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La « cagnotte » et les théories de la motivation

L’expérimentation lancée dans l’académie de Créteil est l’un des projets présentés dans le cadre des Fonds d’expérimentation pour la Jeunesse dont l’objectif principal est de diminuer l’absentéisme au lycée. Le programme 3 de l’axe 1 du projet, « incitations au maintien dans le système scolaire », vise à expérimenter l’impact d’une récompense sur le groupe classe en lui permettant de mettre en œuvre un projet (ToutEduc, 2009). C’est ce point précis, celui de la récompense, qui est source de polémique et c’est sous l’angle de la motivation qu’il sera traité dans les lignes suivantes.
Avant toute chose, il ne faut pas confondre la motivation et ses déterminants. Autrement dit, la récompense n’est pas la motivation. De plus, la motivation est un phénomène interne alors que la récompense est extérieure à l’individu. De même que la menace d’une punition n’agit que si elle provoque la peur, la honte ou l’anxiété, la récompense ne peut avoir une action que si elle trouve un relai « interne » chez l’élève.
Il s’agit donc bien dans ce projet de manipuler un déterminant. Cependant, il n’est pas certain que l’objectif soit de motiver l’élève… du moins directement. La motivation est un phénomène psychologique qui est directement du ressort de l’individu or ici ce n’est pas l’élève qui est « incité » mais le groupe classe. Nous sommes donc loin du projet anglais « Education Maintenance Allowance » (Middleton & al., 2005) qui, comme le signalent les auteurs français pour mieux s’en différencier, cible directement l’individu. Le système de récompense « à la française » est donc en quelque sorte un déterminant motivationnel de deuxième niveau : il doit trouver un relai au niveau du groupe et le déterminant « groupe » doit également trouver un relai interne chez l’individu pour finalement provoquer la motivation.

Difficultés méthodologiques

Pourquoi ce double pari ? Une hypothèse serait de postuler que cette expérimentation vise plutôt la « génération » de projets-classes. En effet, un projet à de nombreux avantages. Du point de vue de l’efficacité comptable d’abord, au lieu de distribuer de l’argent tout azimut on le concentre là où il semble plus efficace. Du point de vue de la valorisation du travail de l’équipe pédagogique ensuite, qui est une autre forme de motivation en direction des enseignants cette fois, puisque l’apport monétaire récompense ceux qui font quelque chose, qui ne se contentent pas « uniquement » d’enseigner ou de gérer le quotidien. Enfin, du point de vue social, un groupe avec un projet est plus que la somme des individus qui le composent, un but introduit une nécessaire cohésion sociale pour le mener à bien.
Bien entendu, ces différents effets ne sont pas ceux directement visés même si l’auteur du dispositif mentionne que « si le projet vise bien à développer les incitations au maintien dans le système scolaire, il prévoit d’organiser ces incitations, non pas dans une logique individuelle, comme dans les expériences existantes dans d’autres pays, mais autour d’une logique collective reposant sur le groupe classe, et dans un esprit de responsabilisation des élèves ». Même s’il est mentionné, cet « esprit » n’est pas directement évaluable. C’est donc bien l’absentéisme qui reste le cœur du projet. Il est difficile de savoir à l’avance si ce dispositif aura l’effet escompté et de ce point de vue, cette « expérimentation » reste très intéressante. Le seul point de comparaison dont nous disposons qui ait fait l’objet d’une évaluation poussée, est le dispositif anglais « Education Maintenance Allowance » (Middleton & al., 2005) qui diffère grandement du projet français comme nous avons pu le voir plus haut. Le rapport établi par 4 experts en politiques sociales et 3 en fiscalité économique rassemble de très nombreuses données dans un document synthétique de 157 pages qui fourmille de précautions méthodologiques tant sur la partie recueil que sur celle qui traite de son analyse.
À ce niveau, le dossier français comporte peu d’éléments et ceux-ci sont loin d’apporter toutes les garanties. Par exemple, il est prévu que « sur l’année 2010-2011, le protocole retenu (soit) mis en œuvre de manière à en permettre l’évaluation, avec un grand nombre de classes contrôle et témoin tirées au sort » (ToutEduc, 2009). Il est possible de voir ici un problème méthodologique en puissance. En effet, comme nous avons pu le voir plus haut, il s’agit d’un dispositif à double détente et nous voyons déjà le souci que pose une comparaison des classes qui ont choisi d’utiliser ce dispositif par rapport à celles qui ne l’ont pas fait même si elles sont tirées au sort dans les deux cas.
Le problème de cette méthodologie est qu’elle risque de comparer des groupes qui ont choisi de mettre en place un projet par rapport à d’autres qui n’ont pas fait ni ce choix ni aucun autre. Il est évident que le simple fait d’avoir un projet peut entrainer un effet motivationnel sur les élèves d’une classe et ce indépendamment de la présence d’une rémunération ou non. Il y a donc une possible confusion entre deux variables : la présence ou non d’un projet et la présence ou non d’une rémunération. Si cette distinction n’est pas opérée, nous pouvons déjà dire qu’il sera possible d’observer un effet sur la présence des élèves du simple fait de la présence d’un projet, c’est-à-dire d’un objectif qui comme le montrent différents auteurs a un impact motivationnel (Lieury & Fenouillet, 2006 ; Fenouillet, 2003 ; Cosnefroy & Fenouillet 2009 ; Locke & Latham, 2002).

