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Stratèges et dépendants

Les enquêtes de l’Injep (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) montrent la nécessité de mieux prendre en compte les utilisateurs dans les politiques publiques et dans les pratiques professionnelles. En préambule, trois éléments de contexte, qui pèsent fortement sur les représentations et les pratiques des jeunes.

Tout d’abord, le poids des diplômes et du scolaire dans les parcours. Une recherche comparative et européenne menée par la sociologue Cécile Van de Velde[[Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, PUF, 2008.]] montre qu’en France, c’est « la pression au classement avant 25 ans » qui pèse sur les parcours des jeunes. Le temps de la jeunesse est pensé comme l’âge du placement, censé figer le statut social de l’individu.

Vient ensuite l’organisation des procédures d’orientation et de la décision. Les élèves n’ont pas le choix, qui est du ressort des enseignants et des chefs d’établissement.

Enfin, la complexité du monde de la formation, « d’abord multiple, foisonnant, mais également fait d’entités qui ont chacune leur politique de recrutement »[[Bernard Desclaux, extrait de Jeunesses Études et Synthèses n° 9, Injep , juin 2012.]].

La diversité des profils et des parcours des jeunes

Deux portraits de jeunes ont été définis lors d’une étude réalisée à Angoulême. Celui des jeunes stratèges qui disposent d’atouts leur permettant de combiner des stratégies dans leur recherche d’information : capacités à anticiper, identification des bonnes sources ou des bons réseaux, aisance sur internet, maitrise des ressources informatives. À l’inverse, les jeunes dépendants qui manifestent souvent des difficultés à rechercher, décoder, exploiter les informations. Leur réseau est souvent limité à leurs proches.

La place essentielle d’Internet

Les inégalités décrites ci-dessus se creusent avec le développement d’internet dans les pratiques. Une enquête en cours en Alsace sur les pratiques d’information des jeunes montre que près de 80 % des jeunes interrogés déclarent rencontrer des difficultés dans leur recherche d’information sur leurs projets personnels.

Dans cette même enquête, internet est, de loin, la première source d’information identifiée par les jeunes (53 % des répondants). Mais parallèlement, c’est le conseil d’un professionnel qui est le plus sollicité par les jeunes dans les lieux d’information (63 % des répondants). Ces données confirment d’autres enquêtes qui montrent qu’internet est rarement utilisé seul dans une recherche d’information. Cette source se combine avec d’autres supports, et surtout laisse une place importante à des attentes et des pratiques en matière de contacts humains.

Cette nouvelle donne fait évoluer le rôle et la posture des professionnels travaillant avec des jeunes. Elle nécessite aussi une impérative prise en compte des usages du numérique par ces professionnels.
L’importance de la confiance dans la relation jeunes, adultes, professionnels

On l’a vu, les jeunes en recherche d’information sur leur orientation accordent une place très importante au conseil d’un professionnel ou, plus généralement, à un adulte que nous avons appelé « de confiance ». Les jeunes auprès desquels nous avons enquêté nous l’ont répété : c’est la relation de confiance qui prime dans le choix des adultes qu’ils vont solliciter pour un conseil. Dans ce contexte, ce dernier n’est pas forcément un professionnel de l’orientation de l’éducation ou de l’information (mais il peut l’être aussi). Se pose alors la question de la qualité de l’information reçue et de la capacité du jeune à porter un regard critique sur cette dernière.

Le rôle des pairs comme source et relai d’information

Les amis jouent un rôle tout aussi important : ils sont cités en premier en tant que relais, entre autres, sur les réseaux sociaux, en recommandant par exemple tel ou tel lieu d’information. Les pairs sont des sources privilégiées, parfois seule source d’information pour les « dépendants ». Nos études et évaluations confirment l’efficacité des informations transmises par des jeunes plus âgés, dans des parcours récents d’étude ou d’insertion professionnelle. Les jeunes sont bien acteurs dans le système d’information, comme consommateurs, mais aussi prescripteurs et même producteurs d’information.
Une information trop centrée sur l’offre

C’est encore l’offre d’information qui prime sur la demande et les pratiques. Plusieurs professionnels rencontrés lors de nos entretiens ont analysé la non-fréquentation d’un lieu ou un espace d’information, en évoquant le désintérêt des jeunes : « Tout est accessible ici. » Est plus rarement considérée la distance entre un jeune et l’information sur son orientation. Un éducateur spécialisé nous a exposé ainsi sa préoccupation : « Ce n’est pas l’information qui pose problème, mais le chemin pour y accéder. »

D’autres enseignements tels que la multiplicité des dispositifs dédiés aux questions d’orientation ont été abordés dans les travaux de l’Injep. Il reste qu’une approche globale du jeune dans son parcours s’avère nécessaire. Ceci conduit à prendre en compte la diversité des compétences des jeunes, dans le cadre scolaire comme hors de l’école, à considérer qu’une diversité d’acteurs de l’éducation est concernée. Les jeunes eux-mêmes doivent être reconnus dans un rôle de production et de transmission des informations sur l’orientation.

Gérard Marquié
chargé d’études et de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep)