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Accompagner une équipe pédagogique
Ce projet de classes coopératives a vécu entre 2017 et 2022 au sein du collège Ambrussum de Lunel (Hérault), la crise du covid ayant durablement freiné la dynamique du collectif coopératif.
L’initiative est d’abord venue de moi, en tant que chef d’établissement. J’ai eu envie d’emmener cette équipe dans un projet pour accompagner le changement. Cela aurait aussi pu émerger d’un collectif d’enseignants qui serait venu me chercher pour être accompagné.
Quelques années auparavant, j’avais pris connaissance d’un projet similaire dans un collège voisin (celui du Vigan). J’ai ainsi pu arriver avec une proposition précise faite à l’équipe de Lunel. Mais est-ce que cela serait réalisable en l’état dans ce collège ? Comme les relations entre adultes et avec les élèves étaient sereines, je me suis autorisé à distiller des informations. Quelques pistes ont été lancées : des vidéos, quelques articles, un abonnement aux Cahiers pédagogiques, etc.
Au fil de l’année, l’attention de quelques enseignants et de la conseillère principale d’éducation a pu être captée, et des discussions se sont engagées avec des personnels qui étaient en confiance entre eux. En fin d’année, une petite équipe s’est constituée, désireuse de se lancer dans une expérience pédagogique commune.
Des formations ont été proposées, avec l’idée d’associer toutes les personnes concernées, y compris moi, en tant que pairs de la coopération. Les chefs d’établissement sont un peu comme des médecins généralistes, c’est-à-dire des généralistes de la pédagogie; les enseignants étant des spécialistes, ils ont l’expertise de cette même pédagogie dans leur classe. Mon rôle était de faciliter les échanges, d’assurer la logistique, de fluidifier la communication. J’ai souvent répété : « Si on réussit, c’est tous ensemble, si on se trompe, on se trompe ensemble. »
Le but était ensuite de créer un collectif organisé, avec des temps spécifiques pour dépasser les seules rencontres informelles. La communication entre les membres de cette équipe a été structurée, pour rassembler les informations et les exemples collectés individuellement. C’est en ce sens que des moments communs ont été dégagés dans les emplois du temps de chaque enseignant impliqué.
J’ai choisi d’établir un plan de formation, en sollicitant des formateurs experts du sujet. Des visites chez des collègues du collège voisin ont été organisées, pour voir leur travail avec les élèves et discuter avec eux des observations de ce travail.
Pour tenter de faire reconnaitre et rendre lisible et légitime ce projet de classe coopérative, un dossier a été monté auprès de la Cardie (cellule académique de recherche et développement des innovations et expérimentations). L’accompagnement a duré trois années. Il a notamment permis d’obtenir l’avis des élèves ainsi qu’un ancrage académique du projet, un véritable soutien par l’Éducation nationale.
Le projet des classes coopératives de ce collège lunellois a ainsi fait l’objet d’une attention de la part de l’Inspection générale, dont une visite sur place a permis une tentative d’évaluation du projet. La conclusion de ces travaux a mis en évidence l’impossibilité d’évaluer à ce stade une plus-value sur la réussite scolaire des élèves. En revanche, un impact a été mesuré en matière de climat scolaire, autour des compétences psychosociales, à partir des données de vie scolaire.
Pour la première rentrée de la classe coopérative, des enseignants de chaque discipline étaient nécessaires. Les temps d’échanges coopératifs ont tous été inclus aux emplois du temps des enseignants, rien n’a été demandé en plus du travail habituel.
La formation s’est poursuivie. Cela a contribué à élargir le projet au sein du territoire, notamment aux écoles maternelles et élémentaires voisines, ainsi qu’à l’autre collège public de Lunel. L’idée a alors été de créer des rencontres collectives autour de la coopération. Ce partage de proximité a facilité les échanges sans avoir à beaucoup se déplacer.
Au fil des années, avec le besoin d’ouvrir chaque année une classe supplémentaire, il a été nécessaire d’enrôler davantage de collègues. D’autant plus que celles et ceux qui ont participé au démarrage de la dynamique commençaient à s’épuiser.
