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Apprentissage du français : les inégalités se creusent

D’après une enquête récemment publiée, les performances en français des élèves de primaire et de collège sont globalement stables entre 2016 et 2021, mais, derrière cette stabilité générale, les différences de niveaux restent très marquées par l’origine sociale et le genre des élèves.

Le dispositif Cedre (cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillons), conçu et conduit par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale, évalue tous les cinq ans les résultats des élèves de CM2 et de 3e dans l’enseignement public et privé sous contrat. Les résultats de l’enquête réalisée en 2021 sur les performances en français viennent de paraitre1.

Ont été évalués la lecture (dont la fluence), l’étude de la langue (orthographe, grammaire, vocabulaire) et le langage oral pour le premier degré, la lecture de textes littéraires et non littéraires, d’images et de documents composites, y compris sur support numérique, pour le second degré. Les CM2 évalués en 2021, pour la plupart entrés au CP en 2016, ont vécu l’intégralité des mesures de Jean-Michel Blanquer (dédoublement des CP en éducation prioritaire, consignes aux professeurs des écoles en didactique, avec la diffusion massive du « livret orange » sur l’enseignement de la lecture et de l’écriture, etc.).

En primaire, le ministère met en avant « une légère hausse du niveau global » en français, alors qu’en 3e la part des élèves très faibles augmente de 2 %, la DEPP parlant de résultats « globalement stables ». Mais là où le bât blesse, c’est que cette enquête montre une école où les inégalités s’accroissent, et plus particulièrement à l’école primaire pourtant objet des attentions ministérielles.

Le genre peu pris en compte

L’étude confirme que les filles réussissent mieux que les garçons (il s’agit toujours et uniquement du français) : si en CM2 les garçons ont légèrement progressé depuis la précédente étude, ils ont au contraire régressé au collège, où l’étude parle même de « baisse de performance significative chez les garçons ». C’est probablement un domaine difficile à prendre en compte dans une classe, l’égalité républicaine voulant que garçons et filles soient traités de la même façon, et aussi par manque d’outils pédagogiques. Peut-être politiques et praticiens sont-ils moins avertis de ces différences ou y sont-ils moins sensibles qu’aux inégalités sociales…

Les inégalités les plus criantes sont liées à l’origine sociale des élèves. Les établissements des premier et second degrés sont classés selon un indice de position sociale. Cela permet de constater que l’écart entre les performances relevées, suivant que les établissements sont en éducation prioritaire ou non, s’est accru depuis l’enquête précédente : l’écart passe de 17 à 22 points en collège et il est à 24 en primaire, en nette augmentation, alors qu’il avait au contraire baissé de 2010 à 2015. La « légère hausse du niveau » général constatée par la DEPP provient des élèves les plus performants, qui sont aussi ceux dont l’origine sociale est, en majorité, la plus favorisée et parmi lesquels les élèves scolarisés dans le privé sont plus représentés. Ce qui signifie non que l’école privée réussisse mieux, mais qu’elle scolarise davantage d’élèves issus de catégories socioprofessionnelles favorisées, comme le fait remarquer la DEPP elle-même. Rien d’étonnant, mais on ne peut s’en satisfaire.

Échec des réformes

Cet accroissement des écarts est le signe que la politique menée par le ministère Blanquer n’a pas porté ses fruits. Les causes sont probablement multifactorielles et mériteraient d’être analysées. Si le dédoublement des classes en éducation prioritaire a probablement permis de travailler dans de meilleures conditions, il n’a pas permis aux élèves de progresser, au contraire. La pédagogie très traditionnelle prônée par le ministère et vulgarisée dans les outils mis à la disposition des maitres a-t-elle une part de responsabilité ? Il faudrait pour en juger savoir dans quelle mesure les professeurs des écoles l’ont appliquée…

Les conditions de vie des familles les plus défavorisées se sont-elles aggravées ? Quels ont été sur ces élèves les impacts du confinement ? L’étude de la DEPP visait à faire des constats sur les compétences et connaissances des élèves, non à expliquer les évolutions observées. Mais, derrière la « légère hausse du niveau », le creusement des inégalités en fonction de l’origine sociale est un échec qu’il faut expliquer si on veut, peut-être, inverser la tendance.

On peut regretter de n’avoir pas accès facilement à l’ensemble des questions posées et exercices demandés. Il serait par exemple utile de savoir combien d’items portaient sur la maitrise de la langue et combien sur la lecture en CM2, où les deux étaient évaluées : les élèves testés déclarant que le domaine le plus travaillé en classe est l’étude de la langue, il serait intéressant de voir s’il y a des différences entre ces deux compétences. Hypothèse impossible à vérifier : la pédagogie de la répétition prônée par le ministère pourrait avoir quelque utilité (encore que…) dans certains domaines de l’étude de la langue, beaucoup moins quand il s’agit d’apprendre à comprendre des textes.

Il serait utile aussi de pouvoir mettre en relation les réponses aux « questionnaires de contexte » remplis par les élèves de collège avec l’indice de position sociale de l’établissement : les 37,5 % d’élèves qui se déclarent « découragés d’avance » à l’idée de lire un texte, les 30 % qui déclarent « relire le texte pour chaque question » sans utiliser de stratégies de lecture sélective, viennent-ils des établissements de l’éducation prioritaire ou des familles les plus défavorisées des établissements hors éducation prioritaire ?

Quel rapport à la lecture ?

L’enquête indique cependant, pour les CM2, que les élèves des écoles les plus défavorisées sont massivement plus nombreux à déclarer « lire pour apprendre » et ont un rapport purement utilitaire à la lecture, alors que dans les écoles les plus favorisées les élèves déclarent majoritairement « lire pour s’évader », et certains « lire pour s’informer ». Ce qui est cohérent avec la place mineure donnée ces dernières années en primaire à la construction du rapport à la lecture au profit des automatismes.

La DEPP fait donc un constat qu’on peut juger inquiétant : s’il était connu que « l’école n’aime pas les pauvres », comme le dit Jean-Paul Delahaye, le creusement récent des inégalités observé dans le domaine et dans les limites de cette étude est une bien mauvaise nouvelle.

Élisabeth Bussienne
Membre du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques.

 

Notes
  1. Étude CM2 : https://bit.ly/3EpudmZ.
    Étude collège : https://bit.ly/3CIsPL7.