Limites d’une motivation par la récompense

Le dispositif français ressemble cependant à celui mis en place par l’anglais dans la confusion qu’il fait entre contrôle et motivation. Il est spécifié dans le projet que « les protocoles envisagés se présentent comme un contrat entre l’équipe éducative et les élèves : l’institution scolaire est disposée à mettre des moyens importants à la disposition des élèves pour l’élaboration d’un projet mais, en contrepartie, elle attend une implication plus grande dans l’ensemble des activités scolaires. L’effort ne doit pas être à sens unique. La contrepartie attendue des élèves conduit à indicer le montant mis à disposition du projet sur la présence des élèves en cours et leur sérieux.» (ToutEduc, 2009). Cet extrait du projet permet de faire apparaitre deux niveaux de contrôle.
Le premier est une récompense octroyée pour le simple fait d’avoir un projet. Rien n’est spécifié sur la présence d’une commission statuant sur l’obtention ou non de ces moyens mais rien n’indique qu’ils seront attribués automatiquement. Le deuxième est un contrôle encore plus serré de cet investissement au travers du suivi d’un indicateur de présence.
Encore une fois, les moyens mis en œuvre pour « motiver » les élèves sont externes (récompense, punition, etc.) et non internes (sens que revêt l’école pour l’élève, intérêt pour l’activité scolaire, etc.). Dans le cadre des théories motivationnelles, on parle respectivement de motivation extrinsèque et intrinsèque (Deci & Ryan, 2002). En utilisant la récompense, on extériorise en quelque sorte la raison d’agir. L’individu ne va pas en classe de français parce cette matière à un sens pour lui mais parce que cette présence est l’instrument qui permet, par exemple, de passer une semaine à la montagne. Une telle démarche ne favorise pas l’autonomisation de l’élève. Bien entendu, on pourrait croire qu’un comportement obtenu par la récompense dans un premier temps pourrait s’autonomiser dans un deuxième. Cependant, les résultats des études sont très clairs à ce niveau (cf. Lieury & Fenouillet, 2006). La récompense dans un contexte de contrôle comme c’est le cas ici, diminue la persistance autonome sur une activité. Autrement dit, la récompense, loin de développer l’autonomie et la persistance de l’élève dans les apprentissages, va au contraire la diminuer.
Bien entendu, cet argumentaire en faveur des motivations autodéterminées peut sembler décalé par rapport à l’objectif premier de ce projet qui est centré sur l’absentéisme. De plus, il est vrai qu’en ce qui concerne le projet anglais la rémunération des élèves permet d’augmenter leur présence d’environ 5 % au-delà de l’âge légal (Middleton & al. ,2005 ; Dearden & al., 2004). Cependant, il convient de remarquer que le projet français évoque lui-même d’autres impacts « secondaires » comme la responsabilisation de l’élève, le fait que ce « dispositif doit contribuer à faire des lycées des lieux de vie, de sociabilité et d’apprentissage », ou encore que l’institution scolaire « attend une implication plus grande dans l’ensemble des activités scolaires » (ToutEduc, 2009). Or, à la fois les multiples résultats empiriques issus de la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 2002) et ceux de l’étude anglaise, très proches malgré tout des conditions que compte mettre en œuvre le projet français, ne vont pas dans le sens d’une telle « propagation motivationnelle ».
Dearden & al. (2005) ont étudié différentes conditions de mise en œuvre de la récompense et quelques-uns de ces résultats connexes se révèlent intéressants de ce point de vue. Tout d’abord, il faut indiquer que le programme est lié aux ressources des parents. Plus le salaire de ceux-ci est élevé moins la prime est importante pour disparaitre totalement au-delà de £30,000. Les résultats de l’étude montre que l’impact est lui aussi dégressif, moins les élèves touchent d’argent moins cette prime a un effet sur l’absentéisme. Par ailleurs, les auteurs ont cherché à mesurer la « propagation incitative » de cette prime sur les élèves qui ne la touchaient pas. Il s’avère que cette prime n’a aucun effet au-delà des élèves qui la perçoivent directement.
Bien entendu, il serait possible de rétorquer que cette absence au-delà de l’impact direct est liée au mode d’administration purement individuel contrairement à celui de la proposition française. Il est vrai que l’on pourrait croire que l’administration collective pourrait être vertueuse. Cependant, la mécanique à double détente détaillée plus haut risque au contraire de diluer l’effet de la motivation extrinsèque tandis que le système de contrôle ne permet pas l’expression des motivations plus autodéterminées. Bref, le seul point qui pourrait avoir un impact positif sur ces effets secondaires pronostiqués et attendus par le dispositif français ne peut venir que de sa capacité à générer plus de projets. Mais, encore une fois, dans la mesure où ces projets seront portés par un contrôle accru et donc par des motivations extrinsèques, ceux-ci ne devraient avoir aucune persistance au-delà du financement direct et ce contrairement à des projets portés par l’intérêt ou par la valeur intrinsèque qu’ils peuvent avoir pour les élèves eux-mêmes indépendamment de leurs finalités. Là aussi, seule une méthodologie tenant compte des multiples biais possibles pourra permettre de « réellement » éclairer la politique publique en la matière.