Il s’agissait d’éviter certaines dérives, comme un abus de réunions, ou des problèmes de communication, où ce qui s’organise n’est plus maitrisé. Des temps de pauses sont devenus nécessaires pour stopper la machine et faire le point. Cela a aidé à réduire les risques de mainmise de certains sur le collectif, par un travail de régulation. Ces temps de décélération ont aidé à instituer la mise en retrait, parce que les doutes et les difficultés ont autant leur place que les essais et les avancées.
Au bout d’un moment, le phénomène des détracteurs est apparu, lié à la crainte de certains de se voir associés à un projet vers lequel ils ne veulent pas aller. Le collectif peut alors être attaqué: rien n’est jamais parfait.
J’ai compris alors que mon rôle était d’être protecteur du travail réalisé et des personnes engagées, tout en préservant un équilibre de climat serein global entre les enseignants et en assurant qu’aucune injonction de ma part n’imposerait de faire partie des classes coopératives. C’est le principe des strates poreuses (voir schéma).
Les temps de réunion ont été décidés au sein du collectif. Les journées de formation ont permis de réunir tous les intéressés. En plus, deux fois par mois, deux heures de temps d’échange ont été organisés alors que les élèves n’avaient pas cours. Le but était de ne pas demander aux enseignants de rester après les cours.
Concernant le recrutement des élèves en classe coopérative, le choix a été fait de ne sélectionner personne. Les parents d’élèves y ont vu un intérêt, parce qu’ils étaient convaincus que cela servait les intérêts de leurs enfants. Sans cela, aucun projet de ce type-là ne peut fonctionner.
De plus, les programmes et horaires fixés par l’Éducation nationale ont été scrupuleusement respectés, de manière à ce que les familles n’aient pas l’impression d’inscrire leur enfant dans un établissement particulier.
Seule la pédagogie faisait l’objet d’échanges entre enseignants, afin de la rendre plus cohérente pour les élèves. Il n’y a jamais eu de nom donné à cette classe, ni de choix d’élève, pas non plus d’option spécifique, afin d’éviter tout phénomène de stigmatisation.
L’équipe-socle du projet a permis un élargissement des enseignants participant au projet. Le rôle du chef d’établissement est alors d’en décharger certains de cours pour qu’ils puissent aller observer leurs collègues. C’est de cette façon que de nouvelles personnes ont pu entrer dans l’action. Mais tous les enseignants n’ont pas été agrégés et certains ont continué à refuser.
Le « choc des savoirs » a eu pour effet de nous obliger à créer une nouvelle approche pour l’organisation des classes coopératives, qui a pu mettre en difficulté les équipes de lettres et mathématiques, les plus investies. Après plusieurs tâtonnements, reformulations, réécriture de consignes d’un plan de travail ou de mise au travail en groupe, les professeurs étaient arrivés à un stade de pilotage de leur séquence satisfaisant selon eux dans la mise en œuvre observée en classe et par rapport à ce que réalisaient leurs élèves. Restait à faire murir ces stratégies pédagogiques afin de les améliorer au fur à et mesure du temps.
L’approche par groupe de besoin, notoirement évolutif au cours de l’année, outre qu’elle nécessite une progression commune de toute une équipe enseignante (ce qui est déjà une très grande difficulté en soi) a forcément bouleversé cette maturité pédagogique construite depuis les débuts de l’investissement en classe coopérative, issue de la relation d’un enseignant avec sa classe. Cela demande à repenser l’ensemble du processus.
Suite à ma mutation, je n’ai pas voulu me présenter dans mon nouvel établissement, devant la nouvelle équipe, avec un projet de classe coopérative. Je ne souhaitais pas imposer un ancien projet dans un nouvel environnement.
En revanche, ce projet de classe coopérative à Lunel m’a beaucoup appris dans mon management pédagogique, dans l’impulsion de projets et l’accompagnement des équipes. Il m’a encouragé à en enclencher de nouveaux, sur la base des compétences et des envies des enseignants avec lesquels je travaille aujourd’hui.
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