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Ce que l’école devrait apprendre à tous
J’ai eu l’occasion de travailler avec Denis Paget, notamment sur les programmes de cycle 4 au Conseil supérieur des programmes. J’ai pu apprécier sa finesse d’analyse, son souci du concret et son ouverture d’esprit. Et ces qualités se trouvent présentes dans cet ouvrage qui présente des propositions pour que l’école, selon les trois verbes qui se trouvent en sous-titre, permette davantage aux élèves de se connaitre, de s’ouvrir, d’être « reliés » entre eux.
L’auteur évoque brièvement au début du livre son parcours professionnel. Et sa découverte du monde réel des élèves, la prise de conscience que la transmission culturelle à laquelle, en tant que professeur de Lettres il était très attaché, était tout sauf simple. Il a ensuite eu d’importantes responsabilités au SNES où il s’est toujours battu pour qu’on n’oublie pas la pédagogie et ce que signifie la mission d’enseigner. « J’ai toujours eu comme boussole de ne jamais réduire l’action syndicale à la seule dénonciation des politiques libérales[…] mais de toujours œuvrer à la recherche de solutions collectives pour parvenir à un enseignement de bonne qualité pour tous les élèves, sans exception ».
En 2012, Denis Paget s’est donc engagé dans la « refondation » en travaillant sur une refonte du socle commun (on trouvera en annexe sa critique de la première version de 2005), puis sur les programmes de primaire et collège. Après avoir pu faire passer des idées progressistes au sein du Conseil supérieur des programmes (avec par exemple l’idée des trois volets : une philosophie générale de chaque cycle, les contributions de chaque discipline au socle commun et enfin les programmes disciplinaires avec leurs attendus par cycle), les années Blanquer et le détricotage progressif de cette démarche innovante l’ont conduit à quitter le navire et à s’investir au sein du CICUR (collectif d’interpellation du curriculum) .
Dans le chapitre « nouveaux défis pour l’école publique », il énonce quelques-uns de ces défis qui devraient orienter une nouvelle définition de ce qu’il est indispensable de travailler à l’école : rapport à la vérité, rapport à la nature, rapport à l’espace… Il faut, pour cela, « penser la culture scolaire d’abord, mais pas exclusivement, comme une culture d’éducation, forcément distante de la culture savante et obéissant à des structures disciplinaires qui lui sont propres, et qui ne sont pas gravées dans le marbre ».
On peut ne pas être toujours d’accord avec une certaine valorisation du disciplinaire au détriment d’un croisement de disciplines qui n’est certes pas écarté, mais ne semble pas une priorité, d’où un scepticisme de l’auteur par rapport à des formes telles que les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires). Mais comment ne pas rejoindre l’auteur quand il insiste sur la dimension éducative de l’école (qui reste, selon lui, un « angle mort des politiques éducatives depuis l’expansion de la démocratisation ») ? De même insiste-t-il sur la nécessaire ouverture sur les « cultures du monde », plaide-t-il pour une « identité collective comme contribution et enrichissement de la culture du monde » et souligne-t-il l’importance de rejeter les oppositions simplistes entre connaissances et compétences (une mise au point en annexe tente de clarifier les choses).
Le travail fait au sein du CICUR va dans ce sens et se poursuit, loin, hélas, des projecteurs des médias et des litanies sur les « fondamentaux ». On lira donc avec profit des propositions qui ont encore à se concrétiser, à s’incarner dans des activités et des progressions, qui permettent de vrais débats sur « quoi enseigner ? » et sur les grands équilibres à trouver entre par exemple s’appuyer sur le passé et s’ouvrir au futur, entre le « travail des savoirs » et le « travail de soi ». Sans oublier la question de l’apprentissage de la démocratie et l’exercice des libertés, à l’heure où les jeunes s’abstiennent aux élections et rejettent les partis politiques.
Un livre donc stimulant, qui rejoint à bien des égards les préoccupations de notre revue et des mouvements d’éducation nouvelle.