Fabien Fenouillet, Maître de conférences en Sciences de l’éducation, Chercheur au centre de recherches éducation et formation, Équipe « Apprenance et formation des adultes » , Université Paris Ouest Nanterre La Défense.
fabien.fenouillet.free.fr

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Le point de vue d’Alain Lieury
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Références

Bandura, A. (2003). Auto-efficacité : Le sentiment d’efficacité personnelle, Bruxelles, De Boeck.
Cosnefroy, L., & Fenouillet, F. (2009). Motivation et apprentissages scolaires. in P., Carré & F., Fenouillet (Ed.), Traité de psychologie de la motivation, Paris : Dunod.
Dearden, L.-C. Emmerson, C. Frayne and C. Meghir (2005) “Can Education Subsidies stop School Drop-outs ? An evaluation of Education Maintenance Allowances in England”, IFS discussion paper.
Deci, E.-L., & Ryan, R.-M. (2002). Handbook of self-determination research. The university of Rochester press, USA.
Lieury, A. & Fenouillet, F. (1996, 2006) Motivation et Réussite scolaire, Paris, Dunod.
Middleton, S., Perren, K., Maguire, S., Rennison, J., Battistin, E., Emmerson, C., Fitzsimons, E. (2005). Evaluation of Education Maintenance Allowance Pilots: Young People Aged 16 to 19 Years Final Report of the Quantitative Evaluation, Research Report RR678, Queen’s Printer and Controller of HMSO 2005.
ToutEduc (2009). Lycéens « payés »: où est la ligne jaune ? Retrouvé le 18/10/2009 à sur le site ToutEduc

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N° 429-430 – Cette fameuse motivation
Dossier des Cahiers pédagogiques, coordonné par Jean-Michel Zakhartchouk (janvier-février 2005)
« Motiver les élèves », une formule qui ne sait plus très bien ce qu’elle veut dire, et qui simplifie les problèmes de l’École… ? Certes, mais prenons-la comme une entrée, puisqu’elle préoccupe les enseignants et tous les usagers qui ont placé ce thème en tête lors du « Grand débat sur l’école ». Si le dossier n’élude pas les questions de fond, avec des spécialistes comme Roland Viau ou Françoise Clerc…, il est surtout orienté vers les pratiques de classe ou d’établissement. Comment aider les élèves à se motiver en travaillant « autrement », en bâtissant des projets, en utilisant une diversité d’outils (dont les TICE), mais aussi en contribuant à rétablir leur estime de soi, leur confiance dans leurs capacités (notamment en lycée professionnel) ? De nombreux enseignants témoignent, qu’ils travaillent avec de jeunes enfants, des adolescents, des classes tout-venant ou des « décrocheurs ». André Giordan, en relecture finale, réinterroge cette « fameuse motivation », débusque les impasses, interroge le fonctionnement des classes et de l’École.

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