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Améliorer les pratiques en éducation. Qu’en dit la recherche ?
Cet ouvrage nous invite à nous intéresser aux processus complexes et incertains des changements en éducation ainsi qu’aux recherches sur l’efficacité en vue d’améliorer les pratiques en éducation. Il regroupe des contributions de plusieurs pays de la francophonie (France, Belgique, Suisse, Canada) produites lors des Rencontres internationales du réseau de recherche en éducation et formation (REF), à Toulouse, en juillet 2019.
Le chapitre de Pascal Bressoux montre la complexité structurelle de la rencontre entre les résultats des chercheurs et les praticiens dans la mise en œuvre et la dissémination des innovation s: comment diffuser des nouvelles connaissances à une échelle plus grande, à leur application dans de vrais établissements scolaires ?
Pour Sébastien Delisse et Benoit Galland, cet enjeu de l’implantation est un facteur important pour le changement dans l’école. De quel type de changement s’agit-il : imposé par les réformes (top down), fondé sur des preuves scientifiques (evidence-based practice mouvement), ou encore de développement professionnel ? Les auteurs mettent en évidence la complexité du processus, qui n’est ni garanti d’avance, ni durable. Il faut dès lors étudier et définir le périmètre de l’implantation, dans ses variations, les caractéristiques des dispositifs, son dosage, son intensité, la fidélité de sa mise en œuvre, l’accueil et l’acceptabilité par les enseignants, les perceptions de ces derniers, leurs besoins et encore les caractéristiques des élèves. Il s’agit également de s’intéresser aux processus de formation et de soutien délivrés aux enseignants, ainsi qu’à l’environnement politique organisationnel supportant les divers changements. Ceci est illustré dans un autre chapitre à travers l’exemple d’introduction de pratiques de coopération. Alexis Gagné, Michel Janosz et Sophie Pascal nous confrontent aux nombreuses définitions du « leadership pédagogique » et du « leadership transformationnel», dont on ne connait pas encore bien les effets sur les apprentissages et la réussite des élèves, dans l’actuel foisonnement de la recherche.
Benoit Galand et Sébastien Dellisse s’interrogent sur comment former les enseignants en cours de carrière pour améliorer les apprentissages des élèves. Les recherches montrent des effets limités sur les progrès des élèves, ou autrement dit un faible « retour sur investissement » de ces diverses activités de formation. Les formations continues qui auraient des retombées plus significatives sur les apprentissages des élèves ne semblent pas présenter de caractéristiques particulières. Les auteurs tendent à préférer des formations qui allient les besoins de la pratique, les préoccupations des praticiens et la création d’outils d’enseignement partagés comme le préconisent Roland Goigoux, Juliette Renaud et Isabelle Roux-Baron. Ces derniers soulignent les croyances erronées mais persistantes à propos de la formation continue. Il ne suffit pas en effet de diffuser les pratiques expérimentales « efficaces », celles-ci se soldant souvent par un échec en raison de leur faible compatibilité avec les pratiques enseignantes ordinaires. Les auteurs préconisent ainsi « de renoncer au modèle traditionnel de formation continue des enseignants fondé sur la transmission des connaissances scientifiques censées modifier leurs conceptions d’apprentissage et de l’enseignement puis, par conséquent, leurs pratiques » et d’inverser la démarche en cherchant à « influencer directement les pratiques des enseignants afin de faire évoluer leurs conceptions et de leur permettre d’acquérir de nouvelles connaissances qui, à leur tour, orienteront les pratiques ». Il s’agit d’intégrer et avant tout de fonder une collaboration entre décideurs, enseignants et chercheurs dans le but de concevoir des outils didactiques pour stimuler le développement professionnel des enseignants, ce qui implique un autre paradigme de recherche basé sur la pratique, dans un cadre théorique articulant didactique et psychologie ergonomique. Enseignants et chercheurs sont dès lors ensemble des « détenteurs et producteurs de connaissances d’égale valeur même si elles sont de nature différente », dans une démarche basée sur la « réflexion dans et sur l’action ». Une autre croyance erronée serait de penser que les dispositifs innovants tiennent et réussissent grâce à une obligation d’accompagnement. « Trop souvent, les dispositifs expérimentaux sont conçus en laboratoire à partir de connaissances scientifiques disponibles sur les savoirs à enseigner et les apprentissages des élèves, mais sans tenir compte des enseignants utilisateurs et des contextes scolaires. Rares sont les chercheurs qui étudient les pratiques ordinaires des enseignants et identifient leur propre zone proximale de développement professionnel pour anticiper une possible appropriation de l’outil. »
Le dernier chapitre porté par Michel Janosz et Frédéric Nault-Brière montre que le transfert de la connaissance scientifique à la pratique s’opère bien mieux, en impliquant le chercheur directement dans des travaux collaboratifs, dans des terrains et contextes variés de la pratique enseignante, aux prises avec des populations d’enseignants diverses. Cette nouvelle posture est vraisemblablement incertaine en l’état car elle entrerait en conflit avec les exigences actuelles apposées aux chercheurs pour progresser dans leur carrière, sur le plan des financements comme du type de publications valorisées.
Ce livre, peut être lu comme un panorama de différents champs de recherche que l’on peut convoquer d’une manière systémique pour améliorer les pratiques en éducation, dans la lignée du rapport d’Antoine Prost « Pour un programme stratégique de recherche en éducation » (MEN-BO, 2001), qui montrait déjà la difficulté de la diffusion des recherches et de l’implémentation de leurs résultats. Les auteurs mettent en perspective une articulation renouvelée entre le monde de la recherche et celui de la pratique avec ses contingences et ses urgences ainsi qu’un rapprochement entre chercheurs et praticiens pour une meilleure prise en compte du travail des seconds par les premiers.