais c’est précisément l’intention commune des pratiques étudiées dans la douzaine de recherches évoquées. Même s’il est parfois appelé sujet par des psychologues, l’enfant n’est jamais traité dans ces douze textes comme un simple élève mais plutôt comme une personne unique avec des besoins éducatifs singuliers qui sont d’autant mieux traités qu’il est placé dans des situations et institutions qui le respectent. C’est le cas de l’école Boby Lapointe de Pézenas où les deux ans, naguère « variables d’ajustement » bénéficient du projet de classe passerelle qui associe l’enseignante, les parents, la psychologue scolaire, le directeur, l’ATSEM, l’éducatrice de jeunes enfants, le médecin de PMI et devient un lieu de co-éducation puis de diffusion d’une autre façon d’envisager l’école comme une occasion de rencontres entre des personnes qui ne se fréquentaient pas auparavant.

Même si toutes les précautions sont prises pour éviter de se fourvoyer dans la complaisance et la baisse d’ambition pour les enfants des familles défavorisées grâce aux références aux travaux d’Élisabeth Bautier (2015), l’objectif du développement langagier détermine une prise en compte de ce qu’est l’élève en tant que personne membre d’un groupe. C’est ce qu’illustre le chapitre de Brahim Azaoui qui montre comment l’action d’une enseignante avec des enfants en situation de surdité et allophones combine action corporelle et langage des signes pour parvenir à la réussite dans de très courtes séquences d’apprentissage où la « relation bienveillante » (p. 91) n’exclut pas l’exigence qui finit par obtenir de Chaïma la rectification de son erreur.

Le village pour développer le langage

Mais le paradoxe de la prise en compte de l’élève comme personne aboutit inéluctablement au proverbe africain du village qui est requis pour éduquer un enfant. De nombreux chapitres en témoignent dont les deux qui font écho à ce que l’on dénomme trop vite la pédagogie Freinet. Celui de Frédérique Marie Prot nous entraîne dans l’« ascension progressive et graduelle » (p. 75) vers l’écriture de textes libres et celui, très politique en son début puis plus pratique dans ses dernières pages, de Jean Astier revendique une « position esthétique […] avant tout éthique » (p. 154) avant de livrer et commenter les œuvres des élèves qu’il accompagne.

« Que font tous ces enfants pendant qu’ils sont gardés avant ou après l’école ? » Telle est la question que nous pourrions poser en parodiant Victor Hugo. Julie Myre-Bisaillon, Annie Chalifoux et Geneviève Rivard constatent que les jeunes enfants des milieux défavorisés passent en moyenne 14 heures par semaine dans les services de garde en milieux scolaires (SGMS) au Québec. D’où l’idée de mettre en place avec les personnels concernés des dispositifs d’éveil à la lecture et à l’écriture. Le tout a été évalué avec un pré-test et un post-test sur quatre groupes, un n’en bénéficiant qu’en SGMS, un autre de manière combinée avec la classe, un troisième seulement en classe et enfin un groupe témoin. De manière inattendue, c’est le dispositif SGMS unique ou combiné avec la classe qui détermine les meilleurs attitudes et performances.

Le chantier de la formation par la recherche

Ces réussites analysées avec la rigueur de démarches quantitatives et qualitatives posent le problème du changement des pratiques enseignantes. Autrement dit, une fois trouvé ce qui est souhaitable et souhaité au niveau de la socialisation et de l’acquisition du langage chez le jeune enfant (voir le chapitre de Frédéric Torterat), plusieurs auteurs montrent comment une formation par la recherche (notamment Sandrine Bazile et Hélène Marquié-Dubié, Yves Soulé et Valérie Plyer) peut se révéler plus efficace que bien des discours universitaires et c’est Élaine Turgeon qui en fait la description la plus précise en reprenant à Arsène Wenger la notion de « communauté de pratiques ». Elle l’applique avec six enseignants montréalais accueillant des enfants de milieux défavorisés. Tous ne sont pas convaincus au début de la démarche mais le travail en continu avec huit réunions, des journées de formation, des lectures et des interactions avec la chercheuse, aboutit à un bilan évaluatif passant d’un jugement très négatif sur la capacité des enfants à formuler, justifier et valider des hypothèses sur des textes à un autre où ils sont reconnus comme bons ou très bons (p. 66).

Ce livre montre à quel point l’école dite maternelle est un révélateur et un analyseur d’un système scolaire fondé sur la compétition et la sélection alors que d’autres voies sont possibles. Mais elles nécessitent des recherches sur les pratiques éducatives et, en ce qui nous concerne, des recherches sur la formation des personnes qui ont en charge la formation pour aboutir à la transformation desdites pratiques.

Richard Étienne